L’auteur de l’ouvrage « L’État de l’Afrique 2024 » a réservé 90 pages à l’analyse des dynamiques sahéliennes, du coup d’État du Niger (26 juillet) à l’expulsion des troupes françaises du Niger en fin d’année, en passant par la victoire de Kidal ou la naissance de l’AES. Aux yeux de Simo Djom, le père du brutalisme est un protagoniste d’un projet pensé et élaboré par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères en décembre 2021 dans un corpus diplomatique.
Rivalités, crises, ruptures, guerres, etc. L’Afrique a traversé l’année 2023 avec une intensité d’action remarquable. Face à la marée d’événements qui ont acculé l’actualité, une nécessité s’impose : démêler l’écheveau et établir des liens pour rendre la réalité africaine intelligente. Au bout de cette entreprise géopolitique de haute voltige, 7 dynamiques significatives ont été identifiées et 24 tendances isolées. Elles disent d’où vient l’Afrique, où elle va et comment. C’est le sens à donner à l’ouvrage de Maurice Simo Djom qui vient de paraître aux Editions Afrédit. La première édition du rendez-vous annuel de la géopolitique africaine commence par un volumineux dossier intitulé « La bataille de Niamey, l’année où le Sahel a confirmé sa révolution ».
Les faits marquants de l’année 2023 sur le continent, Maurice Simo Djom les situe dans cette partie du continent, d’abord le coup d’Etat du 26 juillet qui a, entre autres conséquences, bouleversé les dynamiques du mix énergétique français, notamment son dispositif largement avantageux d’approvisionnement en uranium. En conséquence, la France a dû recourir dare-dare à des alternatives qui ne pourront malheureusement pas s’inscrire dans le cadre seigneurial d’un impôt colonial. Ensuite, la prise de Kidal, événement majeur ayant couronné la stratégie d’Assimi Goita. Une victoire qui a fini de mettre à nu le jeu trouble de la France au Sahel. Présentes sur les lieux pendant 9 ans, les forces françaises n’ont pas contribué à reprendre la ville des rebelles du CSP. Les FAMa, accompagnées des supplétifs russes ont plié l’affaire en cinq jours.
Diversifier les pôles de puissance
Last but not the least, le départ des troupes françaises du Niger. A ce sujet, Maurice Simo Djom estime que ce départ qui a eu lieu au terme d’un bras de fer remporté par les militaires au pouvoir à Niamey a constitué une humiliation pour la France et accéléré la deuxième décolonisation du Sahel. L’auteur décrit l’errance des troupes françaises comme l’indice d’une fin de règne : refoulées du Mali et du Burkina Faso, elles se sont repliées au Niger. La suite, on la connaît. L’auteur n’hésite pas à parier que d’ici à ce que le Tchad fasse son entrée dans la mouvance de la révolution du Sahel, il n’y pas plus loin que de la coupe aux lèvres. Un autre événement peut retenir l’attention : la naissance de l’AES qui, selon l’auteur, inaugure d’intenses rivalités en termes d’intégration régionale et de lutte contre le terrorisme, notamment en signant la mort du G5 Sahel et en précipitant la chute prochaine de la Cedeao.
Et le philosophe camerounais Achille Mbembe dans tout ça ? Il est considéré comme celui qui produit une pensée à contre-courant de la quête d’un monde multipolaire. Les dynamiques du Sahel s’inscrivent dans cette volonté de sortir d’une hégémonie cynique et nihiliste, celle de l’Occident, des institutions de Breton Woods, de son système soi-disant multilatéral des Nations unies, de son « complexe militaro-intellectuel ». Alors que la jeunesse africaine, largement informée des abus de cette hégémonie, travaille à diversifier les pôles de puissance et donc à obtenir l’équilibre de la terreur, Achille Même l’enjoint à rester docile, et donc, à préserver l’hégémonie de l’Occident.
Aux yeux de Maurice Simo Djom, Achille Mbembe est un protagoniste d’un projet pensé et élaboré par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères en décembre 2021 dans un corpus diplomatique : La feuille de route de l’influence. Jean-Yves Le Drian écrit à la page 7 de ce document : « L’expression de la puissance n’a plus aujourd’hui de bornes, et tout est bon à prendre et à faire valoir, dès lors qu’il peut en résulter un surcroît d’influence. Là où l’exercice de la contrainte par la force n’est pas (plus ?) toujours la seule voie, la diplomatie d’influence prend le relais, par la conviction, la séduction, voire la manipulation ».
Manipulation de valeurs
Dans un chapitre intitulé « Le néopaternalisme essaie de perpétuer l’asymétrie dans la relation avec l’Afrique », Maurice Simo Djom analyse les méthodes d’Achille Mbembe pour appliquer sur le terrain ce projet d’influence français : néo-paternalisme ; racisme scientifique ; intimidation intellectuelle ; manipulation de valeurs prétendument universelles de la démocratie, de la « justice universelle » et des droits de l’homme ; manipulation de l’en-commun, etc. Le géo politiste s’appuie largement sur l’ouvrage co-écrit avec Rémy Rioux et Séverine Kodjo Grand-vaux (Pour un monde en commun), ainsi que sur l’analyse effectuée par Achille Mbembe dans les colonnes de la revue Grands Continents pour dénoncer une trahison intellectuelle et un racisme scientifique. Référence est ainsi faite à la prétention que les pays africains francophones ont été abandonnés par les fondations internationales, raison pour laquelle ils sont plongés dans un analphabétisme chronique. Maurice Simo Djom estime qu’il y a manipulation dans la mesure où le philosophe estime que pour s’éveiller et accéder à l’intelligence, les Africains ont nécessairement besoin d’être éduqués par les fondations européennes. Il va plus loin en soulignant le rôle trouble de ces fondations qui n’interviennent pas en réalité pour « éduquer » les Africains, mais pour distiller des idées qui assureront l’aménagement de conditions favorables aux intérêts étrangers.
De façon générale, Mbembe est présenté comme un agent d’influence au service de l’agenda français de reconquête des zones d’influence, une sorte de penseur de la néo-Françafrique à l’ère des poussées multipolaires. On voit cela à la haine qu’il nourrit vis-à-vis des pôles russes et chinois, mais aussi à l’énergie déployée pour vilipender les Africains qui nourrissent une ambition de diversification de leurs partenariats. Pareil traitement est réservé à Mohamed Bazoum, que l’auteur appelle « le sous-préfet français » du fait que, pour sa prise de parole alors qu’il était tenu en respect par les auteurs du coup d’État, l’ancien président français a choisi les colonnes du Washington Post pour s’exprimer. « Le profil tout droit sorti du chapeau du mondialisme : eurocentriste, néopaternaliste, anti-souverainiste, antirusse, antichinois » pour lequel Macron raffole fait appel à un journal étranger pour finir d’exprimer le mépris qu’il a pour la souveraineté de son peuple.
Démarche contre-intuitive et vouée à l’échec
In fine, si « la bataille de Niamey n’a pas eu lieu au sens militaire du terme, elle s’est déroulée au sens militaro-stratégique, en réunissant les ingrédients d’une guerre froide 2.0 : actes d’intimidation tels que le conseil de guerre tenu à l’Élysée ; retrait des civils français de Niamey ; déploiement du Mistral au large du Golfe de Guinée ; profération des menaces par voie de médias et de réseaux sociaux ; profération d’accusations et contre-accusations ; jeu d’alliances ; propagande médiatique et numérique ; mouvements de foule... » Le camp de l’influence français a perdu la bataille de Niamey, puisque l’armée française a plié bagage, la queue entre les jambes. Mais la guerre d’influence continue, puisqu’Achille Mbembe coiffe une fondation de la démocratie créée par Emmanuel Macron, Sillonnant l’Afrique, le philosophe érige des bataillons africains anti-souverainistes constitués de chercheurs en sciences sociales, de bloggeurs, de journalistes, d’écrivains, etc. Cette démarche est contre-intuitive et vouée à l’échec si l’on tient compte du paradigme géopolitique actuel est qui l’installation du multipolaire.