La ville d’Amchidé, située dans l’extrême-nord du Cameroun (frontière avec le Nigeria) restera longtemps marquée par le douloureux passage de Boko haram. La secte islamiste, dirigée par le tristement célèbre Abubakar Shekau, a presque ramené la ville à l‘Âge de pierre. Petit détour saisissant dans les ruines d’Amchidé.
Le visiteur est tout de suite intrigué par les voitures calcinées, les bâtiments détruits (ou incendiés) et les impacts de balle qui défigurent la ville. Jadis plaque tournante du commerce entre le Cameroun et le Nigeria, Amchidé est désormais une ville-fantôme, comme le témoigne Amadou Ahidjo, collaborateur du lamido (le chef traditionnel). “Avant la ville et la vie étaient roses ici, maintenant, tout est morose”, dit-il.
A l’instar de la majorité des habitants d’Amchidé, Amadou Ahidjo a préféré fuir la ville en octobre 2014. Direction, Douala, la capitale économique du Cameroun (au sud). Il y a sept mois, l’homme est rentré, répondant à un appel des autorités qui ont exhorté les populations à revenir. ‘’ A mon retour, la ville était méconnaissable. Tout était dévasté.’‘, Confie Ahidjo.
La présence de Shekau en ces lieux reste un mystère pour moi (...) on ne l'a plus vu physiquement dans des vidéos comme avant.
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Le retour reste en effet une autre épreuve à vivre. “Depuis que nous avons été invités à rentrer, personne ne nous a donné un seul bout de pain, alors que les gens ont faim. Il y a des gens qui passent trois jours sans manger”, révèle Ahidjo. Les activités dans la ville tournent lentement. Seuls quelques entrepôts et le marché central fonctionnent encore.
Le pénible retour des habitants d’Amchidé
Malgré la fermeture officielle de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, des camions de marchandises font le trajet pour venir alimenter ces quelques lieux de commerce encore opérationnels. Avant les hostilités, la ville sinistrée comptait plus de 90.000 habitants. Aujourd’hui, aux dires de M. Ahidjo, elle n’en compte plus que 150.000, dont des réfugiés nigérians.
C’est en 2014 que les combats entre soldats camerounais et fondamentalistes ont atteint leur paroxysme. A l‘époque, la ville avait été classée ‘‘zone rouge’‘. L’armée camerounaise avait deux objectifs majeurs ; d’abord libérer Amchidé des griffes de ses bourreaux et la sécuriser, puis libérer la ville voisine de Banki, située au Nigeria, qui était elle aussi sous l’emprise des djihadistes.
Ces derniers avaient même installé un camp dans l’un des quartiers d’Amchidé, avec une main-mise sur Limani (une localité voisine). Là-bas, les maisons gardent encore les nombreux impacts de balle, vestiges des combats sans merci qui s’y sont déroulés.
Une ville ravagée par la furia des hommes de Shekau
Amchidé a subi la folie destructrice des hommes de Shekau. Le commissariat reste jusqu‘à ce jour sans toit et ses portes sont encore défoncées. L’intérieur du poste de police n’est pas mieux loti ; des chaises (ou ce qu’il en reste) calcinées jonchent le sol.
Un membre d’un groupe local d’auto-défense (qui parle sous couvert de l’anonymat) témoigne : “les policiers ont tous fui à Mora” (chef-lieu du département où se trouve Amchidé). Il ajoute que ceux-ci “reviennent de temps à autre” dans la ville.
Les anciens maîtres des lieux ne se sont pas arrêtés là. Le centre commercial n’est plus qu’un amas de désolation. Ses câbles électriques et ses tôles sont marqués par la noirceur consécutive aux flammes qui ont dévoré la bâtisse.
Une boulangerie, elle aussi détruite, fait face à un kiosque du PMUC (Pari mutuel urbain camerounais). Kiosque qui n’a pas non plus échappé à la furia des islamistes. Il a tout simplement été renversé. Après un rapide coup d’oeil dans un garage tout près de là, l’on constate les restes de voitures calcinées.
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L‘école publique et le dispensaire d’Amchidé ont eux aussi souffert du passage des fonfamentalistes religigieux. Portes, toits et matériels se sont volatilisés. “Tout a été détruit par Boko Haram”, explique le membre du groupe d’auto-défense. Et Amadou Ahidjo d’ajouter : “les enfants sont obligés de rester à la maison parce que l‘école a été vandalisée.”
La secte islamiste est dirigée depuis 2010 par Abubakar Shekau, qui a pris les rennes de Boko Haram après la mort en 2009 de Mohamed Yusuf, autrefois chef du groupe islamiste ultra radical. Il a été tué lors d’un affrontement avec l’armée nigériane.
Mais où est donc passé Abubakar Shekau ?
Des nombreuses rumeurs ont alimenté les conversations sur le sort du chef de la secte djihadiste. La période 2013-2016 a enregistré plusieurs fois l’information selon laquelle Shekau aurait été blessé dans une villa d’Amchidé et aurait succombé plus tard à ses blessures.
A ce propos, un responsable militaire, ex-coordonnateur d’opérations contre Boko Haram, se prononce : “la présence de Shekau en ces lieux reste un mystère pour moi, mais je retiens que depuis ce moment (celui de l’assaut de l’armée), on ne l’a plus vu physiquement dans des vidéos comme avant. Ce qui est vrai, c’est qu‘à un certain moment de sa vie, il a vécu entre Limani et Amchidé.”
Une villa d’Amchidé, où aurait vécu le chef des musulmans radicaux, porte encore de nombreux impacts de balle, particulièrement sur sa clôture. Dans la cour de villa, une mosquée et un bâtiment principal. Ajoutés à cela, de petits appartements qui auraient hébergé des épouses de Shekau, sa garde rapprochée et des armes.
Les affrontements entre l’armée et les terroristes terminés, les militaires camerounais ont creusé d’impressionnantes tranchées dans et autour d’Amchidé. Le but étant de se protéger d‘éventuelles représailles de la secte.
Mais ces tranchées semblent causer problème. Selon Boukar Kamssouloum, un chef de quartier, “les tranchées ont divisé la ville en deux. Plus de la moitié de la ville, dont mon quartier, se trouve de l’autre côté des tranchées. Nous n’avons plus accès à nos maisons, aux champs, à la grande mosquée”.
De nombreux habitants se plaignent du fait qu’il faut désormais se munir d’une autorisation d’entrée au Nigeria, puis emprunter une piste, avant d’arriver dans la ville.
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Boko Haram est un mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigeria. Ce groupe, créé en 2002 à Maiduguri par le prédicateur radical Mohamed Yusuf, a pour objectif d’instaurer un califat et d’appliquer la charia. L’une des cibles de ce mouvement extrémiste est l‘éducation occidentale, qu’il qualifie de ‘‘péché’‘.
Le groupe terroriste a fait allégeance à l’Etat islamique. Depuis son insurrection en 2009, Boko Haram a tué plus de 20.000 personnes.