On en sait un peu plus sur les avoirs personnels du Chef de l’Etat Camerounais Paul Biya et ce grâce à un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire).
Publié en 2013 sous le thème « Restitutions des biens mal acquis : un état des lieux », le rapport dresse la fortune acquise par le président camerounais depuis sa prise de pouvoir en 1982. Extrait…
Paul Biya a pris le pouvoir le 6 novembre 1982. Il a tiré profit, conformément à la Constitution camerounaise, de la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, dont il était jusqu’alors Premier ministre.
C’est son maintien au pouvoir depuis plus de 25 ans qui est sujet à caution. Les accusations de fraude ont ponctué les élections qui ont prorogé son mandat.
En 2008, Paul Biya a d’ailleurs modifié la Constitution pour devenir, pratiquement, président à vie, à l’image de ses voisins gabonais et équatoguinéen. Il a en effet fait sauter le verrou qui, depuis la révision constitutionnelle de 1996, limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Se protège-t-il ainsi d’éventuelles représailles que pourraient lui intenter ses successeurs ?
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Le Cameroun est considéré, selon l’indice de perception de la corruption développé par l’association Transparency International, comme l’un des pays les plus corrompus du monde. Il a même obtenu le titre de champion du monde de la catégorie dans le classement établi par TI en 1998 et 1999. Malgré cette piètre réputation, Paul Biya refuse la création d’une Commission des Biens Mal Acquis dans son pays pour lutter contre la corruption.
Il préfère installer, le 11 mars 2006, la CONAC (Commission nationale de lutte contre la corruption), à la tête de laquelle il a nommé un fidèle, Paul Tessa, ancien ministre et ancien secrétaire général de la présidence de la République. En janvier 2008, pour se concilier les bonnes grâces des bailleurs internationaux, et proba- blement aussi pour régler des comptes avec certains ministres qui lorgnaient sa place, le président Biya lance une grande opération «Épervier» de lutte contre la corruption.
Une liste d’une soixantaine de personnalités, ministres, directeurs généraux, hommes d’affaires, est publiée dans la presse à cet effet. Mi 2008, une quinzaine d’entre elles avaient été interpellées, jugées et condamnées à de lourdes peines privatives de liberté et de fortes amendes. Des experts comme Francis Dooh Collins sont nommés pour rechercher les 162 millions d’euros qui, selon le gouvernement, auraient été détournés. Me Jacques Vergès aurait également été sollicité. Le gouvernement camerounais a obtenu le soutien international dans cette opération, notamment celui du FBI, la police fédérale américaine.
L’ancien ambassadeur des États-Unis au Cameroun, Niels Marquardt, s’était montré intransigeant sur le sujet : «ce n’est pas assez de publier les noms des personnes suspectées de corruption ou de les relever de leurs fonctions. Les personnes accusées de corruption doivent être officiellement inculpées, poursuivies et condamnées si leur culpabilité est établie. Dans le même temps, leurs biens mal acquis doivent être confisqués et retournés au trésor public».
Il s’agit pour les États qui prêtent leur concours de traquer la fortune des personnalités visées à l’étranger, notamment dans des paradis fiscaux, mais selon l’ambassade américaine, «ce n’est pas facile car il y a des comptes blanchis. (…) Il faut beaucoup de preuves». Une autre chancellerie explique que «le plus difficile dans cette opération est de mettre tout le monde en prison, parce que plus ou moins tout le monde est trempé».
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Qu’en est-il de Paul Biya et ses proches ? Aucune information officielle ne filtre à leur sujet. Et pourtant, l’article 56 de la Constitution camerounaise, depuis sa révision en janvier 1996 par le président Paul Biya, dispose que «le président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et assimilés (…) doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs, au début et à la fin de leur mandat.»
La loi N° 003 de 2006 du 25 avril 2006 dresse la liste exacte des personnes soumises à cette obligation de déclaration des biens et avoirs, mais en mai 2009, elle n’avait toujours pas été promulguée. Au contraire, le président camerounais a la réputation d’un des chefs d’État les plus secrets du monde.
Déçus, voire vexés de ne pas trouver Paul Biya dans l’étude sur les biens mal acquis que nous avons publiée en 2007, des associations, syndicats et journalistes camerounais se sont penchés sur la question. La démarche est osée car, au Cameroun, le sujet est tabou. En février 2008, Jean-Bosco Talla, journaliste dans les journaux privés Le Front et Germinal, impliqué dans un programme de renforcement de la société civile camerounaise soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, en a fait l’amère expérience.
Alors qu’accompagné d’un stagiaire, il cherchait à localiser le patrimoine d’un ministre camerounais dans le village de Zoétélé, appareil photo en bandoulière, il fut arrêté, puis conduit d’un lieu à l’autre sur des centaines de kilomètres les yeux bandés et molesté. Il a fallu une mobilisation de la société civile au Cameroun et au niveau international, doublée de la vigilance des ambassades de France et des États-Unis, pour que Jean-Bosco Talla soit libéré au bout de cinq jours.
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Aussi, pour le lancement en mai 2008 de l’hebdomadaire Germinal, qu’il dirige, Jean-Bosco Talla choisit-il de sortir un dossier spécial sur «L’argent et les biens de Paul Biya». Une enquête très documentée. Le succès fut immédiat : alors que la presse indépendante camerounaise tire rarement à plus de 4 000 exemplaires, 11 000 copies de ce numéro spécial s’arrachent en quelques jours. En mai 2009, c’est un autre magazine indépendant, Les Cahiers de Mutations, qui s’interroge : «Avoirs camerounais à l’étranger : peut-on rapatrier l’argent volé ?». On le voit, le sujet fait aujourd’hui débat au Cameroun.
Et il y a de quoi. À peine devenu chef d’État, Paul Biya faisait parler de lui à propos de son patrimoine. Le 16 mars 1983, Le Canard enchaîné dévoilait deux acquisitions présidentielles en France : l’une avenue Foch à Paris, l’autre sur la Côte d’Azur, à Cagnes-sur-Mer.
Le gouvernement camerounais explique alors que ces acquisitions sont le fait du citoyen Paul Biya et non du président. Et Paul Biya se pare d’un discours vertueux : «Il nous faut assurément recourir à la moralisation de la vie publique». En mai 1997, L’Événement du jeudi estime que la fortune du président camerounais et de sa famille approche les 70 millions d’euros, dont des châteaux en France et en Allemagne, à Baden-Baden.
Un de ses proches, le professeur Titus Edzoa, estime aussi que «c’est le Camerounais le plus riche». Parmi les résidences françaises, le journal camerounais L’Expression évoquait en 1997 celle du lieu-dit «de la ferme des bois» à Gambais (Yvelines), d’une valeur estimée de 6 millions d’euros à l’époque. Selon les journalistes de Germinal en 2008, « Paul Biya serait aussi actionnaire de plusieurs sociétés. (…) À cela, l’on doit ajouter le château en construction, à côté de l’Ambassade des États-Unis à Yaoundé ». Ces informations n’ont été ni confirmées ni infirmées par le président camerounais.
Paul Biya sait également se montrer généreux avec ceux qu’il affectionne. Outre certains conseillers en communication français grassement rémunérés, l’Ordre de la Rose-Croix (Amorc), considéré en France comme une secte, fait l’objet des largesses de la présidence camerounaise. Raymond Bernard, ancien secrétaire général de l’AMORC et fondateur de l’Ordre rénové du Temple (ORT), considéré comme le «berceau» de l’Ordre du Temple solaire, se voit remettre 5,6 millions de francs français le 2 mars 1990, puis 11,2 millions de francs de 1992 à 1998, le tout via la Société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun.
Selon la justice française, Raymond Bernard aurait ainsi constitué un patrimoine de 20 millions de francs, sans avoir «jamais travaillé». De même, le siège parisien d’une organisation ésotérique créée par Raymond Bernard, l’ordre souverain du temple initiatique (OSTI), a été acquis au 22, rue Beaunier dans le XIVe arrondissement
de Paris grâce à un prêt sans intérêt d’un montant de 40 millions de francs français accordé par le président camerounais.
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Selon Africa Confidential d’octobre 2005, reprenant le travail d’une ONG londonienne, les largesses de Paul Biya serviraient aussi à amadouer l’opposition : le leader de l’opposition John Fru Ndi aurait ainsi accumulé une fortune de plus de 125 millions de dollars, dont «plus de 70 % de l’argent provient de ses deals politiques avec le chef de l’État camerounais en fonction», en particulier «entre juin 2002 et 2005». John Fru Ndi a nié.
Certains soupçonnent également l’homme fort de Yaoundé d’utiliser des prêtenoms pour gérer sa fortune, notamment en Suisse. Il y réside régulièrement et sa fille Anastasie Brenda Eyenga Biya fait ses études au Collège du Léman à Versoix, à quelques kilomètres de Genève. Le journal The African Independent, particulièrement critique envers le gouvernement Biya, estime par ailleurs que le fils du président, Franck Biya, a un rôle clé dans la gestion du patrimoine familial. Il gagnerait, selon ce quotidien, «9 milliards de francs CFA par mois dans la mafia du boi » (13,7 millions d’euros).
Son rôle dans l’exploitation forestière est, de fait, particulièrement décrié : attribution des concessions à ses sociétés (dont Ingénierie forestière) dans la plus grande opacité, évasion fiscale, non-respect des contraintes environnementales, gestion douteuse des fonds de ses sociétés…
Naturalisé monégasque, le fils Franck serait propriétaire à Roquebrune-Cap-Martin, lieu de villégiature du Maréchal Mobutu, de la magnifique «Villa Isis», avenue Douine. Officiellement, la villa est au nom de
« l’Immobilière du Sud Azur», une société au capital de 1000 euros sise promenade des Anglais à Nice, dont le gérant n’est autre qu’un certain Emmanuel Biya… le second prénom de Franck.
Outre l’exploitation forestière, les sources potentielles de l’enrichissement familial sont multiples. Selon un arrangement extrêmement commode, la loi de Finances autorisait le président, jusqu’en 1994, «en cas de besoin, à prélever et à affecter par décret à un compte spécial hors budget tout ou partie des résultats bénéficiaires des entreprises d’État». Selon L’Événement du jeudi précité, «l’évaporation de 2,3 milliards de francs français [350 millions d’euros] pour la période 1988-1993, ainsi que l’évasion fiscale hors du Cameroun, de 20 milliards de francs français [3 milliards d’euros] entre 1988 et 1993 donne une idée des sommes détournées». Ladite évaporation touche tous les secteurs.
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Dans le domaine pétrolier, une firme américaine évalue les pertes autour de 350 millions d’euros entre 1988 et 1993. Paris n’y voit rien à redire, à en croire l’ancien patron d’Elf Aquitaine Loïc Le Floch-Prigent : «Paul Biya ne prend le pouvoir qu’avec le soutien d’Elf pour contenir la communauté anglophone de ce pays». L’affaire Elf a, de facto, levé une partie du voile sur la grande corruption qui entoure les contrats pétroliers. Elf aurait ainsi prêté, en 1992, plus de 80 millions d’euros à la société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun, au profit de Paul Biya, via une banque des Îles Vierges. En contrepartie, Elf s’assurait un approvisionnement de pétrole par avance et engrangeait au passage une commission de plus de 20 millions d’euros par l’entremise d’Alfred Sirven.
Dix ans plus tard, les comptes gérés par Alfred Sirven étaient à nouveau crédités de 25 millions de dollars dans d’autres opérations de préfinancement pétrolier avec le Cameroun. Le 21 mars 2007 à nouveau, le PDG du groupe Total était entendu par la Brigade de répression de la délinquance financière, à Paris, pour une affaire de corruption au Cameroun. Pour le romancier camerounais Mongo Béti, «la politique française du pétrole en Afrique, [c’est] (…) la quête, sur le dos des Africains, de l’indépendance énergétique de la France».
Dans le domaine bancaire, Paul Biya et sa première épouse, Jeanne Irène, se sont vu également reprocher très directement d’avoir mis en faillite, à force de pillage, la Société camerounaise de banque (SCB), premier établissement bancaire du pays dans les années 1980. C’est l’ancien directeur de la SCB, Robert Messi Messi, aujourd’hui exilé au Canada, qui accuse le couple présidentiel d’avoir soutiré plus de 9 millions d’euros à la banque pour acquérir des villas, financer le palais présidentiel, la piste d’atterrissage et un golf dessinés par l’architecte Cacoub.
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Après 1994 et la révision de la loi autorisant la cagnotte présidentielle, les «distractions de deniers publics », comme on dit au Cameroun, n’ont pas cessé pour autant : entre 1998 et 2004, elles dépasseraient les 2,8 milliards d’euros, selon les services du Contrôle supérieur de l’État camerounais. Par ailleurs, certains journaux camerounais se demandent si, usant de prête-noms, le président camerounais n’aurait pas jeté son dévolu sur l’exploitation de la bauxite. Par un accord du 13 janvier 2006, le gouvernement camerounais cède l’exclusivité de l’exploitation de la bauxite à la société Hydromine Inc., enregistrée dans le Delaware, qui n’a pourtant aucune expertise dans l’exploitation minière.
Certains journalistes en concluent que Peter Brigger, le président d’Hydromine, par ailleurs spécialisé dans la location d’appartements de luxe en Suisse, serait le gérant occulte de la fortune du président camerounais. Malgré les soupçons persistants autour du chef de l’État camerounais, le soutien du gouvernement français à Paul Biya ne se dément pas depuis 1982.
Depuis les années 1950, où il militait avec le Dr Aujoulat contre les indépendantistes camerounais, l’attachement de Paul Biya à l’Hexagone ne s’est apparemment pas estompé. Sous sa férule, le Cameroun reste en effet pour l’État et les entreprises françaises un marché et un point d’ancrage déterminants en Afrique centrale. La population camerounaise, elle, enrage de ne pas bénéficier davantage des richesses phénoménales qui l’entourent.
Chaque année, lors de la messe du Nouvel an, l’archevêque de Douala, Christian Tumi, se fait l’écho de cette exaspération, exhortant les gouvernants camerounais à «remettre l’argent volé dans les caisses de l’État».