Actualités of Friday, 25 March 2016

Source: journalducameroun.com

Affaire Koumateke : Les commentaires d'Achille Mbembe

Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration

L’universitaire camerounais parle de «processus d’ensauvagement en cours» et d’«extraordinaire brutalisation des corps et des esprits»  

Achille Mbembe, avec le verbe, la verve et la liberté de jugement qu’on lui connait quand il faut parler des problèmes qui touchent son pays, n’est pas resté indifférent face à l’indignation générale suscitée par la mort, le 12 mars dernier, d’une femme enceinte et ses deux fœtus dans un hôpital public de Douala. Le drame, qui a vite été qualifié d’affaire Monique Koumateke (du nom de la défunte), a attiré l’attention sur les faiblesses du système médical au Cameroun de façon générale, et sur celles du système de prise en charge des urgences médicales de façon particulière.

«Plusieurs voix se sont élevées pour condamner cette barbarie qui, à l’extérieur en tous cas, donne du Cameroun l’image d’une contrée habitée par des gens féroces et sauvages, et incapables de se gouverner eux-mêmes, c’est-à-dire de se doter des institutions qui garantiraient une vie digne à tous et à toutes. Mais vous le savez bien, cela fait très longtemps que l’on prêche dans le désert. Beaucoup n’ont cessé, depuis deux ou trois décennies, d’attirer l’attention sur le processus d’ensauvagement en cours dans ce pays; sur l’extraordinaire brutalisation des corps et des esprits, la transgression radicale de toutes les normes, l’impunité ou encore l’application sélective des règles», explique Achille Mbembe dans une interview accordée sur le blog de Félix Mbetbo.

«Au fond, l’enkystement dure depuis plus de trente ans, et beaucoup le savent d’ailleurs, y compris au sein des classes dirigeantes», relève le professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand en Afrique du Sud.

 
A Achille Mbembe de se questionner: «Qu’est-ce qui nous a conduit à cette configuration où, face à une classe dominante totalement débarrassée de tout sentiment de honte ou d’obligation, l’on ne trouve qu’une masse de gens tout à fait inertes, radicalement compromis, prêts à toutes sortes d’arrangements, et si violentés mentalement que plus rien ne peut les ébranler, même pas la possibilité de leur propre extinction?»

«L’agitation à la petite semaine ne suffit pas. Faute de répondre à ces questions, nous ne nous en sortirons pas», affirme-t-il encore.

Interrogé sur la capacité de certains citoyens à manifester leur opposition aux multiples appels à une nouvelle candidature de Paul Biya à la prochaine présidentielle, l’auteur de «Le politique par le bas. Contribution à une problématique de la démocratie en Afrique noire» (Karthala, 1991) dit observer une sorte d’inertie et d’attentisme. «L’histoire ne connait pas de miracles et la soumission n’est pas une vertu. Au contraire, à force de s’éterniser, elle engendre des situations périlleuses et inextricables qu’il sera difficile de démêler dans le futur parce qu’en fin de compte, tout le monde aura été profondément compromis. Pour le reste, l’on aura beau faire dans la fuite en avant, le mur n’est plus tout à fait loin. Il faut savoir organiser la fin. Car si on ne le fait pas, tout risque de se terminer dans un énorme fracas.»

Achille Mbembe vient de publier un nouvel essai : «Politiques de l’inimitié», paru ce mois de mars 2016 aux éditions La Découverte.