Actualités of Tuesday, 7 June 2022

Source: Kalara du 06-06-2022

Affaire Amougou Belinga : voici pourquoi les fonctionnaires de la DGI sont en fuite

Les fonctionnaires sont introuvables Les fonctionnaires sont introuvables

Le chef de l’Etat met en déroute le plan du patron du Groupe l’Anecdote qui visait à anéantir les arriérés fiscaux de 28,6 milliards de francs réclamés par la Direction générale des impôts. Il ordonne en urgence la remise en liberté d’un responsable du fisc abusivement incarcéré grâce aux soutiens de l’homme d’affaires au sein de l’appareil judiciaire. Kalara revient sur les manœuvres mafieuses et judiciaires de l’ombre qui ont précédé de l’intervention surprise du président de la République.

Alors qu’il s’attendait à faire incarcérer trois nouveaux inspecteurs des impôts en ce début de semaine, M. Jean-Pierre Amougou Belinga découvre, depuis vendredi dernier, que la dynamique ultra-répressive qu’il avait impulsée à sa procédure judiciaire avec l’aide de ses soutiens dans l’appareil judiciaire s’est enrayée. En fin de journée de vendredi dernier, 3 juin 2022, deux correspondances véhiculées sur les réseaux sociaux ont dévoilé l’entrée en scène quasiment tonitruante du président de la République dans la bataille qui oppose depuis quelques semaines l’homme d’affaires à l’administration fiscale. Suite à de «hautes instructions reçues par voie téléphonique» par le ministre de la Justice dans le but de remettre en liberté Mme Mvogo Emeline épouse Biyina, en détention préventive depuis le 19 mai, M. Laurent Esso a dû rendre compte, dans l’urgence aussi, de la difficulté à exécuter immédiatement l’ordre reçu.

Avant de s’adresser au secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) «pour la haute information du chef de l’Etat», le Garde des Sceaux avait pris le soin de prescrire le même jour au procureur général près la Cour d’appel du Centre, lui aussi à travers des «instructions verbales», la prise «des dispositions légales en vue de la mise en liberté de Mme Mvogo Emeline». Dans une «note à l’attention de M. le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des Sceaux» faite dans l’urgence, M. Ntamack Jean Fils Kléber a répondu que «la demande de mise en liberté de l’intéressée ne peut être réexaminée que par la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Centre à son audience du lundi 6 juin 2022». C’est cette opinion qui a été fidèlement transmise par le Garde des Sceaux au président de la République via le SGPR.

En dévoilant, sans le dire explicitement, que la remise en liberté du chef du Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1) est programmée pour ce lundi 6 juin 2022, la correspondance de ministre d’Etat Esso est le dernier élément enregistré dans la guerre des nerfs qui s’est intensifiée entre M. Amougou Belinga et l’Administration fiscale depuis une dizaine de jours. Le mercredi 25 mai 2022, M. Modeste Mopa Fatoin, directeur général des impôts (DGI), avait décidé d’aller réconforter et remobiliser à ses collaborateurs du Cric 1, orphelins depuis une semaine quasiment de leur chef de centre. Il annonçait alors qu’il ne ménagera aucun effort pour les protéger dans l’accomplissement de leurs missions. Pour casser le réarmement moral de ses troupes ainsi impulsé par le patron de l’administration fiscale, M. Amougou Belinga obtenait 24 heures plus tard l’émission d’une convocation (lire Kalara N°429) pour la comparution le mardi, 31 mai 2022, de trois inspecteurs des impôts devant le juge d’instruction.

Fonctionnaires en fuite ?

Probablement programmé pour faire incarcérer ces trois inculpés et entretenir ainsi au sein de l’opinion publique l’idée que les fonctionnaires du fisc auraient déjà été confondus au sujet des faits supposés de corruption et de tentative d’extorsion des fonds qui leurs sont imputés par l’homme d’affaires, le rendez-vous du 31 mai éveillait la prudence des avocats de mis en cause. Pas encore remis de l’incarcération surprise de Mme Mvogo Emeline le 19 mai et alertés par une violente campagne médiatique menée à coups d’injures et de contre-vérités sur les responsables du fisc par Vision 4, les conseils de ces derniers décidaient de s’entourer désormais d’un maximum de garanties pour perturber le plan de l’homme d’affaires et de ses soutiens. L’attitude du juge d’instruction devant la requête de remise en liberté du chef du Cric 1 déposée le 23 mai 2022 de même que sa réponse à la demande d’obtention de la «copie du dossier de l’information judiciaire» seront alors minutieusement scrutés pour cerner son état d’esprit.

Le 30 mai, à la veille du rendez-vous des trois inspecteurs des impôts avec M. Amougou Belinga chez le juge d’instruction, les avocats sollicitent le report de la confrontation. Ce report n’empêche pas le patron du Groupe l’Anecdote de se présenter au palais de justice flanqué de ses avocats et de ses deux témoins. Leur séjour gratuit au cabinet du juge d’instruction sera le prétexte d’une sortie tonitruante du lanceur d’alerte, Boris Bertolt, accompagnée par Vision 4, qui annoncent que 7 des 8 fonctionnaires des impôts inculpés libres en compagnie de Mme Mvogo Emeline ont pris la poudre d’escampette entre-temps. Le juge d’instruction aurait tenté en vain de les joindre au téléphone en présence de M. Amougou Belinga, apprend-on. Il s’agit évidemment d’une fausse information. Mme Aïssatou Adamou émettra le lendemain un nouvel «avis d’interrogatoire» pour la comparution en son cabinet des trois inculpés le mardi 7 juin, à 11h.

La veille, elle a enfin rendu une «ordonnance de rejet de la demande de mise en liberté» du chef du Cric 1 sans ordonner la duplication du dossier de procédure. Pour justifier le maintien en détention provisoire de Mme Mvogo, Mme Aïssatou explique dans son ordonnance, document qui a tout l’air d’avoir été fabriqué ailleurs que dans son cabinet, que la dame «a été placée en détention provisoire en raison d’indices graves et concordants rendant vraisemblable sa participation aux faits de concussion, abus de fonction, chantage et trafic d’influence». Le juge d’instruction affirme aussi sans la moindre nuance que Mme Mvogo, qui «exerce une fonction destinée à servir l’intérêt de la collectivité […], a cependant tiré un profit personnel des prérogatives dont elle est investie». Et elle conclut son propos en déclarant que «la détention de l’inculpée Mvogo Emeline constitue l’unique moyen de parvenir à éviter son renouvellement et conserver les preuves qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité».

Depuis le dépôt de sa plainte, M. Amougou Belinga n’a jamais présenté au juge d’instruction un quelconque élément de preuve attestant autant de la remise de la somme de 50 millions de francs aux personnes qu’il accuse dans sa plainte, que de la tentative d’extorsion des 500 millions de francs dont ils se seraient rendus coupables à la demande alléguée du Directeur général des impôts (DGI). Il n’a pas encore présenté les preuves caractérisant l’abus de fonction, le chantage et le trafic d’influence reprochés aux mis en cause. C’est en tout cas ce que constatent les avocats des fonctionnaires du fisc. Lors de la confrontation avec Mme Mvogo Emeline le 19 mai 2022 peu avant son incarcération, le patron du Groupe l’Anecdote n’avait présenté qu’un document reprenant ses échanges avec le chef du Cric 1 via le réseau WhatsApp. Une initiative insistante de M. Amougou Belinga assisté par ailleurs par le Conseiller technique N°3 du Minfi, selon l’explication de Mme Mvogo.

Juge contesté

Les échanges en question, qui n’incriminent en rien Mme Mvogo, sont loin de corroborer les raisons qu’avance le juge d’instruction pour justifier le maintien en détention provisoire de l’inspecteur des impôts. M. Amougou Belinga n’a pas non plus présenté les enregistrements vidéo annoncés par ses collaborateurs comme supports des preuves de la corruption des inspecteurs des impôts dans ses bureaux. C’est suffisant, concluent les avocats des fonctionnaires du fisc, pour mettre en doute l’impartialité de Mme Aïssatou Adamou dans l’examen de la plainte de M. Amougou Belinga. Le mercredi 1er juin 2022, ils vont non seulement faire appel de l’ordonnance rejetant la demande mise en liberté de leur cliente mais aussi engager une procédure pour qu’un autre juge d’instruction soit désigné pour poursuivre l’enquête judiciaire.

Dans la requête (consultée par Kalara) adressée à la présidente de la Cour d’Appel du Centre avec pour objet «récusation de Mme Aïssatou Adamou épouse Mohamadou», les conseils des fonctionnaires du fisc écrivent que «le doute sur l’impartialité [du juge d’instruction] est très grand car, non seulement les convocations des inculpés ont été mises à la disposition du plaignant en vue de leur lynchage médiatique avant de leur être notifiés, mais, en plus, l’information du placement en détention de dame Mvogo Emeline après la confrontation lui a été rapportée devant témoins par sieur Sida Pierre (conseiller fiscal) et témoin de la victime (Jean-Pierre Amougou Belinga) alors même qu’inculpée, elle avait été laissée libre et qu’elle comparaissait pour une simple confrontation qui n’a par ailleurs rien révélé de nouveau pouvant justifier cette mise en détention subite».

Les conseils ajoutent dans leur requête que le juge d’instruction dont la récusation est sollicitée «a déjà condamné» Mme Mvogo Emeline en prenant fait et cause pour M. Amougou Belinga parce qu’elle considère les «simples déclarations sans preuves (de l’homme d’affaires) comme ayant une force probante comparées à celles de dame Mvogo Emeline alors même qu’elle est censée instruire à charge et à décharge». En soutenant dans l’ordonnance de placement en détention de Mme Mvogo Emeline que la détention provisoire de cette dernière est «l’unique moyen de prévenir son renouvellement», le juge d’instruction est une fois de plus accusé d’avoir failli à son devoir d’impartialité, parce que l’argument du juge signifierait, en d’autres termes, qu’elle est convaincue de la culpabilité de l’inculpée et anticipe une éventuelle «récidive» de la part du chef du Cric 1.

Dans la requête d’appel adressée au président de la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’Appel du Centre le même 1er juin 2022, les avocats des fonctionnaires du fisc vont aller dans le même sens. Ils accusent Mme Aïssatou Adamou d’avoir dénaturé les faits de la cause et d’avoir violé le code de procédure pénale en se prononçant sur leur demande de remise en liberté de Mme Mvogo. Ayant saisi le tribunal par une plainte avec constitution de partie civile, font notamment observer les avocats, «[M.] Amougou Belinga a produit toutes les pièces justificatives de ses allégations sous bordereau et ses pièces se trouvant dans le dossier d’instruction ne peuvent plus faire l’objet d’une quelconque manipulation par dame Mvogo Emeline» qui a du reste «répondu à toutes les convocations». De toutes les façons, la double saisine de la Cour d’appel par les avocats de Mme Mvogo entrainent immédiatement le dessaisissement de Mme Aïssatou Adamou de son dossier judiciaire.

Passe-droit judiciaire

C’est à cette situation qu’est confronté le procureur général près la Cour d’appel du Centre le 3 juin 2022 lorsque le ministre de la Justice lui demande de prendre les «dispositions légales en vue de la mise en liberté de Mme Mvogo Emeline». Mme Aïssatou Adamou, qui avait émis le mandat de mise en détention provisoire du chef du Cric 1 n’est plus en mesure de le lever comme l’aurait commandé le principe du parallélisme des formes. Le dossier se trouve déjà à la Cour d’appel du Centre. Mais l’audience de la chambre de contrôle de l’instruction programmée ce lundi, 6 juin 2022, comme le précise la note du PG Ntamack Jean Kleber au Garde des Sceaux, est encore inconnue des avocats des fonctionnaires du fisc, selon les informations de Kalara. Ce qui est sûr au regard des instructions présidentielles, sauf nouveau retournement de la situation, c’est que Mme Mvogo Emeline va retrouver sa famille et ses collègues à l’issue de l’examen de l’appel interjeté par ses avocats.

Quel sera l’impact de la remise en liberté programmée du chef de Cric 1 sur la suite de la procédure ? En marge de la décision attendue de la chambre de contrôle de l’instruction, la présidente de la Cour d’appel est du Centre appelée à instruire la requête en récusation de Mme Aïssatou Adamou qui est parvenue sur sa table le 1er juin dernier. Si le chef de la juridiction accède à la demande des avocats des fonctionnaires du fisc, un nouveau juge sera sans doute désigné pour prendre le relai de son collègue désavoué. Dans le cas contraire, très improbable au regard de l’évolution du dossier, le juge d’instruction va poursuivre l’examen de son dossier. De toutes les façons, l’enquête judiciaire autour de la plainte de M. Amougou Belinga est suspendue en attendant la décision de la présidente de la Cour d’appel.

Une chose est sûre : le patron du Groupe l’Anecdote a déjà incontestablement perdu de son influence sur les magistrats dans l’affaire qui l’oppose au fisc, voire au-delà. Sa relation privilégiée avec le Garde des Sceaux, synonyme de passe-droit judiciaire jusqu’ici, a pris du plomb dans l’aile. L’homme d’affaires est désormais obligé d’apporter la preuve concrète de ses allégations à l’égard des fonctionnaires du fisc pour espérer les inquiéter comme il s’en était fixé l’objectif, dans le but ultime de paralyser le recouvrement des 28,6 milliards de francs d’arriérés fiscaux et pénalités que lui réclame l’administration fiscale (lire l’édition N°427). Cette dernière peut poursuivre avec plus de sérénité le recouvrement forcé, même si M. Amougou Belinga a saisi entre-temps le président du Tribunal administratif de Yaoundé (lire ci-contre) en vue d’obtenir, en violation de la procédure fiscale, une décision de sursis à payer la somme de 10,8 milliards de francs.

Rappelons que l’affaire qui oppose M. Amougou Belinga à l’administration fiscale et à certains de ses cadres est née d’un rapport de l’Agence nationale d’investigation financière adressé en 2021 à la DGI au sujet des soupçons d’évasion fiscale concernant 67 entreprises au total dont 12 appartenant ou apparentées au patron de Vision 4. Les contrôles fiscaux déclenchés à la suite de cette alerte ont abouti à la constatation des arriérés fiscaux de 18,3 milliards de francs, par le Cric 2, et de 11 milliards de francs, par le Cric 1. M. Amougou Belinga a payé jusqu’ici 500 millions après le premier redressement fiscal, ramenant sa dette à 17,8 milliards de francs, puis obtenu après contestation un allègement du second redressement qui a été ramené à 10,8 milliards de francs. Des avis de mise en recouvrement (AMR) ont été émis à chaque fois pour le recouvrement forcé de ces sommes d’argent. Ce que l’homme d’affaires combat avec l’aide de ses amis tapis dans l’appareil judiciaire et dans d’autres sphères de l’Etat.