Actualités of Friday, 27 April 2018

Source: camer.be

Conseil constitutionnel: Clément Atangana désavoue publiquement Paul Biya

Clément Atangana, président du Conseil Constitutionnel Clément Atangana, président du Conseil Constitutionnel

Il avait été sorti de sa retraite, le 7 février 2018, pour devenir le tout premier président du Conseil constitutionnel. Novice dans la fonction, au même titre que les 10 autres membres, il dresse le bilan des deux mois d’activité au cours desquels le Conseil a rempli sa toute première mission : gérer le contentieux des élections sénatoriales du 25 mars dernier. Les résultats sont aujourd’hui connus. Le haut magistrat sort de sa réserve pour révéler les premières leçons et les défis que doit relever cette institution mise en place 22 ans après sa création. Malgré la longue attente, le processus continuera d’être progressif.

À peine nommés par le chef de l’Etat, les tout premiers membres du Conseil constitutionnel devaient gérer le contentieux des élections sénatoriales du 25 mars dernier. Dans quel état d’esprit votre équipe et vous avez travaillé ?

Vous me parlez de l’état d’esprit. Vous savez, c’est une équipe de responsables à un très haut niveau, qui ont donc pris à cœur la mission qui est la nôtre : mettre en marche cette institution nouvellement mise en place. Vous savez qu’elle était d’abord attachée à la Cour suprême qui assurait sa suppléance depuis sa création par la Constitution. Donc, vous connaissez les conditions dans lesquels on nomme des membres de l’institution. Ce sont de hautes personnalités à l’expérience avérée et à la moralité également avérée. Ils se sont mis en œuvre puisque c’est au même moment qu’on nous mettait en place qu’on avait engagé le processus de l’élection des sénateurs. Vous savez, on a travaillé avec les délais. Tout le monde a pris la mesure de la tâche.
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Avez-vous ressenti la pression des délais qu’il fallait respecter ?
J’insiste sur le point que vous avez à faire à de hauts responsables de l’Etat qui ont fait des preuves par-ci et par-là. Dès qu’on a été en face de cette charge, chacun s’est mis au travail et sous ma coordination, on n’a subi aucune pression.

Comment avez-vous apprécié la qualité des recours qui vous ont été adressés à l’occasion de ces sénatoriales ?
Il y a eu une nette évolution pédagogique, disons dans ce domaine du contentieux. Si on voit au début, lorsque la Cour suprême a reçu les premiers recours dans le temps jusqu’à la dernière élection, il y avait déjà eu une nette prise de conscience de tous les acteurs sur les enjeux. Au fil des décisions qui avaient été rendues, on pense que, on a même constaté, que les acteurs ont été instruits pour savoir comment introduire les recours. Le résultat est que nous n’avons pas eu une multitude de recours. À la phase pré-électorale, il y a eu six recours uniquement. Alors qu’à la phase du contentieux post-électorale, il n’y a eu que deux recours. Vous voyez, ça s’est nettement amélioré. Le nombre et la qualité sont allés de pair. De mieux en mieux, nous avons reçus des recours quand même assez bien présentés et de qualité.

Vous appréciez la qualité des recours, or vous en avez rejetés plusieurs car les requérants n’avaient pas qualité pour le faire. N’est-ce pas la preuve de l’immaturité qui persiste ?

Oui. Des gens s’aventurent à saisir le Conseil sans le recours aux avocats. Beaucoup de recours sont entrés sans l’intervention des avocats. Un candidat qui s’est levé parfois tout seul. Parfois même pas candidat, une personne a cru qu’elle pouvait venir ici. Il faut quand même étoffer sa défense lorsqu’on saisit une juridiction ou une instance comme la nôtre.

Quelle est la différence entre la manière dont le Conseil constitutionnel travaille aujourd’hui et celle de la Cour suprême hier ?
Le Conseil constitutionnel, qui n’est là que pour une tâche, est bien plus concentré pour faire uniquement ce travail qu’une autre instance qui avait déjà d’autres attributions au moment où les recours arrivaient et trouvaient d’autres procédures. Je crois qu’il y a une nette différence.

Est-ce pourquoi vous n’avez pas suivi une jurisprudence établie par le Cour suprême ?
Le droit évolue. On ne peut pas rester figé sur la jurisprudence qui est revue même au niveau de la Cour suprême. La Cour suprême elle-même revoit sa jurisprudence. Ce n’est pas nouveau.
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Quels étaient les défis à relever par les membres du Conseil constitutionnel dès leur prise de service ?
Il n’y a pas eu de défis en particulier. Le défi c’est pour tout le monde, tous les acteurs. On tend tous à la perfection de notre démocratie et à la primauté du droit. Pourtant, votre équipe et vous étiez très attendus sur votre capacité à affirmer votre indépendance après votre nomination par le chef de l’Etat. Etait-ce un souci pour vous ?

C’est un souci permanent, constant de par tous les maillons de la chaine du développement de notre démocratie. Que répondez-vous aux critiques liées au profil politique des membres du Conseil constitutionnel qui, pour la plupart, viennent du Rdpc, le parti au pouvoir ?

C’est vous qui dites que le profil est politique. Moi je ne vois pas le profil particulièrement politique. Ce sont de hauts responsables d’Etat qui ont eu des postes. Il y a eu des ministres, mais il y a leurs professions d’abord. Vous avez des magistrats, de hauts magistrats qui ont fait leur preuve dans tous les domaines. Ils ne s’occupaient pas de la politique. Moi, je n’appartiens à aucun parti politique. Moi, le président, j’ai gardé mon indépendance de magistrat. Entre temps, je suis passé au barreau. Donc quand on m’a rappelé, je n’appartiens pas au Rdpc. Pour les autres, il y a des professeurs d’université. Vous savez qu’ils sont indépendants eux aussi. Même s’ils ont été ministres à une certaine époque, moi, je ne peux pas savoir s’ils étaient militants politiques ou pas.

Que dites-vous de ceux-là qui ont publiquement milité dans des partis politiques ?
Chacun milite pour son camp. On les a vus mais ils ne sont pas venus pour ça. Ils sont ici uniquement pour ce travail et personne n’a exprimé son appartenance à un parti politique quelconque depuis que nous sommes là.
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Après le premier grand déploiement du Conseil à l’occasion des sénatoriales, quelles sont les leçons que vous avez pu tirer ?
Les leçons, je les ai exprimées à l’occasion de la proclamation des résultats, pendant mon discours introductif du procès-verbal. Il est ressorti des opérations : la mise en relief de l’affirmation de notre démocratie et de notre Etat de droit.

Lors du contentieux pré-électoral, le Conseil était-il embarrassé lorsqu’il a renvoyé à plus tard sa décision sur le recours du Sdf contestant le dossier d’un candidat du Rdpc dans la région de l’Ouest ?

Pas d’embarras, mais on a fouillé la question jusqu’au fond pour savoir où était la vérité. Parce que nous n’avions pas devant nous la personne qu’on disait fictive. Elle n’était pas là, ce n’était pas un embarras. Mais pour arriver facilement à la vérité, on a donc ordonné cette mesure provisoire qui était par mesure d’instruction, qui demandait la comparution de l’intéressé. Et dès qu’il est venu, on était à l’aise de mener le débat jusqu’à la décision que nous avons prise.

La responsabilité d’Elecam aurait-elle pu être mise en jeu car, c’est cet organe qui a mis à la disposition de la presse les listes électorales portant un nom mal écrit ?
Nous avions le dossier du candidat qui avait été introduit à Elecam. Puisque d’après la loi, le même dossier est déposé au Conseil constitutionnel. Alors, nous l’avons sorti et nous l’avons présenté aux différentes parties lors du procès. Au niveau d’Elecam, il n’y avait aucun problème. C’est lorsque la décision a été retranscrite, je crois dans un journal, qu’on a vu les changements de nom.

Est-ce à dire que tous les journaux ont commis la même erreur sur le même nom, en transcrivant les listes électorales produites par Elecam ?
Nous, nous avions la publication d’Elecam qui avait le bon nom.

Est-ce que dans votre travail, vous avez eu des difficultés particulières, par exemple d’ordre matériel ?
Non, on n’a pas eu de difficultés particulières. C’est quand même une structure étatique. L’Etat a pris les mesures pour que le scrutin et les élections se déroulent sans difficulté de ce côté-là.
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Quel est aujourd’hui l’état de la mise en œuvre de l’organigramme du Conseil constitutionnel?
Bon, je vais vous dire que nous sommes dans un processus constitutionnel. D’ailleurs, lorsque le Conseil constitutionnel a été créé par la Constitution en 1996, il est dit dans cette loi fondamentale que le Conseil est mis en place progressivement comme les autres nouvelles institutions créées progressivement. C’est pour cela donc qu’entre temps, c’est la Cour suprême qui l’a suppléé. Alors, si la mise en place a eu lieu, cela ne veut pas dire que le processus est terminé. Nous sommes toujours dans la mouvance de la Constitution qui vous dit qu’on met ces institutions progressivement en place. La mise en place est progressive même si déjà l’institution s’est détachée de la Cour suprême. Mais laissez donc aussi que la mise en place soit progressive.

Cela veut-il dire que vous êtes encore en train de constituer votre personnel ?
Oui bien-sûr. On ne peut pas avoir du coup toute l’équipe qu’il faut.

Comment le Conseil recrute-t-il ?
Il va falloir réfléchir sur la manière de recruter, en fonction des moyens qui seront disponibles. On va même dire que le Conseil n’a même pas encore recruté.

D’où vient donc le personnel qui travaille déjà ici ?
Nous avons des biais légaux. Nous avons d’abord un premier biais : c’est le détachement. C’est-à- dire que nous pouvons utiliser des agents de l’Etat qui peuvent être en détachement. Parmi les premiers personnels qui nous étaient nécessaires, c’était le personnel judiciaire. Puisque la première fonction était celle de juger. Donc, il nous fallait le personnel de la justice. Et à ce niveau, nous avons eu une première vague des fonctionnaires de greffe qui sont en voie de détachement et qui sont donc arrivés en attendant que le processus se termine. Nous devons saisir l’administration utilisatrice qui, parfois elle-même, n’est pas libre. On doit parfois saisir la hiérarchie pour que les gens soient détachés. Il y a la nature des actes qu’il faut prendre, jusqu’au décret. Donc, nous attendons. Nous avons donc eu une première vague d’agents nous permettant d’entamer notre travail parce qu’on ne pouvait pas aller à l’audience sans le greffier.

Le conseil va-t-il lancer un avis public de recrutement ?
On ne peut pas encore vous dire ce qui va se faire. Ça dépendra des cas, de ce qu’il faudra Mais tout ça c’est progressif.

Est-ce que vous croulez sous le poids des demandes d’emploi qui arrivent au quotidien ?
Déposer les dossiers, ce n’est pas une pression. Les gens ont le droit de demander du travail. Et maintenant nous réfléchissons. Qu’est-ce qu’on peut faire ? On leur donne des réponses d’attente ou ce sont des rejets. Tout ça on verra.

Les personnes vous sont-elles recommandées pour recrutement ?
Oui, mais cela ne nous lie pas.

Au niveau des moyens matériels et financiers, jouissez-vous de tout ce qu’il faut ?
On ne peut pas dire de tout ce qu’il faut, mais juste le nécessaire pour marcher. Le reste viendra.

Jusqu’ici, le conseil a été vu à l’œuvre sur l’une de ses missions : juge de la régularité des élections. Etes-vous prêts à assumer vos autres missions, par exemple la constitutionnalité des lois ?
Nous, on est toujours prêt. Si un recours ou une affaire de cette nature arrive, nous nous mettons à l’examiner. Nous n’avons pas encore de procédure parallèle à ce niveau. Mais tout peut arriver. Une demande d’avis peut nous arriver ou une loi. Vous savez, il y a une catégorie d’organes qui peuvent nous saisir. Ce ne sont pas tous les citoyens qui peuvent nous saisir. Donc, si les organes et les personnalités habilités ne nous ont pas saisis, nous ne pouvons encore rien faire d’office. Le Conseil ne peut pas s’autosaisir, il faut qu’il soit saisi par l’un des organes. La Constitution nous donne nos missions qui ont été corroborées par la loi de 2004 qui organise le Conseil. Puis des lois ont complété le statut des membres du Conseil, l’organisation du secrétariat général qui nous assiste. Donc, nous avons tous les instruments qu’il faut pour nous permettre de travailler. Donc le Conseil est en droit et en mesure d’assumer toutes ses missions. Même le règlement intérieur qui est prévu par la loi est en cours d’élaboration. Nous l’examinons et nous allons l’adopter sous peu.