Rencontrée dans le sillage de la célébration, le 13 mars courant de la journée mondiale du rein, la néphrologue exerçant à l’hôpital général de Douala parle en détail de l’insuffisance rénale.
C’est quoi l’insuffisance rénale ?
L’insuffisance rénale peut être définie comme une diminution des fonctions rénales. Pour pouvoir parler d’insuffisance rénale il faut d’abord comprendre ce que c’est que le rein. Le rein ce sont des organes (on en a deux reins, un rein gauche et un rein droit) qui ressemblent à des haricots. C’est l’équivalent du rognon chez le bœuf. Ces rognons sont chargés de maintenir l’équilibre dans notre organisme, en ce qui concerne les électrolytes, l’eau, les déchets. C’est ainsi que les reins arrivent à fabriquer l’urine. Ils vont filtrer le sang pour récupérer les bonnes substances et éliminer ceux dont l’organisme n’a pas besoin. On va donc parler d’insuffisance rénale lorsque le rein va perdre cette capacité à pouvoir éliminer les déchets et assurer l’équilibre dans l’organisme. Cette insuffisance rénale peut être aiguë, puisque la maladie va s’installer de manière brutale. Généralement elle a la capacité d’être réversible, c’est-à-dire que le malade peut récupérer de sa fonction rénale. Parfois même on peut amener le patient en dialyse et il récupère par la suite. Donc c’est un phénomène ponctuel. C’est le contraire de l’insuffisance rénale chronique qui est définitive. Elle est caractérisée par une perte progressive et définitive des fonctions rénales. On va avoir une insuffisance rénale qui va mettre trois mois et qui va progressivement évoluer jusqu’au stade où le rein sera incapable d’assumer ses fonctions. On aura besoin de la dialyse pour vivre.
Quels sont les signes avant-coureurs ?
Malheureusement les manifestations n’apparaissent que très tardivement, quand il vous reste 20% à 30% de vos reins qui fonctionnent. Pendant que vous perdez les 70%, le rein n’est pas très souvent parlant. Il y a quand même les signes avant-coureurs. Avant de parler de l’insuffisance rénale chronique, il y a ce qu’on appelle la maladie rénale chronique. On peut avoir les problèmes avec les reins sans avoir l’insuffisance rénale. Mais si ces anomalies ne sont pas traitées, elles vont évoluer vers une insuffisance rénale chronique terminale où vous aurez recours à la dialyse. Donc il y a des signes avant-coureurs. Si un jeune a par exemple une hypertension artérielle avant 40 ans, ce n’est pas anodin. Si vous avez des œdèmes, c’est-à-dire le corps qui gonfle, les paupières par exemple, et si à votre réveil le matin vous avez les yeux qui ont tendance à gonfler, ça peut aussi être un problème en rapport avec le rein. Si vous n’urinez pas beaucoup, c’est peut-être une alerte que le rein ne fonctionne pas bien. Ou au contraire, vous urinez de manière très (très) importante, si vous vous levez plusieurs fois la nuit pour uriner, c’est vrai que ça peut être un diabète, tout comme ça peut être le signe que le rein est malade. Ce sont des petits signes qui, malheureusement peuvent passer inaperçus. Puis, vient le stade où le rein va commencer à manifester, mais c’est souvent un stade tardif car il va parfois vous rester moins de 10% de votre fonction rénale. Vous pouvez avoir des personnes qui ont des nausées, qui se sentent très fatiguées, qui perdent le goût de tout ce qui est protéine, donc les viandes. Ce sont également des signes d’insuffisance rénale.
Combien peut dépenser pour ses soins un malade qui souffre de l’insuffisance rénale ?
Les dépenses pour le malade vont dépendre. On s’intéresse plus aux malades hémodialysés chroniques, mais les autres dépensent également. Quelqu’un qui a une maladie rénale chronique ou qui a une insuffisance rénale, avant d’entrer en dialyse doit être régulièrement consulté par les médecins. Il doit acheter les antihypertenseurs qui sont souvent assez coûteux. Ajouter à cela d’autres médicaments, parce que ce sont souvent des malades qui souffrent d’autres affections. Prenez par exemple un diabétique. Quand il aura son problème de rein il y aura son diabète qu’il faudra gérer, son hypertension, la goutte. Ça fait des ordonnances qui sont assez longues. C’est des malades qui, rien que pour leurs médicaments se retrouvent facilement à 50.000 Fcfa, voire 100.000 Fcfa de dépense par mois. Mais les malades pour lesquels on s’est plus intéressé, ce sont les malades en dialyse. Cette dialyse doit être faite toute la vie. La séance coûte 5000 Fcfa. Avant que la subvention n’existe, elle coûtait entre 50.000 Fcfa et 60.000 Fcfa. Aujourd’hui quand même, si le patient donne 5000 Fcfa, l’Etat subventionne à hauteur de 55%. Il n’y a pas que la dialyse comme dépenses. Il y a les médicaments qu’il faut continuer à acheter. Les malades sont régulièrement anémiés. Ils doivent par moyenne utiliser deux, parfois plus, de poches de sang par mois. Il y a les médicaments qu’il faut continuer à prendre. Ce qui augmente les dépenses. Il y a aussi le coût des déplacements. Nous sommes à l’hôpital général. Ce n’est pas tout le monde qui vit aux alentours. Il y en a qui viennent d’Akwa (centre ville). Nous avons même des patients qui viennent de Nkongsamba, Mbanga, Bafoussam. Les dépenses vont au-delà de 150.000 Fcfa par mois. Et là c’est pour un malade dialysé stable. S’il est instable, les coûts vont au-delà de 500.000 Fcfa.
Quels types de problèmes rencontrez-vous dans la prise en charge des patients ?
Les deux gros problèmes qu’on a, c’est d’abord l’heure à laquelle arrivent les malades. Ils arrivent tard, lorsqu’il faut immédiatement les préparer pour la dialyse. On aurait fait des choses pour beaucoup de malades s’ils étaient arrivés deux ou trois ans plus tôt. Mais le drame c’est qu’il y a parfois des malades qu’on voit trois ans avant et qui ne reviennent plus. C’est là où les tradipraticiens et les églises réveillées font le travail. Ils nous créent beaucoup de soucis. On a beaucoup de malades qui vont disparaitre pour prendre la phytothérapie où on aggrave leur cas. Le malade qui pouvait être suivi sans hémodialyse se retrouve au bout de six mois en dialyse. Peut-être que c’est un problème culturel ou d’information. Quelqu’un gonfle. Vous lui dites ce qui lui arrive mais il préfère accorder sa confiance aux « on dit ». Et va vers la phytothérapie. Ces médicaments traditionnels donnent non seulement l’insuffisance rénale aiguë, mais chronique aussi. Il y a également ces tisanes de fabrication chinoise –des tisanes amaigrissantes- qui après six mois à deux ans conduisent à l’insuffisance rénale chronique terminale. Cette phytothérapie est très nocive pour l’organisme.
Comment se fait le dépistage ?
Concernant le dépistage des maladies rénales, c’est pour tous les patients qui sont à risque. Les hypertendus, les diabétiques, les patients Vih, les patients qui ont des antécédents d’insuffisance rénale dans leur famille. Il y en a d’autres, mais déjà, ceux-ci doivent au moins faire un dépistage. Les hypertendus et les diabétiques doivent voir leur médecin une à deux fois par an, même à l’absence de maladie.
Les recherches n’ont-elles pas encore abouti à un remède?
Il n’y a pas de traitement définitif. La dialyse, la transplantation (on va prendre un rein chez un donneur vivant ou mort pour donner au malade) sont les solutions à l’heure actuelle. Mais la transplantation ne veut pas dire que vous n’êtes plus malade. Elle a également ses contraintes. Parce que le rein qu’on vous donne n’est pas votre organe. Votre organisme peut aller attaquer ce nouveau rein. Vous devez donc prendre des médicaments toute votre vie. Vous ne dialysez plus, mais vous êtes toujours malade. Jusqu’à ce jour on n’a trouvé aucun médicament qui permet de soigner définitivement la maladie. Par contre, si vous êtes dépisté à temps, on peut vous soigner.
Quel est le taux de prévalence de l’insuffisance rénale au Cameroun ?
La prévalence de l’insuffisance rénale au Cameroun est assez difficile à évaluer. On va surtout parler d’insuffisance rénale chronique. Je disais que c’est difficile d’évaluer le taux de prévalence parce qu’il y a beaucoup de malades qu’on ne voit pas. Ceux qui sont connus, c’est l’insuffisance rénale chronique et c’est la partie visible de l’iceberg. Au Cameroun il n’y a vraiment pas de chiffre. Ceux dont on est sûr c’est qu’on a au moins 500 malades hémodialysés au Cameroun. Rien que dans le centre de l’hôpital général, nous avons 180 patients. Si on compte les différents centres d’hémodialyse qu’il y a au Cameroun (Yaoundé, Buea, Bamenda, Bertoua, Ebolowa, Garoua…10 centres en tout) ce qui est sûr c’est qu’on dépasse largement 500 malades. Si on prend les études qui ont été faites dans plusieurs pays européens et au Etats- Unis, on retrouve qu’en moyenne 10% de la population de ces pays étaient concernés par la maladie rénale chronique. Vous voyez que si on transpose ce chiffre au Cameroun, c’est quand même 2 millions de personnes qui sont touchées. 500 c’est réducteur.
C’est juste une impression où le taux de prévalence va grandissant au fil des années ?
Je pense qu’il y avait autant de malades avant. Ce qui fait qu’on n’en parle plus aujourd’hui, c’est parce que les gens sont de plus en plus informés et il y a de plus en plus de spécialistes.