Actualités of Friday, 18 November 2022

Source: www.camerounweb.com

Affaire Equinoxe : Atanga Nji veut que vous la boucler !

Paul Atanga Nji Paul Atanga Nji

La lettre du ministre de l’Administration territoriale du 11 novembre 2022 instruisant le gouverneur de la région du Littoral de prendre une batterie d’initiatives contre un journaliste et le promoteur d’Equinoxe tv, pour « propos injurieux et diffamatoires à l’endroit du chef de l’Etat et des institutions de la République », fait désordre dans le champ médiatique camerounais. Et c’est le lieu de le dire, pendant tout son long magistère, Paul Biya a toujours encaissé avec hauteur et détachement les multiples dérives langagières sur sa personne. Il est même arrivé qu’à un sommet, il lance sous forme de boutade à ses collaborateurs « chacun apprécie la liberté d’expression », un peu pour rire de l’agacement de certains face au ton caustique de la presse. On se souvient. L’affaire Njawé et Célestin Monga ! En janvier 1991, suite à une lettre ouverte de célestin Monga au chef de l’Etat camerounais intitulée « la démocratie truquée », parue dans Le Messager N°209 du 27 décembre 1990, Njawé était condamné le 18 janvier 1991, avec Célestin Monga, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pendant 3 ans et 300.000 Fcfa d’amende chacun pour outrage au chef de l’Etat. La procédure initiée par le patron de l’Administration territoriale, nous ramène-t-elle vers cette case de départ ? Et si aujourd’hui Paul Atanga Nji se décide de lutter contre la presse, n’est-ce pas là un autre combat de Don Quichotte dans le roman de l’Espagnol Miguel de Cervantes ? « Ne fuyez pas, lâches et viles créatures, c’est un seul chevalier qui vous attaque », lance Don Quichotte au moment d’ouvrir la guerre contre les moulins à vent. Le chevalier Atanga Nji, en dégainant son artillerie répressive contre cet organe de presse oublie-t-il que c’est un moulin, une cible civile protégée ? La loi N° 90-52 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale, en son article 17 (nouveau), et ce en son alinéa premier, dit « qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, - la saisie d'un organe de presse peut être prononcée par l'autorité administrative territorialement compétente, - l'interdiction d'un organe de presse peut être prononcée par le ministre chargé de l'Administration territoriale ». En ce qui concerne Équinoxe télévision, le fait que Lebon Datchoua ait déclaré au cours de l'émission Équinoxe soir que « Paul Biya est l'une des malchances que le Cameroun ait connues », est-ce constitutive de trouble à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ? Le ministre de l’Administration territoriale, en se glissant dans le champ de la régulation n’est-il pas en train de marcher sur les plates-bandes du Conseil national de la communication ? Avec ces interrogations, Le Messager s’est tourné vers les praticiens les hommes politiques pour recueillir leurs avis face à ces préoccupations. Les avis divergent comme on le constate à l’aune des clivages politiques.

Réactions

Essomba Bengono Engelbert, Député Rdpc de la Mefou et Akono

« Datchoua Lebon est passible de poursuites judiciaires »

« Les déclarations de M. Datchoua Lebon ne sont pas seulement une menace à l'ordre public moral, mais elles sont constitutives d'outrage au Président de la République, au sens de l'article 152 du code pénal. L'article 153 du même code pénal punit de lourdes peines celui qui outrage la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives de président de la République ou de chef d'État. Autrement dit, M. Datchoua Lebon est passible de poursuites judiciaires sur la base des articles 152 et 153 du code pénal. On peut également fonder une action judiciaire contre lui sur la base des dispositions légales sur la propagation de fausses nouvelles. Être opposant au régime ne dispense pas d'être bien éduqué et respectueux du droit à la dignité et à l'honorabilité des autres citoyens. »

Benoît Feudjieu, conseiller municipal Rdpc de Yaoundé 7

« L’infraction de Datchoua est l’outrage au chef de l'Etat »

« Le Cameroun est un état de droit avec des très belles lois qui échappent le plus souvent au bon usage du fait de la liberté d'expression mal exploité. Les propos de Lebon Datchoua qui sont dans un premier temps des injures peuvent aussi faire l'objet des troubles à l'ordre public selon l'appréciation de l'autorité administrative qui reste le seul juge de l'opportunité. Ces propos peuvent être qualifiés d'outrage au chef de l’Etat dans la mesure où l'auteur les prononce à l'affirmatif sans être capable de produire les éléments probants qui accompagnent de telles élucubrations. On se souvient des trois jeunes qui ont été condamnés en juin 2021 à un an de prison pour outrage au chef de l'état dans le littoral. Le cas Patrice Nganang interpellé et gardé pendant plusieurs heures en 2017 en est une autre illustration. Le caractère offensif et fougueux de Datchoua ne lui a pas permis de faire la différence entre la critique et l'injure. Il faut cependant faire la différence entre le juriste qui interprète la loi dans la lettre et l'esprit avec le juge de l'opportunité de l'ordre public. Ce qui veut dire que Datchoua, bien que son infraction soit outrage au chef de l'Etat, il n'en demeure pas moins que le gardien de l'ordre public seul juge de l'opportunité qui est l'autorité administrative, lui colle selon son appréciation, la seconde infraction qui est l'atteinte à l'ordre public, estimant de ce fait que ces déclarations soient de nature à créer un soulèvement du peuple qui se battrait à expulser cette pseudo malchance du Cameroun ».

Shanda Tonme, président national du Mpdr

« Sans tolérance, nous sèmerons des vexations pour plusieurs générations »

« Une correspondance de monsieur le ministre de l’Administration territoriale, mettant en cause un journaliste du Groupe Equinoxe, est venue raviver le débat sur la liberté de la presse avec à la clé, l’inévitable interrogation sur les arcanes déontologiques de la profession. En réalité ce qui est en cause, va loin au-delà de la simple appréciation d’une déclaration lors d’un débat, de même que ses implications sociales et politiques dans une société plus que jamais fragilisée et plombée par toutes sortes de dérives, tant privées qu’officielles. Le Mpdr se dit fortement préoccupé, et rappelle à la mémoire des uns et des autres, le précieux document intitulé « Lettre intime à la presse de mon pays », commis par son président le 5 juillet 2022. Le Mpdr recommande à chaque acteur civil et politique de s’en inspirer profondément, honnêtement et humblement. Le fil conducteur demeure que sans retenue, sans humilité et sans tolérance, nous n’avancerons jamais, et nous sèmerons regrettablement des vexations pour plusieurs générations ».

Jean Robert Wafo, homme politique du Sdf

« Donner des instructions au Cnc est une incongruité indigeste en République »

« Le Conseil national de la communication est une institution autonome de par les textes qui le régissent. Donner des instructions à cet organe de régulation des médias participe d'une incongruité indigeste en République. Le ministre Atanga Nji est ministre de l'administration territoriale. La régulation des médias ne fait aucunement partie de ses prérogatives. À quel titre peut-il donc donner des injonctions pour convoquer le Pdg d'une chaîne de télévision, le présentateur d'une émission de télévision ou un panéliste ? Est-il devenu ministre de la communication ? Dispose-t-il des attributions transversales comme le Premier ministre, Chef du gouvernement ? Est-il devenu par un décret fantôme le Premier ministre-bis ou en concurrence ? À ce que je sache, il n'y a qu'un seul ministre de la communication, de même qu'il n'y a qu'un seul Premier ministre. Encore que même le ministre de la communication, tutelle des médias, ne saurait le faire. Certains tentent laborieusement de convoquer la loi de 90 sur la communication sociale notamment l'article 17 de ladite loi qui indique qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, l'interdiction d'un organe de presse peut être prononcée par le ministre de l'administration territoriale. Cette disposition ne saurait s'appliquer contre une chaîne de télévision qui n'est pas un média écrit. Pour ce qui concerne les médias non écrits, la prérogative de suspension ou d'interdiction a été transférée à l'organe de régulation des médias qu'est le CNC. Cet article 17 est caduque, obsolète et devrait être extirpé de la loi de 90 sur la communication sociale depuis le décret portant création du conseil national de la communication à qui incombe désormais la responsabilité d'infliger des sanctions à l'encontre des médias sur la base d'une procédure au cours de laquelle les droits de la défense ont été préalablement garantis. S'agissant du panéliste Engelbert Lebon Datchoua qui a déclaré que « Paul Biya est l'une des malchances que le Cameroun ait connues », j'estime que cette déclaration ne devrait pas lui valoir une telle déferlante du ministre de l'administration territoriale alors qu'on proclame à longueur de discours officiels que la liberté d'expression est réelle au Cameroun. Le dire n'est aucunement un trouble à l'ordre public encore moins aux bonnes mœurs. Ce n'est pas la première fois que des panélistes le disent ou que la presse l'écrit. Il n'y a pourtant jamais eu trouble à l'ordre public. En France, on a vu un citoyen en face du président Emmanuel Macron et devant caméras déclarer que celui-ci est « le plus nul des présidents de l'histoire de la cinquième République ». Si M. Atanga Nji avait été à la place de Gérard Darmanin, il aurait immédiatement fait arrêter ce citoyen français, demandé le rétablissement de la peine de mort, exigé sa condamnation et ordonné sa fusillade immédiatement après la sentence. Le ministre de l'administration territoriale aurait pu se référer discrètement au Cnc ou à son collègue en charge de la communication. Voulant peut-être exister politiquement à tout prix et à tous les prix, il a fait le choix de l'intrusion intempestive dans un domaine qui n'est pas le sien. Intrusion malheureusement révélatrice de la cacophonie gouvernementale. C'est le moins que l'on puisse noter. Il serait resté tranquille que l'extrait de cette émission ne serait pas devenu autant viral. Et c'est le fait pour M. Atanga Nji d'avoir rendu viral cet extrait qui pouvait justement provoquer un trouble à l'ordre public. Il est par ailleurs difficile de donner du tort à ceux qui estiment que le ministre de l'administration territoriale est coutumier du fait. On l'a vu par exemple pousser le bouchon trop loin au point de nommer les présidents de partis politiques. Fort heureusement la Cour suprême lui a infligé un cinglant désaveu sur ce dossier politique. Le Cnc gagnerait à suivre l'exemple de la Cour suprême pour marquer les esprits par rapport à son autonomie ».

Chuo Walters, Enseignant d'économie et chercheur à l’université de Yaoundé II Soa

« Que le Minat laisse Équinoxe télévision travailler tranquillement »

« Je pense que c'est plutôt la compétence du ministre de la Communication à travers le Conseil national de la communication. Pour ma part, c'est un problème de bonnes mœurs. Il faut d'abord condamner cette déclaration que Lebon Datchoua a faite. De ce fait, lui-même a dit que ça l'engage. Je ne comprends pas comment le Minat peut sommer le promoteur de la chaîne et le présentateur de l'émission alors que le responsable s'est engagé. J'ai été convoqué à la Sécurité militaire (Semil) pour avoir fait une déclaration à Canal 2 international le 4 septembre 2022. Ni le promoteur ni le présentateur de l'émission Canal press n'ont jamais été sanctionnés. On appelle ça une justice à deux variables. Que le Minat laisse Équinoxe télévision travailler tranquillement, sinon l'imaginaire populaire croira qu'il y a un problème particulier avec le Pdg d’Equinoxe ».