Actualités of Thursday, 5 October 2017

Source: camer.be

Affaire Bala: l'Eglise catholique n'a pas dit son dernier mot

L’enquête officielle refuse d’envisager une autre version que celle du suicide L’enquête officielle refuse d’envisager une autre version que celle du suicide

Après la profanation de la tombe de l’évêque, fin août dans la cathédrale, un rite de réparation doit être célébré demain par l’administrateur apostolique du diocèse. L’unique route qui relie Yaoundé à Bafia, à une centaine de kilomètres au nord, impose de franchir un immense pont. « C’est ici qu’on a découvert la voiture de l’évêque », indique Charles avec gravité en y engageant sa voiture. Ce chauffeur, comme la plupart des habitants de la région, connaît dans le détail les éléments qui entourent la mort, encore mystérieuse, de Mgr Jean-Marie Benoît Bala, évêque de Bafia, le 2 juin. En contrebas s’écoulent les eaux troubles, gonflées par la saison des pluies, du fleuve Sanaga. C’est dans celui-ci que le corps inerte de l’évêque a été repêché, trois jours après sa disparition.

Il faut encore rouler 40 kilomètres pour arriver à Bafia, 55 000 habitants, petite ville du centre où règne, comme dans les autres villes du pays, un indescriptible chaos de vie. Puis, quittant les quelques avenues goudronnées, traverser un dédale de chemins de terre rouge cabossés, pour finalement parvenir à la cathédrale. On y trouve porte close, et un écriteau en lettres rouges : « Cathédrale fermée jusqu’à nouvel avis ». Dans l’attente d’un rite de réparation après la profanation de la tombe de Mgr Bala, à l’intérieur du bâtiment, dans la nuit du 28 août. Celui-ci devrait être célébré demain par l’administrateur apostolique du diocèse, Mgr Abraham Kome, évêque de Bafang.

L’onde de choc déclenchée n’est pas retombée

Le bureau du recteur de la cathédrale se trouve dans un bâtiment voisin. Par la porte ouverte sur la rue, on saisit la fin d’une discussion avec une paroissienne. « Mon père, ce n’est pas facile pour nous en ce moment. »« Ça ne l’a jamais été, répond le prêtre, depuis Jésus-Christ. » Ambiance. Quatre mois après les faits, l’onde de choc déclenchée par la mort de l’évêque, dans tout le pays, n’est pas retombée. En témoignent, en plusieurs endroits de la ville, les grandes banderoles qui, dans la tradition festive des deuils camerounais, annoncent toujours les obsèques de Mgr Bala. Superstition ou geste de soutien, on raconte que les services de la mairie rechignent à les décrocher…

« Nous vivons un grand traumatisme », témoigne sans détour le père Jean-Aimé Amougou Mballa. Au fond de son bureau, sur une table basse, une bougie se consume devant un portrait de l’évêque défunt. « Nous ressentons une douleur mêlée de frustration, car nous sommes face à une machine qui s’emploie à faire que la vérité ne soit pas connue. » L’enquête officielle refuse d’envisager une autre version que celle du suicide. Mais ici, personne n’y croit, à commencer par le recteur. « J’étais là quand le corps a été sorti du fleuve. Si Mgr Bala s’était donné la mort en sautant du pont trois jours plus tôt, son corps aurait été nettement plus endommagé. »

Si les catholiques camerounais ne doutent pas une seconde qu’il s’agisse d’un assassinat, ils se perdent en conjectures sur les raisons d’un tel acte. Beaucoup font le lien avec le décès, dix jours auparavant, du recteur du petit séminaire de Bafia. Selon la théorie la plus répandue, les deux hommes auraient été sur le point de mettre au jour un scandale de mœurs, impliquant des jeunes de l’établissement. Quant à la profanation de la tombe, il s’agirait d’un rituel magique destiné à éviter d’être maudit par le défunt. Les rumeurs les plus folles circulent. Ici, on affirme que le pêcheur qui avait, le premier, découvert le corps de Mgr Bala, serait porté disparu. Là, on annonce à tort la mort du chauffeur de l’évêque.

La semaine dernière encore, l’affaire a défrayé la chronique : sur l’application de messagerie WhatsApp, très utilisée par les Camerounais, un opposant politique en exil a accusé le directeur général du Fonds national de l’emploi d’être l’assassin et le profanateur. La rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre, poussant l’accusé à démentir. Le lendemain, ce rebondissement faisait la « une » de l’un des principaux quotidiens du pays.

« C’était un homme discret, mais vraiment libre »

« Comme personne ne connaît la vérité, cette affaire peut être instrumentalisée par n’importe qui », déplore le père Félix Amougou, chargé de la communication du diocèse de Yaoundé. En évoquant l’affaire, le prêtre fait défiler sur son smartphone des photos de lui, sur un plateau de la télévision d’État. « On m’a envoyé au front, plaisante-t-il, à un moment où on reprochait à l’Église de ne pas parler assez haut à ce sujet. » Il est donc allé défendre publiquement la thèse du meurtre. « Je n’ai pas eu de problèmes après ça, mais beaucoup de messages de mon entourage me disant de faire attention. »

L’Église de Bafia se serait bien passée d’une telle publicité. Encore en construction, ce jeune diocèse, qui compte 50 prêtres pour 48 paroisses, fêtera en janvier son 50e anniversaire, dans une bien curieuse ambiance. Peut-on craindre d’autres morts ? La question est dans tous les esprits. « On ne se sent pas en sécurité. On ne sait pas à qui faire confiance… », confirme le père Serge Alaga Guihoata, principal du collège Sabaya, le plus grand établissement catholique de Bafia.

Ce jeune prêtre de 31 ans est fier de faire visiter le collège qui accueille un millier d’élèves, et qui fut l’un des grands chantiers de Mgr Bala. « C’était un homme discret, mais vraiment libre, très soucieux d’éducation. C’est lui qui a fait construire ce bâtiment », se souvient-il en désignant une grande bâtisse dans laquelle s’égaient des dizaines d’enfants en uniforme. En attendant la nomination d’un nouvel évêque, le principal veut aller de l’avant. « Ce drame a rapproché les habitants. Les prêtres sont plus soudés, les églises sont pleines… Vous pourrez dire, en France, que l’Église de Bafia est forte, et qu’elle est debout. »

Les rebondissements de « l’affaire Bala »

• 31 mai 2017. La voiture de Mgr Bala est retrouvée vide sur un pont au-dessus du fleuve Sanaga, entre Yaoundé et Bafia, avec un mot laconique : « Je suis dans l’eau ».

• 2 juin. Le corps de Mgr Bala est repêché dans le fleuve. Les premières constatations médicales écartent la thèse du suicide par noyade.

• 13 juin. À l’issue d’une assemblée extraordinaire, la conférence des évêques camerounais affirme que Mgr Bala a été « brutalement assassiné ».

• 4 juillet. Le procureur général de la cour d’appel affirme que « la noyade est la cause la plus probable du décès de l’évêque ». Cette déclaration fait suite à une nouvelle autopsie pratiquée, à la demande des autorités, par deux médecins allemands envoyés par Interpol.

• 7 juillet. Mgr Samuel Kleda, président de la Conférence épiscopale, réaffirme sa conviction que Mgr Bala a été assassiné. Des proches de l’épiscopat mettent en cause l’honnêteté de la dernière autopsie.

• 2 août. Les obsèques de Mgr Bala sont célébrées à Yaoundé. Il est inhumé le lendemain dans la cathédrale de Bafia.

• 28 août. Dans la nuit, la tombe de l’évêque et la cathédrale sont profanées. Du sang est retrouvé sur la tombe, dans la nef et sur la cathèdre.