Le nom du président de la République est à nouveau cité dans l’affaire Mebe Ngo’o . Lors de l’audience de ce jour, MENYE Victor Emmanuel présenté comme ami et conseiller financier de Mebe Ngo’o a été interroger sur certains décaissements autorisés par sa banque. Il a été contraint de citer plusieurs nom d’Etoudi y compris celui du président de la République. CamerounWeb vous propose le compte rendu de FRANCK ESSOMBA.
Renvoyé ce jour pour la cross-examination de l'accusé MENYE par les avocats de la partie civile et les représentants du ministère public, l'audience de ce jour s'est ouverte par le jeu de questions réponses entre MENYE Victor Emmanuel et Me ATANGANA AYISSI, avocat de la partie.
Question : pouvez-vous dire au tribunal en quelle année vous avez débuté votre carrière de banquier ?
Réponse : le 27 mars 1984 à la Société Camerounaise de Banque
Q : vous avez déclaré être lié d'amitié avec Mr MEBE NGO’O depuis les années 70 quand il était au collège Vogt et vous au Lycée Leclerc. Du fait que vous étiez devenu entre-temps un haut cadre de banque, n'avez-vous pas trouvé en Mr MEBE NGO’O un bon client de banque mais aussi un ami qui, à ce titre, était légitimement en droit d'attendre de vous de fins et judicieux conseils bancaires pour des placements aussi fructueux que mieux sécurisés de ses importants avoirs bancaires ?
R : Je vous ai dit mon parcours. Je suis recruté en 1984 alors que MEBE est à l'ENAM. Comme cadre, ce n'est pas pour gérer la clientèle privée. Il n'y a pas de corrélation entre ma carrière qui n'a pas été bâtie par ses importants avoirs. Je ne vois pas en quoi mon amitié pourrait ou devrait priver MEBE NGO’O des conseils de banquier, comme d'ailleurs aux 200.000 autres clients de la banque. Je peux effectivement, même au cours d'un échange le week-end lui procurer des conseils.
Q : tout au long des débats, le nom de Mr Robert FRANCHITTI a été évoqué à la fois comme fournisseur du ministère de la défense, mais aussi comme un ami du Ministre MEBE NGO’O, depuis d'ailleurs son magistère à la DGSN. Partant de la tournure selon laquelle les amis de nos amis sont nos amis, pouvez-vous dire au tribunal à quel moment et dans quelles circonstances vous avez fait la connaissance de ce dernier ?
R : je crois que Me ATANGANA AYISSI refait le match. Le 26 août 2020 le juge d’instruction, clôturant son information judiciaire, n'a établi aucun élément relatif au crime pour lequel j'ai été inculpé le 08 mars 2019 et auquel a été associé Robert FRANCHITTI. Pour moi je ne peux pas revenir dessus alors que le juge d’instruction n'a rien établi entre Robert FRANCHITTI et moi. Que Me ATANGANA AYISSI m'excuse de n'avoir pas à répondre à cette question par respect pour le tribunal, à moins qu'il ne veuille rouvrir l'information judiciaire.
_L'un des juges de la collégialité relit les conclusions de l'ordonnance de renvoi et dit que l'accusé est tenu de répondre sur la base de ces conclusions_
Mr MENYE poursuit : le 08 mars 2019, il s'agissait de complicité de détournement de 1.300.000.000 Fcfa en coaction avec Robert FRANCHITTI et le dispositif de l'ordonnance de renvoi parle de 18 milliards, soit plus de 10 fois, sans plus parler de Mr Robert FRANCHITTI.
Q : au cours de votre audition en date du 05 mars 2019, vous avez déclaré que lorsque Robert FRANCHITTI a voulu ouvrir un compte bancaire à la banque dénommée Attijariwafa Banque Europe, il vous a invité à Paris afin que vous lui obteniez un rendez-vous avec Mr DRISS MOHAMMED à l'époque responsable du corporate Attijariwafa Banque Europe. Comment d'après vous est-il venu à l'esprit de FRANCHITTI que vous étiez la personne à même de lui aménager un rendez-vous avec ce responsable, alors même que vous résidiez au Cameroun et ne travailliez pas à Attijariwafa basé en France ?
R : je vais dire 2 choses :
- j'étais déjà en France, lors d'un de mes passages
- je n'étais pas un débrouillard à la SCB. Attijariwafa Europe est notre succursale en France et vice-versa. Nous avons des relations de transversalité à min niveau de responsabilité. Donc MOHAMMED DRISSI entre 2011 et 2012 était mon collègue en tant que responsable corporate et lorsque je deviens DGA, je deviens son hiérarchique. Mr Robert FRANCHITTI voulait savoir comment Attijariwafa Europe pouvait financer ses activités au Cameroun et dans d'autres pays africains, et MOHAMMED DRISSI lui a répondu que ça ne répondait pas au modèle économique d'Attijariwafa Europe, par contre il pouvait ouvrir un compte mais pas pour financer ses marchés.
Q : interrogé à l'enquête le 05 mars 2019, suite au conseil et aide que l'enquêteur vous creditait d'avoir fourni à votre ami MEBE NGO’O et consistant à "dissimuler les retrocommissions reversées par ses prestataires" et d'avoir participé "à leur placement dans des comptes offshore et dans les pays étrangers", vous avez donné la réponse qui suit : _"quand les banques françaises ont commencé à fermer les comptes des personnes exposées politiquement (PEP), j'ai orienté certaines de ces personnes à Attijariwafa Europe"_. Ayant subtilement évité de répondre sur le cas précis de Mr MEBE NGO’O et sur lequel vous étiez interpellé, pouvez-vous dire devant cette barre, sur la foi du serment que vous avez prêté, si oui ou non Mr MEBE NGO’O figurait parmi les personnes que vous aviez alors orienté à la banque Attijariwafa Europe ?
R : je n'ai jamais aidé Mr MEBE NGO’O de façon particulière. Lorsque les banques françaises ont commencé à fermer les comptes des PEP, je les ai orienté à Attijariwafa Europe, j'assure et j'assume ces démarches commerciales.
_La Présidente de la collégialité réitère la question de savoir si MEBE NGO’O faisait partie de ces personnes_
R : oui! Mr MEBE NGO’O était un client parmi tant d'autres, c'était une démarche commerciale assumée et assurée. Je vous ai expliqué que la gestion des PEP était un des volets de Attijariwafa du fait de l'implication du holding du Roi du Maroc dans son capital. C'était des clients à solde moyen élevé dont opportune et dont les comptes se trouvaient déjà en Europe. S'agissant de personnalités j'ai prévenu la directrice de la banque privée d'Attijariwafa Europe guichet Sauchat. J'ai donné son numéro de téléphone à des personnalités camerounaises qui devaient l'appeler et convenir des rendez-vous. Elle a dû ouvrir à certaines personnes et non à d'autres. Et je ne pouvais plus savoir ce qu'il en était des opérations dans les comptes au vu du secret bancaire. Pour le Cameroun il y avait une opportunité pour ces personnalités, il y avait une garantie au cas où elles voulaient faire un investissement, il y avait une contre garantie bancaire.
Avec Attijariwafa Europe, il y avait une occasion de structurer, d'organiser les flux financiers de la diaspora. Nous connaissons le rôle de la diaspora dans les économies du Mali, du Sénégal et du Maroc. Je voulais faire la même chose pour le Cameroun, mais le 05 mars 2019 est arrivé.
Q : il ressort du rapport de la Commission Rogatoire Internationale que, alors Ministre du gouvernement Mr MEBE NGO’O a effectivement ouvert 03 comptes bancaires à Attijariwafa Banque. Au lieu de cette banque, ne vous est-il pas venu à l'idée de lui donner le conseil de plutôt venir ouvrir ce compte au Cameroun ?
R : je suis dépassé. Mr MEBE NGO’O a son argent, il peut ouvrir le compte où il veut, pourquoi je lui demanderais d'ouvrir le compte au Cameroun ? Je ne suis pas son intendant.
Q : après avoir néanmoins orienté Mr MEBE NGO’O à Attijariwafa, pouvez-vous dire, en technicien de banque, ce que les banques françaises entendaient par personnes exposées politiquement ?
R : ce n'est pas un monopole des banques françaises, c'est un terme générique dans le jargon bancaire et financier depuis 2001. Les PEP, ce sont des personnes qui, de par leurs fonctions, peuvent être exposées à la corruption, à un bouleversement politique éventuel, ont des liens avec le pouvoir... etc. Ça se situait dans un contexte où la concurrence était devenue rude en Europe. Il fallait replonger les choses en Europe et le Moyen-Orient. Le suivi particulier de ces personnes commençait à poser des problèmes en termes de mobilisation des équipes... etc. Il fallait s'en séparer et pour Attijariwafa Europe, ça présentait une excellente opportunité comme je l’ai présente déjà.
Q : est-ce que d'après vous Mr MEBE NGO’O présentait le profil d'une PEP ?
R : bien évidemment ! Quelqu'un qui a été DGSN, DCC, MINDEF c'est une PEP, même dans la nomenclature des comptes au Cameroun.
Q : suivant le rapport de la Commission Rogatoire Internationale, Mr MEBE NGO’O était titulaire de 05 comptes et livrets d'épargne à la BNP Paris, 04 comptes bancaires à INDOSUEZ, 03 comptes à Attijariwafa, 05 comptes et livrets au Crédit Lyonnais, soit au total 16 comptes bancaires en territoire français. En tant que banquier ya t-il un avantage pour une personne d'ouvrir plusieurs comptes auprès de plusieurs banques et si oui avez-vous orienté ou donné des conseils à votre ami et client sur cet aspect ?
R : je ne comprends pas la préoccupation de Me ATANGANA AYISSI, est-ce que MEBE NGO’O doit me consulter pour ouvrir un compte ? En quoi je suis concerné quant à ce que MEBE NGO’O ouvre autant de comptes qu'il veut ? Si c'était interdit par la réglementation française, il n'aurait pas ouvert tous ces comptes. Je ne vois pas en quoi je vais m'immiscer dans la gestion privée de MEBE NGO’O.
_La partie civile ayant vidé ses questions, la parole a été donnée au ministère public pour la cross-examination de l'accusé. Exercice mené par l'avocat général OMAM Fils_
Q : si nous avons bien compris, vous avez dit que le groupe Attijariwafa avait une gestion bien précise et connue des PEP ?
R : oui.
Q : vous avez parlé des avantages que la banque offrait. De quels avantages bancaires bénéficiait cette nouvelle clientèle (PEP) que vous avez capté des banques françaises ?
R : j'ai dit que la banque avait l'habitude de traiter ce genre de client de par l'institution royale dans le capital. Je ne pouvais donc pas laisser cette clientèle en rade, je le trouvais assez cavalier. Il n'y avait pas un avantage particulier, mais si ces personnes avaient des besoins au Cameroun, Attijariwafa pouvait délivrer une contre garantie bancaire et diluer un risque en cas de dévaluation éventuelle. Ensuite la démarche commerciale pour maîtriser les flux financiers de la diaspora.
Q : les banques françaises rejettent certaines personnes exposées à la corruption, aux conséquences de bouleversement politique, ou en raison de leurs liens avec le pouvoir politique, personnes que vous du groupe Attijariwafa vous récupérez. Peut-on comprendre que l'éthique bancaire du groupe Attijariwafa était contraire de celle des banques françaises ?
R : j'ai dit que le terme PEP n'est pas l'apanage des banques françaises. Je n'ai pas assimilé les PEP à des criminels pour parler d'éthique. Je parlais de traitement, de réception... voilà ce que je voulais dire.
Q : au niveau du groupe Attijariwafa n'y avait-il pas un relâchement volontaire sur le contrôle de l'origine des fonds des PEP d'origine africaine ?
R : je crois que Mr l'avocat général n'a pas bien compris ce que je dis depuis. S'il y avait un problème, ce sont les banques françaises avec le dispositif TRACFIN par exemple qui l'auraient décelé. Ces fonds étaient déjà dans les banques françaises qui ont dû effectuer tous les contrôles avant. S'il y a relâchement c'est au niveau de ces banques françaises.
Q : le virement de la somme de 500 millions de FCFA observé dans le compte de Mr MEBE NGO’O à Attijariwafa Europe guichet Sauchat entre novembre 2013 et janvier 2014, soit un mois, aurait-il été possible sans justificatifs de son origine dans ces banques françaises, comme celà a été le cas à Attijariwafa Europe guichet Sauchat où vous avez à juste titre recommandé Mr MEBE NGO’O votre ami ? En somme, un tel virement aurait-il été possible sans justificatif dans une banque française ?
R : j'ai dit que lorsque la clientèle ouvre les comptes je ne suis pas comptable des opérations dans les comptes. Pourquoi on va me donner les justificatifs de ce qui s'y passe ? Pourquoi les comptes de MEBE et pas ceux des autres ? Quel est mon intérêt ?
Q : vous affirmez ceci lors de votre audition à l'information judiciaire _"lorsque le compte n'était pas créditeur et que le besoin s'avérait urgent et que les procédures de déblocage des fonds pouvaient mettre en risque la bonne fin du défilé, la banque suivant les procédures internes prefinancait l'opération au vu des supports présentés par le ministère de la défense et annonçant la couverture des sommes correspondantes par la SNH ou le ministère des finances"_ . Vous reconnaissez-vous dans ces déclarations ?
R : absolument ! Ça a été avant MEBE, sous MEBE et après MEBE. C'est vérifiable à la SCB. C'est comme n'importe quel client qui attend son salaire par exemple et qui demande une avance.
Q : étiez-vous le gestionnaire direct ou un gestionnaire conjoint du compte Mindef ?
R : jusqu'au 1er juillet 2011, où j'ai été nommé directeur du corporate à Douala, j'avais le suivi conjoint de ce compte ouvert en 1991 sous le Ministre AKAME MFOUMOU.
Q : qui vous renseignait sur l'urgence du besoin ou encore sur le risque qui pesait sur la bonne fin du défilé, conséquence du retard des possibilités de déblocage des fonds ?
R : on renseignait la banque. C'est une demande du Mindef cosignée par le Chef Service des Affaires Générales et le Ministre, accompagnée des supports idoines.
Q : de quoi étaient constitués les supports ?
R : quand c'était la SNH qui payait, il y avait la lettre du Chef d'État-major Particulier du Président de la République qui signifiait au Mindef le très Haut accord du Chef de l’Etat, ensuite les très hautes instructions relayées à l'ADG/SNH lui demandant de payer l'enveloppe au compte du Mindef domicilié à la SCB.
Quand c'était le ministère des finances, il y avait les instructions du Ministre des Finances au Payeur Général de payer le Mindef selon une imputation.
_Les questions étant épuisées, la parole a été donnée aux avocats de l'accusé MENYE Victor Emmanuel qui ont sollicité une re-examination de leur client et par la suite ils ont annoncé qu'ils allaient présenter une exception de nullité de procédure car étant encore dans les délais._
L'audience a été suspendue est renvoyée au 7 octobre 2022 pour la re-examination sollicitée.
P.S : depuis l'ouverture de ce procès au public en octobre 2020, une question vient toujours à l'esprit : QUI A EU L'IDÉE D'ENVOYER LA JUSTICE AU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE, ET C'ÉTAIT POURQUOI ?
Rendez-vous le 7 octobre
Franck ESSOMBA