Actualités of Friday, 19 August 2022

Source: Kalara

Affaire Redressement fiscal : voici comment Amougou Bélinga a été soulagé de 9 milliards d’impôts

Amougou Belinga Amougou Belinga

Comment un redressement fiscal de 10,88 milliards de francs a-t-il été ramené à près de 1,9 milliard de franc en principal et pénalités ? Pour répondre à cette question, Kalara a mené une enquête dont les résultats, livrés ci-dessous, mettent en exergue l’important soutien reçu par le promoteur de Vision 4 TV pour contourner le fisc.


Une semaine après la communication du président du Groupe l’Anecdote rendant public, le 8 août 2022, le rabaissement par le ministre des Finances (Minfi) de plus de 82% de la valeur du redressement fiscal de 10,88 milliards de francs, qui lui avait été notifié par la Direction générale des impôts (DGI) après le contrôle général de la comptabilité de son entreprise, Vision 4 Télévision SA, on connait désormais le cheminement qui a conduit à ce niveau de dégrèvement. Dans la correspondance signée de M. Louis Paul Motaze le 3 août 2022 dans laquelle il annonce à M. Jean Pierre Amougou Bélinga le résultat de l’examen du recours qu’il avait introduit auprès de lui, le Minfi avait laconiquement annoncé «la révision des bases préalablement retenues pour la liquidation des impositions portant sur l’Impôt sur le revenu (IR), l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers (Ircm) et la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA».

Suite à une enquête menée dans les services du Minfi, notamment autour du «Comité d’appui à l’instruction des recours préalables auprès du ministre des Finances en matière de contentieux fiscal», structure qui a étudié le dossier préalablement à la décision du chef du département, Kalara est en mesure d’affirmer que la décote de 8,99 milliards de francs accordée au PDG de Vision 4, sur la somme qui lui était préalablement exigée, fait suite à «la prise en compte par le comité d’appui des éléments nouveaux présentés par M. Amougou Bélinga» comme justificatifs de certaines opérations financières constatées dans les comptes bancaires de sa télévision. Ce sont donc des justificatifs qui n’avaient pas été présentés pendant la phase du contrôle aux inspecteurs vérificateurs du Centre spécialisé des impôts des professions libérales et de l’immatriculation (Csipli).

Chiffre d’affaires

Les éléments nouveaux en question, selon les sources de Kalara, seraient les justificatifs des rentrées financières colossales dans le compte de la télévision. Des recettes dont l’Agence nationale d’investigations financières (Anif) n’avaient pas pu déterminer l’origine, suspectant des opérations de blanchiment d’argent. C’est en effet l’Anif qui fut à l’origine de l’alerte ayant déclenché les contrôles opérés par l’administration fiscale sur les entreprises de l’homme d’affaires. D’après les justificatifs pris en compte par le Comité d’appui (voir tableau ci-dessous), selon les sources de Kalara, les fonds controversés étaient «des apports en compte courant associés et à des opérations internes au Groupe l’Anecdote». L’origine desdits financements étant désormais considérée comme connue, le Comité d’appui aurait renoncé à «la reconstitution du chiffre d’affaires de Vision 4 faite par les inspecteurs vérificateurs», aboutissant à la chute vertigineuse du montant de la dette fiscale reconstituée par le Csipli.

Selon des sources concordantes, la prise en compte des justificatifs attribués au PCA de Vision 4 n’a pas été faite de façon consensuelle au sein du Comité d’appui. Pour deux raisons majeures : la première résulterait de la recevabilité contestée du recours fait par le PDG de Vision 4 à l’attention du Minfi et la seconde à l’acceptation même de nouveaux justificatifs au stade de la procédure contentieuse devant le Minfi.

Rappelons qu’au moment d’adresser son recours au Minfi, le président du Groupe l’Anecdote n’avait pas encore effectué le paiement de la caution représentant 15% des impositions contestées, un préalable incontournable pour la recevabilité de sa réclamation. Il s’était rattrapé seulement le 23 juin 2022, après avoir reçu notification de la lettre de rejet de son recours, le 8 juin 2022, dans laquelle Louis Paul Motaze ouvrait la porte, en violation de la loi fiscale (article L119 du livre des procédures fiscales), à une régularisation du paiement de la caution exigée. Au total, c’est 40 jours après avoir reçu la lettre de la DGI confirmant le redressement fiscal que M. Amougou Belinga a effectué le paiement de la caution, alors que le délai, selon la loi, est de 30 jours au maximum. «La majorité des membres du Comité d’appui a considéré qu’à partir du moment où le ministre avait autorisé la régularisation du paiement de la caution, la recevabilité du recours était acquise. C’est un avis que les représentants de la DGI n’ont pas partagé».

Pour le second point d’achoppement relatif à l’acceptation des justificatifs présentés pour la première fois par M. Amougou Bélinga lors des travaux préparatoires à la session du Comité de suivi (voir tableau récapitulatif), selon les sources de Kalara, les représentants de la DGI auraient soutenu qu’un procès-verbal de carence desdits justificatifs avait été dressé lors de la clôture du contrôle en entreprise et que leur admission plus tard était interdite par la loi. Mais les autres membres du comité d’appui auraient eu un avis contraire, estimant que le PV de carence évoqué «n’aurait pas explicitement cité les justificatifs des sommes reçues dans les comptes du contribuable parmi les manquements notés par les vérificateurs».
L’un des informateurs de Kalara s’étonne devant un tel argument dans la mesure où, selon ses explications, «pour citer ces justificatifs au moment du contrôle, il eut fallu qu’ils fussent présentés à l’époque».

Appel à l’indulgence

De toutes les façons, un doute planerait sur l’authenticité des justificatifs présentés par le PDG de Vision 4 pour la raison que les explications données par ce dernier «ont changé entre la phase de contrôle et la phase du contentieux», selon une source de Kalara. Cette variation des explications de M. Amougou Bélinga est vérifiable dans le «compte-rendu de la séance de travail» du 17 mars 2022 tenue «dans le cabinet du président du Groupe l’Anecdote». Dans ce document signé par le promoteur de Vision 4 lui-même, en sa qualité de «président de séance», document qui a été consulté par Kalara, il est mentionné ceci : «Le président du Groupe l’Anecdote est entré dans le vif du sujet en sollicitant l’indulgence de l’Administration fiscale pour les manquements éventuels dans le cadre de l’accomplissement de ses obligations fiscales».

Le PDG poursuit le compte rendu de ses propres propos dans le paragraphe suivant : «Pour parler spécifiquement de Vision 4 TV, il a tenu à préciser qu’une télé privée au Cameroun, voire dans la sous-région, ne saurait faire autant de chiffres. Il a expliqué de manière succincte que l’essentiel des entrées d’argent en banque ne représentent pas du tout les prestations audiovisuelles qui sont l’unique activité de la télévision. Ces sommes d’argent proviennent de ses activités extérieures dans la sous-région et, par souci de leur sécurisation, il les logeait dans les comptes bancaires de Vision 4 TV au Cameroun». Selon des sources dignes de foi, le promoteur de Vision 4 avait aussi expliqué que les sommes d’argent reçues dans le compte de cette entreprise en provenance du Trésor public, étaient un soutien de l’Etat en vue de la construction de l’immeuble siège de Vision 4 en face du Palais polyvalent des sports de Yaoundé.

Les sources de Kalara indiquent que les justificatifs des financements pris en compte par le Comité d’appui, n’ont jamais été présentés formellement aux membres et aux responsables de la DGI. «Ils ont surgi alors qu’ils ne figuraient même pas dans la réclamation adressée au Minfi et auparavant au Directeur général des impôts», explique un informateur. Pour lui, «on est en face d’une grave dénaturation des faits pour annuler des impositions de 9 milliards de francs difficile à contester». Les démarches officielles de votre hebdomadaire auprès des services techniques du Minfi en vue d’obtenir la version des faits de ce département ministériel sur l’explication concrète du dégrèvement de 8,99 milliards de francs ont été vaines.

Notons que le Comité d’appui, qui a balisé le travail ayant abouti à la signature de la lettre du Minfi du 3 août dernier, comptait, entre autres, deux représentants de l’Inspection générale des services des régies financières, deux représentants de la DGI, dont le chef du Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1), Mme Emeline Mvogo, mais aussi le chef de la division des affaires juridiques (DAJ) du Minfi, magistrat de 4ème grade. Ce Comité d’appui était présidé, en l’absence de l’inspecteur général lui-même, par le Conseiller technique N°3 du Minfi, M. Ngolle V Isaac Richard. Inspecteur principal des impôts, il est considéré comme la tête pensante de l’ensemble les appuis apportés au patron de Vision 4 depuis que son groupe est sous les feux de l’administration fiscale. Sa griffe apparaît sur l’essentiel des courriers portant la signature du Minfi dans le cadre du redressement fiscal de M. Amougou Bélinga.