Dans un contexte où la lutte contre la corruption demeure un défi majeur pour le Cameroun, de nouvelles révélations et mesures viennent éclairer l'ampleur du phénomène et les efforts déployés pour le combattre. Le pays se trouve à la croisée des chemins, entre des chiffres alarmants et une volonté affichée de réforme.
Dans une révélation exclusive du lanceur d’alerte Boris Bertolt, qui secoue les institutions camerounaises, le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, a dévoilé des chiffres stupéfiants concernant la fraude liée aux pensions des policiers et militaires retraités. Selon ses estimations, cette fraude s'élèverait à près de 50 milliards de francs CFA par an, un montant colossal qui souligne l'ampleur du problème au sein même des institutions censées faire respecter la loi.
Face à cette situation préoccupante, le ministre ne reste pas les bras croisés. Il exige désormais l'authentification systématique des actes d'état civil et des cartes nationales d'identité (CNI) pour lutter contre ces pratiques frauduleuses. Cette mesure, si elle est appliquée rigoureusement, pourrait permettre de réduire significativement les détournements de fonds publics dans ce secteur sensible.
Le rapport 2023 de la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) vient corroborer ces inquiétudes, révélant que la corruption a coûté plus de 114 milliards de francs CFA à l'État camerounais au cours de l'année écoulée. Ce chiffre, déjà vertigineux en soi, prend une dimension encore plus alarmante lorsqu'on le compare aux données de 2022, où le préjudice était estimé à environ 4,6 milliards de francs CFA.
Dieudonné Massi Gams, président de la CONAC, s'est efforcé d'expliquer cette hausse spectaculaire. Selon lui, elle serait due à "le nombre de dossiers ayant donné lieu aux 16 missions d'enquêtes de la CONAC, les 43 décisions rendues par le conseil de discipline budgétaire et financière et le Tribunal criminel spécial ainsi que la nature des affaires traitées". Cette explication, si elle met en lumière une intensification des efforts de lutte, soulève également des questions sur l'efficacité des mesures préventives mises en place jusqu'à présent.
Le rapport de la CONAC ne se contente pas de chiffres globaux. Il pointe du doigt certains secteurs où la corruption semble particulièrement enracinée. Le secteur éducatif, les transports, les collectivités territoriales décentralisées et l'administration territoriale sont spécifiquement mentionnés comme des foyers de pratiques frauduleuses.
Dans l'administration territoriale, la signature et la délivrance de documents officiels semblent être des points particulièrement sensibles. Edith Flaure Mipo, une architecte travaillant régulièrement avec les services administratifs, témoigne de cette réalité : "Il y a des réels problèmes qu'on vit sur le terrain, le cas des faux titres fonciers par exemple. Si on a implanté une borne là où ça ne devrait pas être, on peut comprendre que ce soit une erreur ponctuelle, mais lorsque ça devient récurrent, ça veut dire qu'il y a un problème de corruption derrière."
Ce témoignage souligne la nécessité d'une approche ciblée dans la lutte contre la corruption, prenant en compte les spécificités de chaque secteur.
Face à cette situation préoccupante, les autorités camerounaises semblent avoir intensifié leurs efforts de lutte contre la corruption. Le rapport de la CONAC fait état de plusieurs mesures concrètes :
Près de 10 000 agents publics ont été sanctionnés ou licenciés en 2023 pour manquement à l'éthique, un chiffre qui témoigne d'une volonté de faire le ménage au sein de l'administration.
Dans le domaine de la lutte anti-blanchiment, l'Agence Nationale d'Investigation Financière a enregistré une hausse de 11,05% des déclarations de soupçon, passant de 869 en 2022 à 965 en 2023. Cette augmentation pourrait être interprétée comme un signe d'une vigilance accrue ou d'une meilleure sensibilisation des acteurs économiques.
Le rapport souligne également une "montée en puissance" des institutions impliquées dans le recouvrement des avoirs issus de la corruption, bien que les détails sur les montants effectivement récupérés ne soient pas précisés.
Malgré ces efforts apparents, certaines affaires de corruption internationale impliquant des agents publics camerounais restent dans l'ombre. Les cas Glencore et Bourbon, dans lesquels des agents de sociétés d'hydrocarbures et de la direction générale des impôts auraient perçu des pots-de-vin, n'ont pas été mentionnés dans le rapport de la CONAC.
Cette omission suscite l'inquiétude d'organisations de la société civile. Henri Njoh Manga Bell, président de Transparency International Cameroon, exprime sa frustration : "Sans désemparer, nous allons continuer à nous battre pour que le gouvernement se prononce sur ces deux affaires, mais jusqu'ici le Cameroun n'a encore rien dit. La Société nationale des hydrocarbures nous a informés que le tribunal criminel spécial avait déjà été saisi, mais nous n'avons pas eu la preuve de cette saisine."
En réponse à ces préoccupations, le président de la CONAC, Dieudonné Massi Gams, appelle à la patience. Il souligne la complexité et la délicatesse des investigations en cours, notamment dans le cadre d'affaires internationales : "Lorsqu'on fait des investigations, il faut le faire avec tout ce que cela comporte comme délicatesse et sérieux, parce qu'on ne peut publier que les résultats des investigations. La CONAC a déjà fait des investigations et orienté certains de ces résultats obtenus vers des secteurs qui doivent continuer à compléter les informations que la CONAC demande."