L’éclairage du Dr Trésor Fobasso Guedjo, sociologue et enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Dschang.
Pourquoi les Bamilékés construisent-ils absolument les maisons au village ?
Avant toute chose, permettez-moi de préciser qu’il ne s’agit pas d’un phénomène exclusif à la communauté Bamiléké. En effet, bâtir une maison au village est une réalité davantage liée à la cosmogonie bantoue et donc partagée sur l’ensemble du territoire national. Dans un tel contexte, s’établir au village, à travers la construction d’une maison, représente un acte fortement lié à l'identité et aux traditions culturelles. Par ailleurs, puisque votre préoccupation circonscrit son champ à la communauté bamiléké, je vais davantage m’appuyer sur des déterminants spécifiques aux peuples des Grass Fields. Rappelons au passage que de par leur diversité culturelle et linguistique, les Bamilékés ne représentent pas forcément un groupe homogène.
Pour ces communautés, se construire au village est une stratégie implicite visant à renforcer le sentiment d'appartenance et de continuité culturelle car le village représente le début de leur existence ainsi que le lieu incontournable de la fin de celle-ci. Ceci explique la nécessité de ce que j’appelle (dans une publication récente) le « retour au village ». Ils y retournent ainsi afin d’attendre la fin de leur existence ou, pour les défunts, reposer auprès des leurs.
De même, en tant que lieu de regroupement, notamment pendant les réunions familiales, les deuils, les funérailles, les congrès, les festivals, etc., la maison du village est aussi un cadre de recueillement car c’est à l’intérieur ou aux alentours que les Bamilékés conservent les crânes et tombes de leurs défunts. Enfin, face aux difficultés rencontrées en zones urbaines, le village devient pour de nombreuses personnes, un paisible cadre de retraite ou le meilleur refuge en raison de la solidarité qui y règne. De ce point de vue, y construire une maison, serait un avantage.
Y a-t-il obligation de construire toujours une maison à la dimension de sa richesse ?
Pas du tout. C’est certes une impression que l’on peut avoir, mais, à ma connaissance, cette pratique est davantage influencée par des dispositions socioculturelles plutôt que par une obligation stricte. En outre, en partant du principe selon lequel pour de nombreux Bamilékés, posséder une maison au village représente un symbole de succès socioprofessionnel et, accessoirement, de respectabilité, l’on peut être tenté de croire qu’il s’agit effectivement d’une obligation, notamment dans un contexte où ce que les siens pensent de sa personne ainsi que de son apport dans sa communauté est important.
De ce fait, le type de construction, l’emplacement du bâtiment, l’architecture du bâtiment, la forme de la toiture, l’usage d’esthétique et du patrimoine artisanal local constituent de fait des symboles de reconnaissance sociale et de statut au sein de sa communauté d’appartenance. Or, dans le fond, aucune loi formelle ne leur impose cela. Ainsi, il n’est pas exagéré de dire que chacun, selon sa bourse et ses désirs, est libre de construire le type de maison qui lui conviendrait. Il n’est donc pas à exclure de voir des individus bâtir une qui soit modeste alors que leurs revenus pourraient leur permettre de faire mieux.
Sur le plan économique, n’est-ce pas du gâchis, au regard des sommes investies et du niveau réel d’exploitation ?
Non, parce que ces communautés ne se limitent pas à une rationalité économique. Le fait est qu’elles mettent en avant non pas des facteurs économiques comme le coût de l’investissement et de l’entretien compte tenu du peu de temps qu’elles y passent, mais plutôt ceux socioculturels. Les Bamilékés y voient donc un moyen de préparer leur départ, raffermir leurs liens avec les ancêtres, la communauté, etc. Je ne reviendrai pas sur les déterminants présentés ci-dessus.
Naturellement, d’un point de vue essentiellement économique, il est possible de voir en un investissement sur un édifice non habité, du moins exploité de manière saisonnière, « un gâchis » en raison des sommes mobilisées et de la fréquence de son exploitation. Mais cette conception reposerait sur une considération limitée puisqu’elle ne prendrait pas en compte des facteurs endogènes qui, du point de vue des Bamilékés, sont importants.