Actualités of Tuesday, 10 January 2023

Source: www.camerounweb.com

Affaire Mebe Ngo’o : Les avocats du Lieutenant-colonel Mboutou Elle plaident l'incompétence du Tcs et dénoncent l'acharnement contre leur client

Le Lieutenant-colonel Mboutou Elle Le Lieutenant-colonel Mboutou Elle

Renvoyées pour ce lundi 09 janvier 2023, les plaidoiries de l'accusé MBOUTOU ELLE Ghislain Victor se sont ouvertes par Me NGUINI Charles, dont ci-dessous la prise de parole :

J’ai entendu les réquisitions du ministère public, donc je salue les évidentes qualités intellectuelles bien qu’associées à un sens de l’imagination hors du commun ! Ces réquisitions, à la vérité, nous ont semblé tellement en conformité avec l’acte l’accusation (l’ordonnance de renvoi du Juge d’instruction et ses réquisitions intermédiaires), que nous nous sommes demandé si les débats n’ont jamais eu lieu dans cette affaire ! Heureusement que ces réquisitions n’engagent pas votre Tribunal qui aura finalement le dernier mot.
J’ai aussi suivi avec un vif intérêt les observations des défenseurs de la partie civile, l’Etat du Cameroun, dont je me serai attendu à plus de cohérence et de considération, de leur part, quant à la situation tragique de mon client en particulier, compte tenu de ce qu’ils ont, en d’autres circonstances, eu à faire preuve de plus de sensibilité et de discernement plutôt que de s’ériger en accusateurs redoutables.

Le véritable enjeu de ce procès, c’est bien la capacité de notre système judiciaire à explorer _‘‘la face cachée des possibilités’’,_ à creuser l’écart entre le droit et la réalité par une nouvelle extension du sens de la Justice et, surtout à examiner, comme si tout était possible, si l’on peut organiser un accès de la Justice aux choses relevant du Secret Défense sans mettre en danger les informations protégées.
Dans quelques jours, après les plaidoiries de la défense, vous allez vous retirer pour délibérer. Vous devrez réfléchir aux modes de preuve invoqués devant votre tribunal et vous rappeler les dispositions de l’article 310 du Code de procédure pénale ci-après :
- le juge décide d’après la loi et son intime conviction.
- sa décision ne doit être influencée, ni par la rumeur publique, ni par la connaissance personnelle qu’il aurait des faits, objet de la poursuite.
- elle ne peut être fondée que sur des faits administrés au cours des débats.
C’est ainsi que les choses se présentent ! L’on vous a demandé de vous préoccuper du sort de la fortune publique. J’y souscris entièrement parce que je partage les mêmes valeurs, pas seulement de façon passagère et opportuniste.
Je suis un homme que la chose publique préoccupe et que le détournement des biens publics dégoûte. Toutefois, je voudrais vous rappeler que votre tâche est lourde, comme l’est la fonction judiciaire, parce que comme juges, vous devez dire le droit hors de toute autre considération, vous n’aurez de compte à rendre qu’à votre conscience, parce qu’elle est l’arbitre de votre intime conviction.
Au fait, quelle est cette preuve, certaine et irrécusable, qui a déterminé l’accusation à agir contre le Lt Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor ? Par quelle voie venait cette preuve au point de le mettre aux arrêts après l’avoir à peine entendu ?
Voici un bref rappel de la procédure. En date du 05 mars 2019, MBOUTOU ELLE Ghislain Victor, Lieutenant-Colonel dans l’Armée de l’Air et chef de Secrétariat Militaire Adjoint au Ministère de la Défense, a été interpellé et mis sous mandat de détention provisoire pour s’être :
_‘‘Par quelque moyen que ce soit rendu complice du crime de coaction de détournement reproché à MEBE NGO’O Edgar Alain Abraham et Robert FRANCHITTI, pour la somme de plus de six cent cinquante millions (650.000.000) FCFA, commissions occultes représentant le pourcentage de 10 et 3% appliqué sur les montants des marchés surfacturés de fourniture des effets d’habillement militaire, attribués à MAGFORCE International du 20 mai des années 2012 et 2014 ; et autres centaines de millions obtenus frauduleusement sur d’autres marchés du MINDEF, à travers la facilitation dans le traitement des dossiers relatifs aux marchés d’acquisition des effets d’habillement et équipements militaires.’’_
Interloqué par cette accusation aussi subite, insolite que contestable, puisque rien ne permettait de relier mon client à la chaîne de commande et d’exécution des marchés au Ministère de la Défense. L’Ordonnance de renvoi du 26 août 2020 indiquera que le lieutenant-colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor a été renvoyé devant ce Tribunal pour répondre des faits de complicité de détournement, non plus seulement de la somme de 650.000.000 F, mais bien de celle de 13.400.300.582 FCFA, pour des faits de corruption et de blanchiment aggravé des capitaux dont le montant avoisine 5.000.000.000 FCFA, soit au total la faramineuse somme de 18.400.300.582 FCFA.
Or, il convient de rappeler que pour arriver à cette lourde inculpation dans l’ordonnance de renvoi suscitée, le juge d’instruction a notamment soutenu ce qui suit : " _Que ce même jour (08 mars 2019), MBOUTOU ELLE Ghislain Victor, Officier Supérieur de l’Armée de l’Air, occupant la fonction de Chef de Secrétariat militaire Adjoint, a également été inculpé des mêmes faits, mais pour le compte des fêtes nationales du 20 mai des années 2012 à 2014, en raison de son implication dans le traitement des dossiers relatifs aux marchés d’acquisition des effets d’habillement et équipements militaires"_.
Depuis le début de la présente affaire, nous avons déploré le fait que le juge d’instruction, et le ministère public à sa suite, aient constamment mentionné la qualité d’Officier Supérieur et la fonction occupée par l’accusé MBOUTOU ELLE Ghislain Victor au moment de la commission présumée des faits, sans s’interroger sur la compétence du Tribunal dévolu à son statut, c’est-à-dire à sa situation professionnelle au Ministère de la Défense. D’où l’exception soulevée à ce propos en son temps.
De même, nous regrettions grandement, sans que cela constitue une exception tel que le ministère public l’a indiqué dans ses réquisitions, que le même juge n’ait pas questionné quel était le traitement juridique à appliquer aux marchés spéciaux, autant qu’il a feint d’ignorer, puis s’est permis d’invoquer, sans aucun fondement légal, les questions liées à l’autre volet de la présente procédure qui se déroule en France.

Sur l'exception tirée du statut d'Officier Supérieur de MBOUTOU ELLE Ghislain Victor
Au terme des dispositions de l’article 8 du Code de justice militaire en son alinéa c : _"Le Tribunal Militaire est seul compétent pour connaître, ...des infractions de toutes natures commises par des militaires ou par le personnel civil en service dans les Forces de Défense, avec ou sans coauteurs ou complices civils, soit à l’intérieur d’un établissement militaire, soit dans l’exercice de leurs fonctions"_ Il ressort des dispositions ci-dessus que toutes les infractions commises par un Militaire, soit à l’intérieur d’un établissement militaire, soit dans l’exercice de ses fonctions, comme c’est le cas pour mon client, relèvent de la compétence exclusive des juridictions militaires. Cette règle se justifie en ce que, comme tous les agents de l’Etat, les militaires sont soumis au principe de responsabilité ; en fonction des manquements constatés, les poursuites peuvent être disciplinaires, civiles ou pénales. En ce qui concerne la qualification des faits objet de la poursuite contre mon client, ils relèvent de la dissipation d’effets militaires, et le Code de Justice Militaire en donne la définition en son article 52 ainsi qu’il suit : _"- on entend par effets militaires au sens du présent code, l’ensemble des biens meubles et immeubles qui, par nature ou par destination, sont affectés au service des forces de défense"_ . Et l’article 53 du même Code, pour sa part, précise les peines encourues par tout Militaire qui détournerait des effets militaires. Malgré les dispositions précises ci-dessus visées, il est curieux que le Juge d’Instruction, puis le ministère public, aient continué de réclamer la compétence du Tribunal Criminel Spécial en se fondant sur les seules dispositions de l’article 184, alinéas 1 à 5 du Code pénal relatives au détournement de biens publics, alors que l’alinéa 6 du même article dispose précisément que : _"le présent article n’est pas applicable aux détournements ou recels d’effets militaires visés au Code de Justice Militaire"_ Il semble évident que le cas du Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE doive relever du Tribunal militaire.
Pourtant certains de nos exégètes nous opposent l’article 53 alinéa 6 du Code de Justice Militaire qui croit pouvoir retenir la compétence du Tribunal Criminel Spécial pour le détournement d’effets militaires commis par des militaires lorsque la valeur est supérieure ou égale à cinquante millions (50 000 000) FCFA. Tout cela semble induire un conflit entre l’alinéa 6 de l’article 53 du Code de Justice Militaire et l’alinéa 6 de l’article 184 du Code pénal. Pour rechercher quelle est la juridiction compétente en l’espèce, il importe de rappeler qu’en droit pénal processuel, lorsqu’il y a conflit entre la compétence personnelle et la compétence matérielle, c’est la compétence personnelle qui l’emporte. Evoquer en premier la compétence personnelle, c’est faire référence à la situation du délinquant au moment où il a commis les faits, donc à sa qualité. Ainsi, si la personne était mineure au moment des faits, son sort relèvera de la juridiction pour mineurs. Et s’il s’agit d’un militaire comme l’accusé MBOUTOU ELLE Ghislain Victor, il devrait être jugé par les juridictions spécialisées en matière militaire.
Pour régler définitivement cette question, je vous invite à vous inspirer des motivations du TCS relatives à une cause similaire opposant l’Etat du Cameroun et le ministère public à MBIA ENGUENE et autres pour complicité de détournement de biens publics, objet de l’Arrêt du 07 février 2020. Dans cette affaire, le TCS avait rejeté l’exception d’incompétence soulevée par certains accusés qui, eux aussi, demandaient à être jugés par le Tribunal Militaire, au motif que le Tribunal étant saisi « in rem » et « in personam », " _qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi rendue dans la cause que la présente procédure qui ne concerne que les agents du Trésor, n’implique aucun militaire et que les faits décriés ont été commis, non pas dans un établissement militaire comme le prétendent les accusés, mais dans leurs postes comptables respectifs. Que dès lors, les mémoires de frais de justice militaire ne sauraient être assimilés à des effets militaires au sens des articles 52 et 53 du Code de justice militaire"_ Existe-t-il une meilleure consécration des articles 52 et 53 du Code de Justice Militaire que cette pertinente motivation ?
Assurément non ! L’affaire qui nous concerne implique bien un militaire (Officier supérieur de surcroît), dans l’exercice de ses fonctions et les faits décriés se déroulent à l’intérieur d’un établissement militaire.
Bien plus, l’accusé MBOUTOU ELLE Ghislain Victor réfute l’application à son encontre de la loi n° 2017/012 du 12 avril 2017 portant Code de Justice militaire du fait qu’il s’agit de dispositions nouvelles plus rigoureuses qui ne sauraient s’appliquer à des faits commis antérieurement. Il réclame l’application à son endroit de la loi n° 2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant les règles de procédure applicables devant les tribunaux militaires. C’est la loi applicable à l’époque des faits et cela est en conformité de l’article 4 du Code Pénal qui dispose : _"Toute disposition pénale nouvelle et moins rigoureuse s’applique aux infractions non définitivement jugées au jour de son entrée en vigueur. Si la disposition nouvelle est plus rigoureuse, les infractions commises avant son entrée en vigueur continuent à être jugées conformément à la loi ancienne"_
Aussi, nous le rappelons, encore une fois, la juridiction naturelle du Militaire est le Tribunal Militaire.
Il s’agira donc de faire application à mon client des dispositions de la loi n° 2008/15 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant les règles de procédure applicables devant les Tribunaux Militaires.
Que celui-ci ne saurait être jugé que par ses pairs ;
Qu’il en a toujours été ainsi sous tous les cieux ;
Que la question de la connaissance par des juridictions civiles des infractions commises par des militaires est importante et délicate car si un militaire est jugé par une juridiction de droit commun, surgit la crainte que ne soient pas prises en considération les exigences propres au métier des armes et notamment les éléments liés au contexte de fonctionnement de la _"Grande Muette"_ ;
Le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor est poursuivi devant Vous pour ses dernières fonctions de Chef de Secrétariat Militaire adjoint au Ministère de la Défense.
C’est pour les motifs ci-dessus évoqués que nous vous demandons, une fois de plus, de vous déclarer incompetent et de renvoyer l’affaire concernant le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor devant le Tribunal Militaire compétent.
Dans le cas où votre Tribunal se déclarerait COMPETENT, et qu’il nous faille revenir aux réquisitions du Ministère public, qui sont extrêmement sévères contre mon client, je vous le dis d’emblée que celles-ci ne correspondent pas à la réalité du dossier, et que j’entends démontrer que mon client est INNOCENT.

S'agissant de la complicité de détournement de biens publics l’accusation énonce ce qui suit : _"Attendu qu’en ce qui concerne MBOUTOU ELLE Ghislain Victor, c’est vainement qu’il a tenté de cantonner sa responsabilité aux seuls marchés adjugés à la société MAG FORCE INTERNATIONAL, alors qu’il a joué un rôle prépondérant dans l’attribution et l’exécution de tous les marchés d’acquisition des effets de HCCA ; qu’ayant pris le relais de MBANGUE Maxime Léonard, il a reconnu avoir fusionné l’ensemble des besoins exprimés en quantité de matériels par les Armées, avant de les transmettre aussi bien à MAG FORCE INTERNATIONAL qu’à d’autres fournisseurs pour l’établissement de factures pro forma ; que c’est également lui qui soumettait les devis chiffrés à l’accord de sa hiérarchie, présentait les projets de marchés à la signature du Ministre accompagnés, le cas échéant, de projets de correspondances à adresser au Président de la République pour solliciter son Haut Accord, notamment leur signature par le Secrétaire Général de la Présidence de la République, lorsque ces marchés étaient supérieurs à 200.000.000 F CFA ; Que c’est encore lui qui transmettait les exemplaires des marchés signés, pour exécution, aux fournisseurs ; Qu’il ne saurait par conséquent s’affranchir des irrégularités observées dans la passation et l’exécution de ces marchés et doit répondre de la complicité de coaction de détournement"_. Aux dires du juge d’Instruction et de l’accusation, notre client est complice pour avoir :
1) Fusionné les besoins exprimés par les différents majors des Armées ;
2) Transmis lesdits besoins à MAG FORCE et à d’autres fournisseurs pour l’établissement des factures pro forma ;
3) Soumis les devis chiffrés à l’accord de sa hiérarchie ;
4) Présenté les projets de marchés supérieurs à 200.000.000 F CFA ;
5) Transmis les exemplaires des marchés signés, pour exécution aux fournisseurs.
Tels sont les cinq motifs pour lesquels le Lieutenant-colonel MBOUTOU ELLE se retrouve devant Vous, parce qu’il est dit qu’il ne saurait _‘‘S’affranchir des irrégularités observées dans la passation et l’exécution de ces marchés et doit répondre de la complicité de coaction de détournement.’’_
En matière pénale, pour qu’une infraction soit constituée, il est de tradition qu’il y ait la réunion de trois éléments : légal, matériel et intentionnel.
Je vais consacrer la première partie de ma plaidoirie à l’examen et l’analyse de chacun des éléments mis à la charge de celui-ci en considération des 3 éléments constitutifs susvisés, avant de réfuter les motivations fallacieuses ayant conduit à l’incrimination de mon client dans cette affaire rocambolesque.
D’abord, un rappel de la loi. Au terme de l’article 97 du Code pénal, _"(1) Est complice d’une infraction qualifiée crime ou délit :_
_a) Celui qui provoque, de quelque manière que ce soit, la commission de l’infraction ou donne des instructions pour la commettre._
_b) Celui qui aide ou facilite la préparation ou la consommation de l’infraction._
_(2) La tentative est considérée comme la complicité elle-même"_

1) Sur la fusion des besoins, mon client a affirmé devant votre Tribunal que ceux-ci venaient de chacun des Etats-majors centraux (Terre, Air, Mer), des Sapeurs-pompiers, de la Gendarmerie et des Anciens combattants. Fusionner les besoins consistait pour lui à réunir et à mettre dans un état unique les _"besoins exprimés",_ afin de faciliter la lecture du Ministre de la Défense. Il s’agissait en somme d’un simple travail de secrétariat conforme aux textes réglementaires et aux missions du Secrétariat Militaire, dont la toute première, est de s’occuper du courrier du Ministre de la Défense. En effet, au terme de l’article 7 alinéa 1 du Décret n°2001/177 du 25 juillet 2001 portant organisation du Ministère de la Défense :
_"1°) Le Secrétariat militaire est chargé :_
_- du courrier du Ministère de la Défense ;_
_- du protocole, des cérémonies militaires et des relations publiques ;_
_- des travaux de traduction et de l’interprétariat…"_
Bien plus, la tâche consistant en la fusion des besoins s’exécutait sur instruction du MINDEF, qui les cotait au chef de Secrétariat Militaire, donc au supérieur hiérarchique de mon client, conformément à l’alinéa 2 du Décret suscité selon lequel :
_"2°) Le Secrétariat militaire est placé sous l’autorité d’un Chef de Secrétariat Militaire, officier nommé par décret du Président de la République. Il est assisté d’un Chef de Secrétariat militaire Adjoint, officier nommé par arrêté du Président de la République"_ C’est ledit Chef de Secrétariat militaire, à l’époque le Capitaine de Vaisseau Joseph TCHOUATAT (navigateur de formation), qui transmettait lesdits besoins pour exécution au Chef Secrétariat Adjoint, le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor. En plus, le Colonel MBOUTOU ELLE bénéficiait d’une solide expérience en la matière comme Officier d’administration formé à l’Ecole militaire d’Administration de KOULIKORO au Mali (de septembre 1997 à juin 1998) et pour avoir connu les marchés HCCA comme Gestionnaire de la Réserve ministérielle sous le MINDEF Laurent ESSO.
Le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE aurait-il pu ne pas exécuter l’ordre du Chef de SM ? Peut-être, mais cela n’aurait-il pas constitué une faute grave contre la discipline ? OUI, indiscutablement, car, comme chacun le sait, _"la discipline est la force principale des Armées"_ , et _"les ordres de tout supérieur doivent être exécutés littéralement, sans hésitation, ni murmure"_ pour reprendre les termes du nouveau règlement de discipline générale de l’armée française. Bien plus, l’article 40 du Code de Justice militaire punit le militaire qui s’exerce à tout manquement dans les termes ci-après : _"(1) Est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans, tout militaire qui viole une consigne donnée"_ En quoi consiste la consigne donnée ? L’alinéa 2 de l’article 40 répond : _‘‘(2) Par consigne, il faut entendre une mesure, une prescription, une recommandation ou instruction donnée de façon permanente à l’Armée en général pour l’accomplissement de ses missions et son fonctionnement, ou de façon ponctuelle à un militaire seul ou à un groupe de militaires pour l’accomplissement d’une mission.’’_ Les choses se présentaient ainsi, qu’il s’agisse des instructions permanentes contenues dans les missions statutaires du Secrétariat Militaire que des instructions ponctuelles données par la hiérarchie du Lieutenant-Colonel MBOUTOU. De même, il faut se référer à l’article 39(1) (Nouveau) du Décret n°2000/287 du 12 octobre 2000 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat qui stipule :
_‘‘Tout fonctionnaire est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. A ce titre, il est tenu d’obéir aux instructions individuelles ou générales données par son supérieur hiérarchique dans le cadre du service, conformément aux lois et règlements en vigueur…’’_
A ce stade, il n’apparait aucune irrégularité susceptible de faire l’objet de poursuite pénale (même civile), sauf à indiquer laquelle, ce qui n’a pas été le souci du ministère public.

2) Quant à la transmission des besoins à MAG FORCE INTERNATIONAL et à d’autres fournisseurs pour l’établissement de factures proforma, autant que la transmission de projets de contrats à ceux-ci, ce rôle est, comme le précédent, conforme aux missions dévolues au Secrétariat Militaire, principalement dans la transmission et la ventilation du courrier. En vertu de l’article 318 alinéa 2 du Code de Procédure Pénale ci-après :
_‘‘Lorsqu’un fonctionnaire au sens de l’article 131 du Code Pénal a agi dans les limites de sa compétence, les actes faits par lui sont présumés réguliers.’’_ Cet acte est par conséquent, lui aussi, parfaitement régulier et il ne saurait être opposé à mon client, sauf à rapporter la preuve de l’irrégularité alléguée.

3) En ce qui concerne le fait d’avoir soumis les devis chiffrés à l’accord de sa hiérarchie, il est la résultante et découle des missions précédentes. En pratique, le chef de Secrétariat Militaire Adjoint présentait les factures proforma au MINDEF qui les cotait au DBE avec la mention accord pour l’établissement des projets de marchés. Après des navettes entre le DBE et le fournisseur via le Chef Secrétariat Militaire Adjoint, celui-ci apprêtait un projet de lettre (accompagnant les projets de marchés) à adresser au Président de la République S/C du Chef d’Etat-major particulier du PRC pour les projets de marchés supérieurs à 200 millions FCFA. Une fois signés par le SGPR, lesdits marchés spéciaux étaient retournés au MINDEF pour la suite de la procédure. Après la transmission des exemplaires de marchés à divers destinataires (fournisseur, Réserve logistique, DBE), le rôle du Colonel MBOUTOU s’arrêtait là. A cette étape de l’accusation, il n’apparait toujours aucune faute susceptible de faire l’objet de poursuite, sauf à indiquer laquelle…

4) Sur l’attribution des marchés reprochés au Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE, le ministère affirme que mon client a joué un rôle prépondérant dans ce domaine, qu’il doit par conséquent être condamné pour cela. Les mots ont un sens ! Le Grand dictionnaire des synonymes et contraires LAROUSSE nous indique que l’adjectif PREPONDERANT vient du latin PRAEPONDERARE (peser plus, l’emporter) et de PONDUS, PONDERIS, c'est-à-dire POIDS, qui a plus de poids. Les synonymes de cet adjectif sont primordial, capital, fondamental. En somme, l’accusation veut nous faire savoir que le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE, alors Chef Secrétariat Militaire Adjoint au MINDEF, a joué le rôle le plus important dans la passation et l’exécution des marchés HCCA. Nous tenons à vous rappeler que l’accusé principal, l’ancien MINDEF MEBE NGO’O, a dit devant votre Tribunal qu’il était responsable de l’attribution des marchés HCCA. Bien plus, dans ses réquisitions intermédiaires, le Ministère Public lui-même, reconnait le MINDEF comme le _‘‘maître d’ouvrage qui a la prérogative de désigner le prestataire’’_ (page 10) ou " _celui qui avait le pouvoir exclusif de choisir ce prestataire (MAGFORCE, page 11)"_ et que _‘‘ces affirmations sont déterminantes pour comprendre le rôle prééminent et exclusif qu’avait l’accusé MEBE NGO’O sur l’attribution des marchés sus évoqués’’_ . Dans ses réquisitions du 19 décembre dernier, le ministère public a même traité MEBE NGO’O de _"grand manitou"_ et développé une anaphore sur _"Y-a-il un doute sur celui qui a passé, … signé…exécuté les marchés HCCA ?"._ Sa réponse a été non. La contradiction est par conséquent manifeste entre ces déclarations sans équivoques et celle sur le rôle déterminant et/ou prépondérant prêté au Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor ! Tout cela manque beaucoup de cohérence !
Malgré le fait qu’il n’est contesté par personne que Magforce International était déjà fournisseur de la DGSN sous le magistère du Ministre MEBE NGO’O, donc peu susceptible de bénéficier du concours de mon client, le doute subsiste dans l’esprit du ministère public dont le tropisme répressif à son endroit laisse pantois ! A ce stade de ma plaidoirie, permettez-nous de m’interroger sur l’acharnement à poursuivre, coûte que coûte, le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE, le Chef Secrétariat Militaire Adjoint, alors même que le législateur a doté le Ministère de la Défense d’une Direction du Budget et des Equipements chargée :
- « De l’élaboration du budget de fonctionnement et du suivi de son exécution ;
- De l’élaboration du budget d’investissement public et du suivi de son exécution ;
- De l’équipement des armées en matériels majeurs en liaison avec la gendarmerie nationale, l’Etat-major des armées et l’Etat-major de chaque armée ;
- Du suivi de l’exécution des programmes d’équipement des armées et du compte-rendu de leur exécution ;
- Du soutien des services de l’administration centrale ;
- De la comptabilité matière des armées ;
- Des problèmes relatifs au transport des matériels et du transit.’’
De surcroît, il est produit chaque année au MINDEF, une _"note de service portant directives sur l’exécution du budget"_, qui est un véritable manuel de procédures destinées à ceux qui sont en charge de l’exécution dudit budget. Dans celle de l’année 2013 par exemple, on peut lire à la page 72 ce qui suit : _"Exécution des décisions du Ministre_
_L’exécution des décisions du Ministre se traduit par la mise en œuvre des procédures réglementaires à la diligence de la Direction du Budget et des Equipements. A cet effet, il convient de rappeler à tous les bénéficiaires de projets que la DBE est seule habilitée à la rédaction de tous les marchés attribués par le chef de département, quel que soit leur mode de financement._
_Tous les dossiers techniques doivent par conséquent être transmis à cette structure afin de lui permettre de préparer le marché à soumettre à la signature du Ministre ou du Secrétaire Général de la Présidence de la République"_ Donc, c’est bien cette direction(DBE) qui était chargée de la rédaction de tous les marchés objet de votre saisine et non le Chef Secrétariat Militaire Adjoint ou tout autre responsable.

5) En ce qui concerne la surfacturation imputée à mon client, je vous renvoie à la page 28 du document que je viens d’évoquer qui indique que :
_‘‘les achats sont de la compétence du gestionnaire de crédits qui, avec le fournisseur, sont solidairement responsables des écarts de prix constatés.’’_
Pour ce qui est de la réception des matériels, la même note de service indique à la page 27 que : _"les gestionnaires de crédits, les membres des commissions de réception, les responsables des Services Techniques, les bénéficiaires des prestations, doivent, sous peine de sanctions prévues par la réglementation en vigueur, et avant toute certification, liquidation, signature ou visa, s’assurer que les prestations et les livraisons constituent l’équivalent réel des sommes à décaisser et sont effectivement exécutées conformément aux règles de l’art. Le règlement des prestations avant service effectivement rendu (ou réalisé) est interdit. La responsabilité personnelle, pécuniaire, pénale et administrative des personnels susvisés est engagée en cas de non livraison, livraison partielle ou non conforme, de non-exécution ou d’abandon des travaux, sans préjudice des sanctions administratives et des poursuites pénales_.
Voilà ce qu’il en est des accusations formulées par le ministère public, à qui il revenait la charge de rapporter la preuve de l’élément intentionnel de la complicité.
Dans le cadre des marchés spéciaux dits HCCA qui nous concernent, tous les rôles y sont prédéterminés et connus de tous, à savoir :
- le gestionnaire des crédits est le Directeur du Budget et des Equipements ;
- les membres de la Commission de réception sont cités dans chacun des marchés, précisément à l’article 7 (le régisseur de Réserve Ministérielle ou son représentant, le DBE, le Chef de service des Marchés, le fournisseur et le comptable matière) ;
- le(s) bénéficiaire(s) des prestations sont indiqués à l’article 3 desdits marchés (ils sont également signataires des marchés). Finalement, l’aide ou la facilitation ne pouvant consister en une simple abstention, que fait le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE dans cette affaire où de l’élaboration à l’exécution et au paiement, on ne peut lui prêter aucun rôle particulier ? De quel acte de complicité s’agit-il en l’espèce ? Chacun ne doit-il plus être puni en fonction de sa culpabilité personnelle dès lors qu’une infraction a été commise ?
Une simple évaluation et une revue des faits auraient permis de se rendre compte que la phase d’exécution ne passe pas par le Secrétariat Militaire. Pour dire les choses simplement, l’engagement budgétaire relève du DBE, le contrôle et la validation de la dépense sont du ressort du Contrôleur financier, le paiement incombe à la Paierie Générale du Trésor, enfin la réception des matériels est, comme son nom l’indique, l’apanage de la Commission de réception des marchés.

Un adage bien connu proclame que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ».
Dans l’affaire opposant l’Etat du Cameroun aux sieurs MBIA ENGUENE et autres (déjà citée), pour complicité de détournement de biens publics, votre Tribunal avait acquitté certaines personnes accusées de complicité dans la commission de ladite infraction. Pour y parvenir, l’Etat du Cameroun, par la voix de ses conseils, avait demandé la mise hors de cause de ces accusés en raison de ce que ceux-ci n’avaient pas _"traité les pièces dont les irrégularités ont été établies"_. Le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE n’a pas traité les pièces querellées, il ne peut par conséquent qu’être mis hors de cause pour cela.

J’en viens maintenant au second temps de mon intervention qui est de vous montrer que toutes les accusations portées contre mon client ne constituent qu’un tissu de contre-vérités, mieux une conjuration, semblable à celle de Catilina dénoncée, combattue, condamnée et mise en déroute en son temps (63 av. J.C.) par Cicéron.

Sur les motivations fallacieuses de la présente incrimination et l'irresponsabilité du Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor
« Plus le mensonge est gros, plus il passe », indique une citation attribuée à Joseph GOEBBELS, qui est une bonne synthèse de ce que ce ministre du chef nazi, Adolf HITLER, chargé de la propagande, a fait pendant la Seconde Guerre mondiale, dont on mesure des répercussions jusqu’à nos jours dans le Monde.
Mon client l’a expérimenté à son détriment à l’occasion de cette affaire ! Pour l’impliquer dans cette terrible affaire, que de contre-vérités devenues des " _vérités_ " aux yeux de tous. Les injustices ne furent pas minces. Certes, nous ne sommes pas au théâtre, mais la tragédie que subit le Colonel MBOUTOU ELLE se déroule en quatre (4) actes :

- L’acte I vaut à mon client son rappel (définitif) en novembre 2016 du poste d’Attaché de défense du Cameroun au Maroc, en Tunisie, en Lybie et en Mauritanie, alors qu’il n’avait pris effectivement son service que depuis moins de 4 mois (le 11 août 2016). Cet acte se présente sous la forme d’une rumeur véhiculée par les réseaux sociaux dans laquelle il y est prétendu que le Lt-Colonel MBOUTOU ELLE aurait été interpellé par la police française le 04 octobre 2016 en possession d’une mallette contenant deux millions d’euros destinés à l’achat d’un appartement pour le compte du ministre MEBE NGO’O, soit 1.300.000 euros récupérés au cours d’une perquisition à l’hôtel Georges V de Paris, et 700.000 euros pris en flagrant délit dans une agence immobilière au cours de la transaction.
Beaucoup y ont cru sans s’interroger quant à la faisabilité d’une telle opération. Cela commence le 05 mars 2019, dès la réception de mon client, en ma compagnie, au bureau du Chef de Division du corps spécialisé des enquêteurs du TCS, puis chez le Juge d’instruction BETEA Jean, qui l’a interrogé à plusieurs reprises sur le sujet. Tous mentionnaient sans la présenter, une note du Chef de Division de la Sécurité Militaire, le Lt Colonel d’alors, Emile Joel BAMKOUI, adressée au MINDEF. Après de multiples recherches, mon client a pu entrer en possession de ladite note truffée de contre-vérités et d’affabulations en tout genre, relayée par des activistes bien choisis au sein du " _tribunal médiatique_ " camerounais. Au final, cette affaire se sera dégonflée toute seule du fait qu’à la date prétendue de son interpellation à Paris, le Lt-Colonel MBOUTOU ELLE se trouvait au Maroc, et que la commission rogatoire du juge d’instruction camerounais n’avait obtenu aucune réponse probante à sa question concernant cette ténébreuse affaire.
Une précision : cette histoire de mallette, montée de toutes pièces sort en octobre 2016, c’est-à-dire à la veille de la période d’avancement des grades au sein des forces de défense, dont le Lt-Colonel MBOUTOU ELLE remplissait les conditions requises pour passer COLONEL au 01 janvier 2017. L’auteur de l’information sur la mallette et ses commanditaires avaient manifestement voulu entretenir une confusion entre cette histoire et l’interpellation du Lt Colonel MBOUTOU intervenue le 06 avril 2016 (7 mois plus tôt) par les policiers de l’Office Central de Répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) pour corruption passive d’agents publics étrangers et recel d’abus de biens sociaux dans le cadre des enquêtes concernant la SAS MAGFORCE INTERNATIONAL. Au final, il ne s’est plus trouvé personne pour venir démentir cette affaire de mallette aux conséquences dévastatrices pour mon client comme indiqué ci-dessus, même pas le ministère public, qui a fini par s’agacer à chacune de ses évocations. Pourtant, ce chiffre de deux millions d’euros, soit 1.300.000.000 FCFA, n’a cessé de hanter l’accusation au point de l’introduire dans le réquisitoire introductif d’instance du Parquet Général du TCS au titre du montant imputé à mon client en complicité, comme résultant des commissions occultes appliqués sur les marchés HCCA. Une aberration !
La leçon à retenir de cette affaire de mallette est que, en certaines matières, quelque chose est vraie si une figure d’autorité le dit, peu importe si elle est incapable de le prouver. Entre une vérité non prouvée et un mensonge, il n’y a parfois pas beaucoup de distance, et les gens (même certains accusateurs) sont prêts à tout croire, même contre n’importe quelle preuve.

- L’Acte II a consisté en la note du Directeur de l’ANIF au SGPR du 03 août 2018, dénommée improprement " _dénonciation_ " ou " _rapport_ " par le ministère public et portant sur des _"faits répréhensibles décelés dans la société MAGFORCE filiale du Cameroun"_ ; c’est l’acte fondateur des poursuites dans cette affaire. Cette curiosité épistolaire avait relayé des informations tirées de l’internet, mentionné de nombreuses personnes susceptibles d’être poursuivies (associées de MAGFORCE CAMEROUN, inconnu du Colonel MBOUTOU jusqu’à sa première audition du 13 février 2019), mais elle avait révélé ne détenir aucune information sur mon client (donc le nom ne ressortait pas dans les conclusions de cette curieuse correspondance) et sollicitait par conséquent l’entraide judiciaire. Celle-ci arrivera plusieurs mois après son incarcération, sans conséquence particulière quant au triste sort subi par mon client.

Dans l’Acte III, mon client a eu droit à la conduite d’un procès Kafkaïen au cours duquel de l’enquête préliminaire à l’instruction, on lui a opposé des témoins (à charge) d’un genre particulier, dont le juge d’instruction fera la base de son instruction, de même que le ministère public : ainsi, des acteurs de la chaîne de passation et d’exécution des marchés, tels que l’ancien DBE (Adji GADJAMA) à l’époque des faits, un fournisseur défaillant à l’équilibre mental incertain que nous avons vu marcher nu, Hervé EYEFFA, devenu spécialiste des marchés publics ; jusqu’aux propos extorqués à un témoin devenu suspect puis accusé. Tous ces témoignages ont fondu, comme neige au soleil, au moment du procès, et pour cause, ils ne reposaient sur rien de pertinent et ne correspondaient aucunement aux prescriptions des articles 335 et suivants du Code de Procédure Pénale. Toujours dans la même veine de ce procès en sorcellerie, mon client a aussi eu droit, dès sa 2ème audition le 27 janvier 2020 par le Juge d’instruction à un interrogatoire d’un genre particulier où il lui a été présenté pour la première les marchés mis en cause (des marchés spéciaux), et il a été appelé à répondre à des questions liées à la structuration des prix et à l’effectivité des livraisons desdits marchés, autant d’activités n’entrant pas dans ses attributions, comme il l’a déjà été expliqué supra à propos du décret du 25 juillet 2001. C’est en raison de cela que, bien superfétatoirement et à la suite de l’exception portant sur la compétence du TCS, que nous avons tenu à donner notre lecture sur l’application des articles 30 et 31 du Code des Marchés Publics relatifs aux Marchés Spéciaux.
L’intrusion de la Justice dans les Marchés Spéciaux mérite d’être questionnée en ce que l’Ordonnance de renvoi suscitée affirme péremptoirement que les dispositions du Décret n° 2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des Marchés Publics sont applicables en l’espèce.
Et le susdit juge d’Instruction ajoute : _"Que d’ailleurs, en faisant référence de façon explicite aux dispositions du Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 dans chacun de ces marchés, les parties ont nécessairement tenu à se soumettre aux exigences légales et non à la pratique en vigueur au Ministère de la Défense"_. Il n’y a rien de plus inexact ! En parcourant le Décret suscité, l’on se rend compte qu’il comporte un chapitre III intitulé _"Des Marchés Spéciaux"_ contenant uniquement les deux chapitres suivants :
Article 30: _"Les marchés spéciaux sont des marchés qui ne répondent pas, pour tout ou partie, aux dispositions relatives aux marchés sur l’appel d’offres ou aux marchés de gré à gré. Ils comprennent essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité aux intérêts stratégiques de l’Etat"_
Article 31: _"Les marchés visés à l’Article 30 ci-dessus comportent des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de l’Etat et échappent de ce fait à l’examen de toute Commission des marchés Publics prévue par le présent Code_.
Il ressort de ces dispositions que les marchés spéciaux, qui sont relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’Etat, dérogent aux marchés sur appel d’offres et aux marchés de gré à gré, et en particulier, échappent à l’examen de toute commission des marchés publics et, par voie de conséquence, aux procédures prévues par ledit Code. Il est ainsi clairement établi que, contrairement aux énonciations du Juge d’instruction et du Ministère public, les dispositions du Code des Marchés Publics ne sont pas applicables en l’espèce. Que la _"référence de façon explicite aux dispositions du Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 dans chacun de ces marchés"_ n’implique pas l’assujettissement auxdites dispositions, mais plus simplement la référence aux articles 30 et 31 qui y dérogent ;
Alors, quid de l’instance devant connaître des Marchés Spéciaux ?
Il faut recourir aux dispositions du Décret n°89/913 du 31 mai 1989 portant réorganisation de la Commission Permanente des Marchés de Défense et Sécurité pour découvrir un véritable régime juridique adapté à la spécificité des Marchés de Défense et de Sécurité ;
Prenons connaissance des deux premières dispositions :
_Article 1er – il est créé une Commission Permanente des Marchés de Défense et de Sécurité habilitée à donner son avis sur les marchés passés par les Administrations chargées de problèmes de Défense et de Sécurité._

_Article 2 : (1) Sont membres permanents, de la Commission Permanente, des Marchés de Défense et de Sécurité :_

_- Le Secrétaire Général de la Présidence de la République ; PRESIDENT ;_
_- Une personnalité désignée par le Président de la République ; VICE- PRESIDENT ;_
_- Le Ministre Délégué à la Présidence chargé de la Défense ou son représentant ;_
_- Le Directeur Général des Grands Travaux ;_
_- Le Délégué Général à la Sûreté Nationale ou son représentant ;_
_- Le Secrétaire d’Etat à la Défense ou son représentant ;_
_- Le Chef d’Etat-Major des Armées ou son représentant ;_
_- Le Chef d’Etat-Major Particulier du Président de la République ou son représentant._
Ainsi, les fournisseurs qui relèvent du secteur de la Défense et de la Sécurité disposaient, depuis 1989, d’un cadre juridique autonome pour la passation et le suivi de leurs Marchés Publics. Que mon client a constaté et porte témoignage de ce que, pour donner force exécutoire au Décret ci-dessus, le MINDEF a toujours sollicité _"le Haut Accord du Chef de l’Etat, Chef des Armées pour la signature par le Ministre, Secrétaire Général de la Présidence de la République"_ de tous les marchés spéciaux pour les montants supérieurs à 200 millions. D’ailleurs, tous les Marchés Spéciaux litigieux comportaient un dernier article intitulé _"Validité et entrée en vigueur"_ qui indique que : _"Le présent Marché Spécial ne deviendra définitif qu’après sa signature par le Ministre, Secrétaire Général de la Présidence de la République, et n’entrera en vigueur qu’après sa notification au fournisseur"_
Ce qui induit que, même si la Commission permanente des Marchés de défense et de sécurité est consultative, ainsi que l’a indiqué le ministère public sans vraiment convaincre, la procédure applicable dans le cadre de l’affaire qui nous préoccupe aurait dû être celle dérogatoire prévue par les articles 30 et 31 du Code des Marchés publics (version 2004), et pas celle applicable pour le droit commun des marchés publics.
Faute de preuve, et pour tenter d’emporter la conviction de votre Tribunal, l’accusation a finalement eu recours à la preuve par commune renommée (Acte IV), qui désigne la déclaration par laquelle une tierce personne rapporte non plus ce qu’elle a constaté elle-même, mais seulement des " _on-dit_ ", des rumeurs, des croyances. Ainsi, dans le domaine de ce qui n’a pas pu être prouvé, mais qui figure dans le dossier de procédure parce que non dénué d’intérêt pour nos accusateurs soutenus en cela par certains " _trafiquants de l’apparence_ ", l’on a prétendu une proximité particulière (dans ses réquisitions, le ministère public parle d’une relation étroite) entre le MINDEF MEBE NGO’O et le Chef de Secrétariat militaire adjoint, MBOUTOU ELLE, sans apporter quelque argument au soutien de cette grave affirmation. Pour le ministère public, c’est ce lien, attaché à leur proximité sociologique, qui aurait poussé l’ex MINDEF à confier à ce dernier les dossiers les plus " _juteux_ " plutôt qu’à son Chef de Secrétariat Militaire, originaire de l'Ouest, mis hors-jeu. Pour balayer définitivement cet argument fallacieux sous fond de ce que Henri LOPEZ avait désigné sous le vocable _"Tribaliques_ " mon client n’a eu de cesse de marteler devant votre Tribunal qu’il n’avait fait que son travail, avec le sens du devoir qui convenait à sa fonction parce que, après tout, l’Officier supérieur n’était qu’un militaire devant appliquer les règles et commandements qui lui étaient donnés.
Le Lt-Colonel MBOUTOU ELLE vous a déclaré avoir servi, hormis le MINDEF MEBE NGO’O, successivement, avec loyalisme, discipline et rigueur (je pourrais même ajouter Honneur et Fidélité), les Ministres AMADOU ALI (originaire de l’Extrême Nord), Laurent ESSO (du Littoral) et Joseph BETI ASSOMO (du Centre), sans qu’il lui ait été reproché quelque manquement que ce soit. Il a ainsi été traité tour à tour, d'homme d'AMADOU ALI, puis de Laurent ESSO et enfin de MEBE NGO’O.

Dans cette affaire, il vous est demandé successivement de traduire une question de défense nationale en équation juridique, de sauver l’enquête et de combler les vides de l’information judiciaire. Alors que les outils habituels du droit ne sont ni convoqués, ni appliqués en raison de ce que les chances d’apporter l’administration de la preuve sont nulles, et que plus personne ne sait quelle réponse apporter à la situation de mon client.
Alors on a refilé le cactus au juge pénal que vous êtes, afin qu’il se livre à ce qui ressemblera à des tripatouillages de la règle de droit pour vous conduire inévitablement à une erreur judiciaire.
Vous ne devez pas céder à toute tentative de thérapie judiciaire à retardement !
Comme je vous l’ai indiqué à l’entame de ma plaidoirie, vous n’aurez de compte à rendre qu’à votre conscience.
Parce que nous avons tous l’expérience de notre conscience, c’est-à-dire de notre expérience de juger nos actions ou celles des autres. Pour paraphraser un auteur célèbre, je dirais que la conscience de chacun de nous peut être comparée à un Tribunal intérieur, où ce que nous appelons " _conscience_ " tient tous les rôles à la fois, accusatrice et témoin, avocate et juge, et même salle d’audience, sans oublier cette fonction première et essentielle qui est la silencieuse énonciation de la loi. Le philosophe Henri HUDE nous fait savoir que _"dans ce tribunal intérieur, nous parlons et c’est nous qui sommes en procès"_ .

Madame la Présidente, Honorables membres de la collégialité, Vous avez entre les mains quelque chose de formidable : l’honneur d’un Officier supérieur et celui de la Justice. J’ai toujours fait confiance aux juges, et je ne l’ai pas souvent regretté. Vous faites l’un des plus beaux métiers au monde parce que vous jugez en votre âme et conscience. L’honneur d’un soldat et celui de la Justice est entre vos délicates mains, défendez-le !
Faites œuvre de justice !
Déclarez le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor non coupable des faits de complicité de Détournement de Biens Publics mis à sa charge.

_Parole est passée à Me MBALLA OYONO, pour la suite de la plaidoirie de la défense du Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE, et dont ci-dessous sa prise de parole

Madame la Présidente, Messieurs les Honorables Membres de la Collégialité.
Trois ans de procédure trouveront peut-être un épilogue en ces lieux symbole de lutte contre le détournement des deniers publics dans notre pays.
Ce ne sera peut-être pas l’épilogue de la bataille d’une vie, ce sera sûrement une éclaircie, une lueur d’espoir dans une nuit d’orage. Une nuit qui dure depuis 1486 jours au cour desquels le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE Ghislain Victor n’a eu de cesse de clamer son innocence et réclamer sa mise en liberté. Comme l’a si opportunément relevé un jeune auteur Ulrich OVONO dans son livre intitulé _"Sous le bandeau de Thémis des larmes"_, nous espérons vivement que notre exposé permettra au sortir du verdict qu’ensemble on dise plutôt _"Sous le bandeau de Thémis des joies"_ et, s’il y’a des larmes que ce soient celles d’exultation, de bonheur, de satisfaction d’une justice bien rendue.
Pour ce faire, avant de rentrer dans les questions purement procédurales, permettez-moi de situer de manière très succincte le Tribunal sur la procédure qui a conduit notre client devant vous.
Suite à un rapport vaseux du Directeur de l’ANIF du 13 Août 2018, Madame le Procureur Général près le Tribunal Criminel Spécial prescrira au Chef de Division du Corps Spécialisé d’Officiers de Police Judiciaire près le Tribunal Criminel Spécial l’ouverture d’une enquête contre MEBE NGO’O et les autres coaccusés.
En date du 13 février 2019, notre client sera convoqué comme témoin. En date du 05 Mars 2019, il sera de nouveau convoqué, cette fois-là en qualité de suspect. En date du 08 Mars 2019, il sera inculpé par le Juge d’Instruction pour les faits de complicité de détournement des deniers publics, corruption active et blanchiment aggravé des capitaux, puis embastillé le même jour à la Prison Centrale de Yaoundé. En date du 26 Août 2020, il sera renvoyé devant cette Juridiction pour répondre des mêmes faits.
Voilà brièvement la procédure décrite.
Sur les questions procédurales, nous aborderons tour à tour l’infraction de corruption et l’infraction de blanchiment.

S'agissant de l'infraction de corruption
Le Ministère Public a requis en date du 19 Décembre 2022 que notre client le Lieutenant-Colonel MBOUTOU ELLE a reconnu avoir reçu en 2013 des mains de Robert FRANCHITTI une enveloppe contenant 5000€ et l’année d’après soit en 2014 deux salons cuir à l’occasion de son deuxième mariage. Que ces aveux de circonstances, sont éloquents de ce que les dons et présents remis par Robert FRANCHITTI visaient non seulement à le rétribuer pour de nombreux marchés dont il était adjudicataire mais aussi à faire de la Société MAGFORCE International une privilégiée dans l’attribution des marchés futurs, et conscient du rôle important de ce collaborateur de MEBE NGO’O. Au regard de cet extrait je me pose la lancinante question de savoir si nous avons tous assisté au débat dans cette procédure?
Comment comprendre qu’avec tout ce qui a été dit et développé par toutes les parties dans le cadre de cette procédure que le Ministère Public vienne trois ans après à présenter des réquisitions purement identiques au réquisitoire d’instance et aux réquisitions intermédiaires Que doit-on comprendre de cette attitude désinvolte qui s’apparente à la paresse?