Dans la prison centrale de la capitale du Cameroun, 4000 détenus s’entassent dans un lieu prévu pour en abriter quatre fois moins. J. C, Camerounais de 33 ans, ancien pensionnaire de la prison Centrale d’Ebolowa, capitale régionale du Sud Cameroun, est libéré en juin 2016 après trois mois de détention. Il y purgeait sa seconde peine après un premier séjour d’un an à la prison centrale de Yaoundé, communément appelée Kondengui.
Ces paroles rejoignent celles de différents acteurs extérieurs qui interviennent dans les prisons camerounaises (ONG, organisation de droits de l’homme, organisations de santé des détenus, organismes internationaux…). Ils disent l’indigence des détenus dans un lieu qui abrite à ce jour environ 4 000 personnes, dans des locaux prévus pour en abriter quatre fois moins.
Pour J.C, cette prison devrait être reconstruite. Il y a trop « de gens qui ont le sang à l’œil », une expression qui au Cameroun rend compte de la méchanceté, du cynisme voir d’une totale insensibilité. Ces gens doivent rester en prison, dit-il, car « si Kondengui était fermée », tout ce monde reviendrait persécuter le reste de la population. Jugement sévère de ses anciens codétenus, qui lève un pan de voile sur le regard et la perception qu’une partie de la société a des prisonniers, ainsi qu’une construction de la dangerosité de cet univers à laquelle participent des récits comme celui de J.C. Les détenus mériteraient d’être, pour reprendre une expression de l’anthropologue français Didier Fassin, « à l’ombre du monde ».
Pour autant, J.C évoque également son expérience carcérale à Ebolowa, capitale régionale du Sud, située à 150 kilomètres de Yaoundé. Quand il en parle, J.C devient moins acrimonieux sur son jugement de l’institution carcérale.
« Il y a Kondengui et il y a les autres prisons. Même parmi nous les anciens du ngata [expression signifiant prison], on sait que ce n’est pas la même chose. Quand tu as “work le ngata” [fais de la prison], ceux qui ont fait New-Bell [prison centrale de Douala], et Kondengui, et sont passés ailleurs vont te dire que les autres prisons du kuo [pays], ne sont rien à côté. D’abord, à Ebolowa, c’est une petite prison, vous êtes même 250 comme ça. C’est pas vide, mais vraiment c’est rien. Y’a pas beaucoup de gens. Tu respires un peu. Y’a pas beaucoup de quartiers, et si tu te comportes bien tu peux sortir faire ta corvée dehors. Vraiment ce n’est pas la même chose ».
« Goûter à l’air de dehors »
Pour l’ancien détenu, il y a au moins deux types de prisons au Cameroun. D’une part, Kondengui, assez proche de la prison centrale de Douala-New-Bell, deux espaces décrits comme des lieux d’inhumanité où règnent violence, trafics et misère ; d’autre part, les « petites prisons », en régions et en zones rurales, dont personne ne parle et où les prisonniers bénéficieraient de conditions plus humaines, moins dégradantes. Il importe de reconnaître que les petites prisons, si elles paraissent moins violentes, peuvent également être difficiles pour les détenus sans soutien extérieur ou ne sortant pas. L’économie informelle y est moins développée et les opportunités moins importantes.
Cette division est liée non seulement à la différence des effectifs, mais également à la diversité des registres d’enfermement. D’un côté les prisons des grandes villes, avec un mode d’emprisonnement « strict » (même s’il existe des cas de sorties pour corvée) ; de celui des « petites prisons », avec des modalités de gestion plus souples et plus ouvertes sur le dehors, certains détenus allant hors les murs pour effectuer des travaux d’intérêt publics, et ainsi « goûter à l’air de dehors ».
Une telle dichotomie des prisons camerounaises rejoint une observation générale en Afrique. L’image de prisons surpeuplées reflète uniquement la réalité des capitales politiques et économiques du continent. Ces prisons de grandes villes abritent en moyenne la moitié de la population carcérale nationale, comme par exemple à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Au Cameroun, c’est le tiers, avec les prisons de Yaoundé, Kondengui, et celle de Douala, New-Bell.