Livré à un parquet du Tribunal criminel spécial (Tcs) qui continue d’éprouver de sérieuses difficultés à rassembler les preuves solides pour soutenir l’accusation, le dossier de l’ex ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense, reste désespérément vide. Jusqu’à quand ?
Parviendra-t-on à sortir de cet embrouillamini ? La Justice dont on clame l’équité et la transparence, réussira-t-elle un jour à mettre fin à ce que beaucoup taxent depuis le début de cette affaire de « parodie de procès » ? A quand la fin des micmacs et des reports à n’en plus finir, pompeusement adossés sur la fameuse appellation « manifestation de la vérité » ?
Des interrogations qui ne quittent plus l’esprit de ceux qui suivent la tumultueuse affaire Mebe Ngo’o depuis le début.Vendredi dernier au Tcs, on a encore eu droit à un autre épisode de ce mélodrame.
Suspendue la veille à la demande de Me Xaverie Kanguequi avait souhaité garder au sujet du marché n°130335/MS/Mindef/02315 du 12 mars 2013 d’un montant de 1 milliard 905.161.571 Fcfa, pour lequel elle attendait la réponse de l’ex Mindef sur le fait que ce marché n’était pas revêtu du visa du contrôleur financier, l’audience du vendredi s’est ouverte sur un curieux rétropédalage de la partie civile.
Prenant la parole, Me Kanguea déclaré que la partie civile avait vu le marché en question et même un deuxième marché de la même période d’un montant de 899.041.545 Fcfa, et qu’elle se réservait, parce qu’elle avait d’autres diligences à faire.
Plus intrigant, elle a dit ne plus avoir de questions à poser à l’accusé sur ces marchés, remettant ce débat à plus tard. Et Me Koe Amougou, Avocat de Mebe Ngo’o de souligner pour le déplorer que la partie civile a interrogé son client sur une pièce qui n’a jamais été produite, ni acceptée dans le dossier de procédure.
Reprenant la parole, Me Kangue a présenté à l’accusé principal un marché datant de 2010 et évalué à 202.053.045 Fcfa avant de demander à ce dernier pourquoi il n’était pas revêtu du contrôleur financier. Mebe Ngo’o, sans trembler, va déclarer que ledit marché était assorti d’un bon de commande avec visa du contrôle budgétaire et en dessous la mention « dépense autorisée ».
Mieux, qu’entre les deux inscriptions, « il y a un visa qui, en finance publique s’appelle visa budgétaire ». Que le marché a été payé par le percepteur auprès de l’ambassade du Cameroun à Paris.
Que le marché est assorti d’une correspondance de Laurent Esso, ministre d’Etat Secrétaire général de la présidence de la République à l’époque des faits, demandant le règlement de la facture du Mindef pour le compte du 20 mai et du recrutement sur hautes instructions du président de la République, correspondance dont il a donné lecture.
Accusé de quelque chose juridiquement impossible
L’ex patron des Transports va d’ailleurs saisir cette perche pour redire à l’attention de la « haute gouverne » du tribunal, que de 2010 à 2015, période au cours de laquelle il a été ministre délégué à la présidence chargé de la Défense, « tous les marchés financés par le budget de l’Etat ont été passés et exécutés en stricte conformité avec la législation et la réglementation en vigueur et notamment avec les articles 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71 et 72 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques ».
L’homme va d’ailleurs relevé que cette loi a été votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le Chef de l’Etat et qu’elle pré- voit les rôles des différents acteurs de la chaîne de la commande et de la dépense publique.
Plus important, que c’était l’ordonnateur délégué qui signait les bons d’engagement, le contrôleur financier se contentant de son travail qui se résume à une formalité substantielle à l’aboutissement de la dépense publique. Que le comptable public paie après toutes les vérifications.
Suffisant de conclure qu’il est « accusé de quelque chose qui est juridiquement et actuellement impossible ». Et de suggérer aux avocats de la partie civile de se rapprocher du ministère des Finances car tous les responsables chargés du paiement de ces dépenses appartiennent à ce département ministériel.
Couverts du sceau du secret de la défense nationale
Me Abessolo, avocat de la partie civile, dont l’échange avec l’accusé principal Mebe Ngo’o, va s’appesantir sur le décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des marchés publics et au stade de la passation des marchés non spéciaux.
A la question de savoir qui arrête définitivement les prix des marchés, le mis en cause préfère botter en touche parce que, justifie-t-il, « celui qui me pose la question n’est pas sûr de mes connaissances en la matière et même si j’étais spécialiste, cette pensée ne serait pas gratuite. Je m’attends aux questions dans le cadre des faits qui me sont reprochés et ne concernant que les marchés spéciaux ».
Quid des attributions de la Commission de passation des marchés telles que défi- nies par le décret portant Code des mar- chés publics ?
« Je suis en cause pour des marchés spéciaux objet des articles 30 et 31 du décret évoqué par l’avocat et qui dérogent aux dispositions, en ce qui concerne les autres marchés en ce qu’ils ne comportent pas de commissions de passation de marchés (…) S’agissant des marchés Hcca, ils appartiennent à la catégorie des marchés spéciaux.
La désignation du fournisseur, en ce qui concerne les marchés spéciaux, relève de la compétence du ministre. J’ajoute que tout marché spécial ne peut être passé qu’après autorisation expresse du président de la République. Je précise enfin que les marchés spéciaux sont strictement couverts du sceau du secret de la défense nationale », détaille Mebe Ngo’o.
Aucune irrégularité dans la gestion des fonds
L’échange entre les deux hommes se poursuit et Me Abessolo, dans un florilège de questions qui frisent le ridicule, tente désespérément à clouer son interlocuteur, plutôt parfaitement calé en matière de procédures et d’usages encadrant ces marchés querellés.
Interrogé sur le côté divisible de l’accord porté sur les factures proformas, Mebe Ngo’o renvoie poliment la partie civile à la lecture du décret n°77/41 du 03 février 1977 fixant les attributions et l’organisation des contrôleurs financiers.
Que dire du compte d’emploi relatif à l’utilisation de ces fonds, conformément à l’article 3 de la décision signée par les soins du natif du Dja et Lobo?
« La décision a été signée par mes soins, mais les formalités demandées ne relevaient pas de ma compétence. Je précise à toutes fins utiles que la signature de cette décision a suivi toutes les étapes réglementaires qui accompagnent des décisions de déblocages de fonds, à savoir :
signature d’un bon d’engagement par l’ordonnateur délégué, visa budgétaire du contrôleur financier, demande de procédure simplifiée et accord de la direction générale du budget, émission d’un titre de confirmation de créance et paiement du montant correspondant au Chef service des affaires générales, agissant en qualité de régisseur.
Ces fonds étaient destinés à être remis en espèces à divers responsables du ministère de la défense pour financer divers préparatifs liés au défilé du 20 mai au Cameroun et à l’étranger. La gestion de ces fonds rentrent dans le cadre des vérifications effectuées par la Chambre des comptes qui n’a relevé aucune irrégularité ayant donné lieu à des notifications éventuelles de contentieux ». Fin du procès.
Le Ministère public sollicite un renvoi pour se préparer à la cross-exa- mination de l’accusé principal. Rendez- vous le 16 décembre !