Pendant près d'un mois, une dizaine de femmes ont été retenues juste après leur accouchement dans une petite salle exiguë de l’hôpital central de Yaoundé, avec leurs bébés. Il leur était reproché de ne pas pouvoir payer leurs frais d’hospitalisation, et notamment de césarienne. Au Cameroun, cette pratique est courante dans les hôpitaux, faute de couverture maladie universelle, expliquent nos Observateurs.
Fin juillet, après plusieurs semaines enfermées, certaines femmes ont partagé à leurs proches des photos de leurs conditions de "détention". Ces images sont rapidement parvenues entre les mains du lanceur d’alerte camerounais Paul Chouta, qui les a publiées sur Facebook le 2 août, dénonçant le "traitement inhumain" subi par ces mères et leur bébé qui viennent d’accoucher, parce qu’elles n’auraient pas payé les "factures exorbitantes" des frais de césarienne.
Sur ces clichés, au moins onze femmes apparaissent, assises à même le sol dans une petite salle d’hôpital, leurs bébés dans les bras.
D’autres photos parvenues à la rédaction des Observateurs de France 24 montrent les jeunes mères partager un repas dans des assiettes disposées par terre.
Des femmes partagent un repas. Photo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24 par une femme retenue pendant un mois dans cette salle de l'hôpital central de Yaoundé.
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"Pour quitter l’hôpital il faut un bon de sortie, qu’on n’obtient que lorsqu’on paie. Nous étions vraiment séquestrées"
Julie (le prénom a été changé) est arrivée à l'hôpital central le 22 juin et n’est sortie que fin juillet, en s’évadant. Contactée par notre rédaction, elle a accepté de témoigner.
"Quand je suis arrivée à l’hôpital pour accoucher, j’avais seulement de quoi payer un accouchement "classique", soit 55 000 francs CFA [environ 83 euros]. Mais on a finalement dû me faire une césarienne. Je suis restée sept jours en observation dans un lit d’hôpital. Puis, on m’a demandé de libérer la chambre et de payer. Ma facture s’élevait à près de 200 000 francs CFA [environ 305 euros]. Je ne les avais pas. Ma famille, qui est au village, ne pouvait pas venir et n’avait pas les moyens non plus. Donc on m’a placée dans la petite salle "A35" de l’hôpital où je devais rester tant que je ne payais pas. Pour quitter l’enceinte de l’hôpital, il faut montrer au vigile un bon de sortie, qu’on n’obtient que lorsqu’on paie. Nous étions vraiment séquestrées. La seule chose que l’on pouvait faire, c’était de se balader dans les couloirs de l’hôpital. On se partageait les trois lits, sinon on dormait par terre. On se débrouillait pour faire nos lessives comme on pouvait dans les robinets des toilettes. L’hôpital nous apportait à manger le matin et le midi. Parfois, on demandait à des gens qui pouvaient sortir de nous apporter des choses à manger pour nous ou nos enfants. Puis finalement, avec plusieurs femmes nous avons trompé la vigilance des gardes pour sortir, j’ai pu rentrer chez moi et retrouver ma famille."
Le jour même de la publication des photos sur les réseaux sociaux, le 2 août, les femmes ont finalement quitté l’hôpital. Certaines, contactées par notre équipe, croient savoir que la représentante d’une fondation a payé leurs factures. D’autres pensent que l’hôpital a souhaité éviter d’ajouter au scandale.
Une femme dort à même le sol avec son bébé. Photo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24 par une femme retenue pendant un mois dans cette salle de l'hôpital central de Yaoundé. Floutée par France 24 à la demande de l'Observatrice.
"On quémandait de la nourriture aux autres patients"
Jocelyne (le prénom a été changé) fait partie des femmes qui ont été "libérées" le 2 août. Elle sera restée plus d’un mois dans cette pièce qu’elle surnomme "Kosovo". Après les premières évasions, elle raconte avoir subi de nouvelles restrictions de la part de l’hôpital :
"Quand les premières femmes sont parties, en cachant leurs bébés dans des sacs, nous n’avions plus de repas. On quémandait de la nourriture de chambre en chambre aux autres patients. Moi, je suis handicapée moteur, je pensais que ma carte d’invalidité me permettrait de payer moins. Pas du tout ! Et à cause de mon handicap, je ne pouvais pas fuir. Mes deux autres enfants m’attendaient chez mes parents et je ne pouvais pas les retrouver. Mes parents n’ont pas voulu m’aider. Selon eux c’était à mon mari de le faire, mais lui n’arrivait pas à rassembler l’argent. J’ai finalement quitté l’hôpital le 2 août.
Deux femmes allaitent pendant que l'une d'entre lave son enfant avec un gant et une bassine d'eau. Photo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24 par une femme retenue pendant un mois dans cette salle de l'hôpital central de Yaoundé. Floutée par France 24 à la demande de l'Observatrice.
Dès le 3 août, le directeur de l’hôpital, Pierre Joseph Fouda, a organisé une conférence de presse pour rejeter les accusations de "séquestration" au sein de son établissement et dénoncer une "manipulation". Sur le site Internet de l’hôpital, il est pourtant bien indiqué que les "malades qui ne paient pas" sont "obligés de prolonger leur séjour à l'hôpital".
Dans un communiqué relayé par la presse locale, il rappelle tout de même que, pour les frais de césarienne (hospitalisation, imagerie, anesthésie, médicaments, chirurgie), l’hôpital a enregistré en 2017 un "manque à gagner" de plus de 32 millions de francs CFA [environ 49 000 euros] et que cela devrait être "pire" en 2018. S’il assure que le crédo de l’hôpital est de prendre en charge toutes les femmes qui arrivent afin qu’aucune d’elles ne "meure en donnant la vie", il souligne la "mauvaise foi" de certaines familles qui "refusent" de payer.
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"La solution, la seule qui puisse exister, tout le monde la connaît : c’est la mise en place d’une couverture maladie universelle"
Pourtant, la situation n’est pas si simple pour notre Observateur Marcus (le prénom a été changé), médecin en hôpital au Cameroun qui préfère rester anonyme.
Ces images ne me surprennent pas. Du fait de l’absence de couverture maladie universelle, les managers d’hôpitaux font constamment face à des dilemmes : les patients sont pris en charge à leur arrivé et doivent payer en partant mais beaucoup n’ont pas les moyens. Et au Cameroun, il n’y a que 1 à 2 % de la population qui dispose d’une mutuelle pour couvrir les frais médicaux. De fait, les hôpitaux enregistrent chaque année de lourdes ardoises d’impayés et c’est très compliqué pour les managers de faire tourner leur hôpital avec un énorme trou dans les comptes. Pour empêcher qu’il n’y ait des abus, il existe en effet dans certains hôpitaux des salles comme celle que l’on voit sur les images. C’est récurrent et c’est un vrai problème, d’autant que certaines familles ne sont pas de mauvaise foi et n’ont vraiment pas les moyens. Ajoutons à cela que certaines femmes se retrouvent en partie abandonnées après leur accouchement. La seule solution, tout le monde la connaît : c’est la mise en place d’une couverture maladie universelle.
Contactée par notre rédaction, la direction de l’hôpital n’a pas donné suite à nos sollicitations. Nous publierons leur réponse si elle nous parvient.
En 2016, la mort d’une femme enceinte de jumeaux, refoulée d’un hôpital de Douala faute de pouvoir payer la totalité des frais d’hospitalisation, avait déjà provoqué un scandale au Cameroun.