Opinions of Friday, 16 March 2018

Auteur: kamerkongossa.cm

Sexualisation, inceste, viol, l’humiliante condition des femmes au Cameroun

Les cas de viol de petites filles sont de plus en plus recurrents Les cas de viol de petites filles sont de plus en plus recurrents

Au détour d’une publication sur mon Facebook, j’ai eu le malheur, dans un même texte d’établir un « parallèle douteux » entre le viol récent de deux fillettes par un parent et la surmédiatisée affaire Nathalie Koah vs Samuel Eto’o.

Les Torquemada (majoritairement en jupons) qui ont instruit mon procès ont éludé ma transition, qui faisait cas du silence coupable et trop souvent complice qui accompagne ces viols et abus. Une transition qui s’appuyait sur la vague #MeToo, vague féminine (ou féministe c’est selon) de dénonciation qui balaie le monde en ce moment, mais dont l’écume semble esquiver mon pays. A croire qu’ici, les viols et abus sur les femmes ne sont qu’un phénomène marginal. Bon, selon les exégètes de mon post, j’ai choisi le mauvais exemple, et utilisé la mauvaise illustration. Soit.

Le but de ma publication controversée n’a jamais été de faire un quelconque parallèle entre deux histoires dont, manifestement, pour l’une tout au moins, je ne possède pas toutes les clés, mais d’interroger l’émotion et le silence à plusieurs vitesses.

Mon étonnement naïf se base sur un questionnement simple : alors qu’ailleurs des hommes puissants et fortunés perdent position et considération suite à des accusations portant sur des faits souvent lointains et considérés dans la plupart des sociétés comme banals, comment se fait-il que le livre écrit par cette jeune dame qui comporte quand même des accusations graves, ait provoqué un déferlement haineux, et n’a au final eu qu’un retentissement marginal? Une espèce de 50 nuances de Grey dégoulinant de lucre et de stupre, dont l’écho a été rapidement balayé par la première compétition sportive passant par-là ?
Qu’on se comprenne bien, loin de moi l’idée de refaire le procès de quiconque. J’interroge, non les évènements relatés dans le livre, mais la perception que la société camerounaise en a eu.

C’est une opinion personnelle : l’affaire NK vs El Pichichi est un rendez-vous manqué du féminisme camerounais, peut-être même son acte de décès. Cette affaire qui aurait dû devenir un symbole de la libération de la parole féminine est ironiquement devenu l’acte fondateur de la pimenterie.

Concept en rien novateur qui désigne un courant vieux comme le monde, celui des croqueuses de diamants. Femmes belles et décomplexées qui ont décidé de vivre de leur beauté et du miel de leur entrejambe qui attire irrésistiblement la gent mâle, généralement fortunée.

Le phénomène est vieux, mais la décomplexion et l’usage marketing qu’en ont en fait ses diverses promotrices, généralement grâce à l’exposition des réseaux sociaux, l’ont érigé en doctrine, un nouveau way of life assumé. N’oublions pas l’aide des débats interminables et très généralement stériles qui s’en sont suivi.

Ce que les camerounaises, friandes de ces joutes pimentées n’ont pas constaté, c’est que cette perception biaisée d’un débat de fond a planté (pas définitivement je l’espère) mais de façon durable un état de choses déjà latent : dans l’esprit de la société camerounaise, majoritairement machiste, banalement sexiste, toutes les femmes sont des NK., toutes les femmes sont des pimentières. Pris à l’aune de ce postulat qui m’engage seul, tous les débats se référant à la condition féminine et des abus dont sont victimes les femmes dans le pays de Samuel Eto’o sont considérés sous cet angle : la personnalité de la victime ou prétendue telle et sa condition de femme, de camerounaise, donc, de pimentière vénale, de fruit mangeable qui se prétend vert.

J’ai lu avec un rire jaunâtre les publications qui ont fleuri au sujet du viol des deux mineures de Nkongsamba. Un rire triste et sans joie quand j’ai compris que cette vague de dénonciations (presque oubliées) était plus du domaine de l’affect que de la volonté d’alimenter une lame de fond vouée à briser les tabous liés au viol aux agressions, abus et violences subis quotidiennement, quasi impunément, par les femmes dans ce pays.

Pourquoi tant de larmoiements ? Parce que les deux fillettes sont des enfants. Des êtres considérés comme asexués aux yeux de l’opinion nationale. De petits anges pas encore formés qu’un « sorcier » est venu détruire. Sans vouloir salir la mémoire de quiconque, ni manquer de respect à la douleur des victimes et de leurs familles, je le dis, le silence complice de notre société est un problème de fond car des viols, il y en a tous les jours dans ce pays et trop souvent les victimes se taisent, perpétuant lephénomène.

Quand elles sont en âge de parler et qu’elles l’ouvrent, elles se heurtent à l’immobilisme et à la dureté de l’appareil social censé les protéger ou pire, au dénigrement et à l’interrogation de leur « agenda caché ». Quand personne ne meurt ou ne tombe enceinte, l’affaire est classée. On masse, on lave, on se tait, puis on prie en « remettant tout à Dieu ». On va faire comment ?

Mon intérêt pour les questions de viols et d’abus s’est réveillé en 2004 quand au détour d’une conversation entre commères de quartier, j’apprends qu’un voisin, ci-devant notable de la communauté, s’est rendu coupable d’un viol sur une mineure, qui plus est sa propre progéniture.
Euye !

En creusant, je découvre que le type, pris sur le fait a donné à la famille une explication (comme s’il en était besoin) tenant en une phrase :
Tu ne peux pas être propriétaire d’un manguier et laisser les gens cueillir ses mangues sans les avoir goûtées toi-même. En plus, c’était déjà ouvert.
Re-euye !

La communauté l’a amendé, une cérémonie traditionnelle de purification a été organisée et après une distribution de casiers et de nourriture, l’affaire a été enterrée. Le type a continué de vivre sa petite vie sans histoire, tandis que la victime, désormais porteuse d’opprobre a été envoyée vivre chez un oncle dont j’espère juste qu’il préfère les papayes aux mangues.

J’ai longtemps cru ce cas isolé, mais en m’intéressant de plus près à la vie de la communauté j’ai découvert en huilant quelques langues au jus de maïs, que les cas de ce type n’étaient pas si marginaux. Partout, le même dénominateur : le silence.

Vous vous souvenez peut-être de l’histoire de ma petite anglose aux seins en forme d’obus ? Elle aussi au détour d’une conversation m’a avoué avoir été abusée dans son adolescence par un « petit oncle maternel ». L’affaire ébruitée, l’oncle a nié et la petite « menteuse », après une bastonnade mémorable a été sommée de se taire et envoyée chez une tante redresseuse de langues fourchues.

Je suis malheureusement dans l’incapacité de raconter tous les cas, certains pouvant me valoir d’être renversé dans la rue un de ces quatre (par un prédateur ou une victime hein ?), mais toujours est-il que lors du déferlement de dénonciations liés à l’affaire Weinstein, je n’ai pu m’empêcher de constater que je connaissais, très souvent par accident, dans mon entourage un bon paquet de filles et femmes de ma génération, qui à un moment de leur vie et généralement dans leur enfance ou leur pré adolescence ont été abusées sexuellement et très souvent par un proche ou parent.

Mesdames, quand je lis vos envolées lyriques qui établissent de façon consciente ou non une gradation entre les abus et autres actes dégradants basés sur le genre, j’ai pitié de vous. Que cette gradation implicite soit basée sur la classe sociale du prédateur, la personnalité de celle qui se pose en victime, son habillement, son âge, le nombre de billets de banques perçus de « l’abuseur » ou le nombre de 33 bues, je ne peux m’interroger que sur une chose : est-ce qu’on vit dans le même Cameroun ?

La plupart des jeunes filles dans notre société ont été éduquées pour considérer leur féminité comme une tare. L’exposition de la beauté comme un vice, l’alliance avec un homme comme une finalité, la procréation comme une apothéose.

J’ai vu durant mon enfance et mon adolescence cette construction des fondements pourris qui supportent notre société dite « patriarcale ». La jeune fille obligée de renier sa féminité. Ces seins « repassés » aplatis à la spatule brûlante pour éviter que ce miel précoce n’attire les abeilles dont les dards en forme de pénis ne manqueraient pas de ruiner des vies. Ces cheveux coupés courts pour qu’elles ressemblent le plus longtemps à ceux qui ne manqueraient pas de les perdre.

On leur a appris que leur corps était un champ, cultivé pour servir de réceptacle à la progéniture de celui qui garantirait leur position sociale, on leur a appris à considérer leur féminité précoce comme un piège de la nature, qu’elles devaient dompter pour ne pas provoquer les garçons. Le sexe est permis, mais seulement avec l’homme que Dieu t’a donné.

J’ai vu celles considérées comme frivoles se faire introduire du piment dans les parties par des mères qui « voulaient leur bien ». Exclues du système éducatif en cas de grossesse, montrées du doigt au quartier, ostracisées, enfermées pour préserver l’honneur familial, occupées à un quelconque commerce pour subvenir aux besoins de l’enfant en route.

J’ai vu l’indigence consécutive à la crise des années 90 transformer radicalement la société. Les enfants devenir des charges plus qu’avant. Le devoir parental se limiter au devoir de nourrir cette marmaille. Exit l’éducation à la sexualité. Des fillettes n’ayant rien demandé se retrouver dans des exils de fait, exportées dans les domiciles d’oncles louches mais nantis.

Mes oreilles de l’époque ont entendu ces histoires chuchotées dans les couloirs de mon enfance. Des cousins du village ont introduit leurs mains calleuses dans les slips des cousines avec qui ils partageaient le même lit. Des voisins lubriques ont mis leurs verges turgescentes dans des bouches innocentes, celles des petites filles que tout le monde les laissait appeler « ma femme » sans s’offusquer.

Des pères, gargarisés de promesses de richesse par des marabouts crasseux ont brisé l’hymen de leur sang. J’ai vécu presque chacun de ces cas et à chaque fois, un élément fondamental a fait la différence : l’aveuglement, le silence ou la tolérance de la société.
Des matins, j’ai vu ces mères, masquant maladroitement des coquards récoltés lors d’empoignades silencieuses dans l’intimité des chambres. Ces sourires forcés devant les invités de la bonne société.

J’ai vu ces femmes rossées en public devant un public complice, plus soucieux de la vertu que de l’intégrité physique de la victime :
wèèèè Massayo ! tape, mais ne déchire pas ses habits. C’est une femme.
Lors de mes escapades d’ado, j’ai vu ces jeunes filles tabassées au sortir des boîtes de nuit. Tirées par les cheveux au son de laissez-le, c’est sa copine, il ne peut pas la taper pour rien. Elle sait ce qu’elle a fait.

Et vous savez quoi mesdames, pendant qu’ainsi se forgeait votre cloisonnement sociétal, nous, étions là, nous les garçons d’hier, les hommes, oncles, pères, amants, collègues d’aujourd’hui et chacun intériorisait, assimilait.
Le résultat est là. Nous vous respectons, mais seulement dénuées de ce piège de la féminité sexuelle : c’est ta mère ? C’est ta cousine ? C’est ta tante ah didon colle les bêtises.

Oui, vous êtes des « bêtises », sauf si nous vous avons offert votre rêve ultime : le mariage. Là vous avez du ma chérie, du madame…
Le reste du temps, vous évoluez dans un océan de chosification : mon wé, mon dossier, mon chat mort, mon bois blanc, ma panthère, mon piano, mon gibier, mon pistache…

Vous êtes devenues la banane qu’en des temps moins capitalistes on accrochait à l’entrée des villages pour permettre aux voyageurs de passage de se sustenter. Donne-moi ta copine là ! Mon petit, je veux ta sœur, on fait comment ?

Vous êtes l’arachide du deuil qu’on offre complaisamment à l’étranger pour tenir durant la veillée : bienvenue tara. il fait froid.Tu veux une petite?
Vous êtes les pots de fleur qui ornent les tables des soirées arrosées. Sois belle, tais-toi, et attends le moment de rentrer.

Vous êtes celles que tout bendskineur peut appeler d’un « ma chérie » dégoulinant de vulgarité. Ma chérie tu discutes le prix alors que c’est un homme qui te donne l’argent là ?

Celles qui pour éviter de subir les mains balladeuses des sauveteurs du marché Mokolo, doivent parcourir les étals accompagnées d’un frère ou d’un cousin.
Vous bénéficiez d’un mois de mars où on se sent obligés de vous dire comment célébrer votre journée, parce qu’on se sent les maîtres, les acheteurs de pagne, et quand même cet achat n’est pas le nôtre, il demeure en filigrane le plus grand, la dot que chacun comprend et idéalise selon son genre.

En entreprise, je vous ai vues subir les blagues graveleuses, les gestes obscènes de gens convaincus que votre plan de carrière est basé sur la promotion canapé. J’ai vu des mains baladeuses sur vos fesses au prétexte qu’elles n’avaient pas de titre foncier en forme d’anneau nuptial. Aka ! elle a le doctorat et puis quoi ? Elle n’est pas mariée.

Dans la rue, j’ai vu cette société vous refuser le respect, vous siffler, parce que seules et non affublées du titre « la femme de… ».
J’ai vu la police vous dénier le droit à la sécurité alors que vous étiez en danger.

Vous dites que c’est sa femme ?
Oui chef.

Laissez-les. Quand il va se fatiguer de la taper, ils vont rentrer faire.
Même épanouies j’ai entendu votre réussite ramenée à l’aune de votre sexe :
Tu dis que la mbenguiste qui donne les bières là fait même quoi là-bas en France ?

Tu ignores quoi ? La bordellerie non ?

Et puis même, pourquoi vous plaindre? La femme c’est le diable, pas besoin d’avoir fait Harvard pour le savoir. Les taximen de Yaoundé vous serviront ce mantra, sourire aux lèvres.
J’en passe des meilleures.

Evoluant dans ce magma de sexisme, je vous entends vous plaindre rarement, je vous vois danser le 8 mars au son de ces chansons bénies en haut lieu, celles qui proclament votre infériorisation. Ces femmes africaines qu’on aime parce qu’elles « savent cuisiner le bilolo et faire de jolis bébés ». Des clichés arrogants auxquels vos représentantes donnent le la : mon mari me gifle, ça fait du bien… Vous avez envie de faire. D’ailleurs l’homme c’est le ventre et le bas ventre, pourquoi lui réclamer un cerveau ? Il faut supporter.

Rassurez-vous, je ne prétends pas que le Cameroun ne soit fait que de ça, mais étant un homme, ce que je vois d’ici n’est pas reluisant.

Chères femmes, épouses et filles, c’est cette société que je vois quand je tourne la tête. Avec au milieu, vous, êtres trop souvent indolents qui se complaisent dans des débats stériles. Qui, en ce mois de la femme se contentent des documentaires de la ciartivi, ces pamphlets imbuvables qui présentent des exceptions en oubliant de dénoncer la règle. Vous, qui débattez de la teinte et du nom de l’acheteur du vernis, au lieu de considérer le porc pointé par le doigt accusateur.

Chaque fois que pour une raison ou une autre, vous refusez le droit à la parole ou à l’exposition à l’une d’entre vous, pimentière, pute, prostituée ou autre, votre discrimination et cette indignation à deux vitesses que vous affectionnez vous fera plus de mal que de bien, vous qui paradoxalement êtes les plus nombreuses.

Pervers, psychopathes, profiteurs, lâches ou fous, tous ceux qui perpètrent des viols des violences, et autres agressions sur des femmes dans ce pays n’ont pas pour ambition de finir en taule ni de fuir. Ils savent que la société leur offre dans la plupart des cas le couvert de son silence et l’assistance consciente ou non d’avocats appartenant au même genre que leurs victimes : vous.

Arrêtez de distribuez des « assia » et des « RIP », donnez des claques.
Le but n’est pas d’avoir raison. La finalité est d’apprendre l’art de vaincre sans. Parce que vous le valez bien.