Dans une interview accordée à L’Œil du Sahel parue le 3 octobre 2016, le meilleur ami de feu Oumarou Babalé, l’homme de main de l’ancien Président de la République, fait des révélations inédites, notamment sur ses dernières années de pouvoir.
Ahmadou Ahidjo a démissionné le 4 novembre 1982. Le premier Président du Cameroun cédait ainsi la place à Paul Biya qui reste en poste aujourd’hui. Les Camerounais apprennent 34 ans plus tard que celui que certains ont baptisé le «père de la Nation» avait voulu quitter le pouvoir bien avant. Mohamadou Garoua Souga a accordé un entretien à L’Œil du Sahel paru lundi. Il était le meilleur ami d’Oumarou Babalé le défunt lamido du Mayo-Oulo (Nord), qui était le confident et l’homme de main de l’ancien Chef de l’État.
«J’ai connu le Président Ahidjo grâce à Sa Majesté Babalé Oumarou qui, je peux le dire, était mon père adoptif. Il me parlait beaucoup de son ami Ahidjo. Les deux hommes étaient liés par l’histoire. Je ne vous apprends rien, les réalisations du Président Ahmadou Ahidjo dans le lamidat du Mayo-Oulo témoignent de cette chaleur relationnelle entre les deux hommes. Étant très proche du lamido Babalé, j’ai fini par être un visage connu d’Ahidjo et même par avoir des relations avec lui», déclare le septuagénaire.
Selon l’ancien militant de l’UNC (Union National Camerounaise), Ahidjo a pensé à quitter le pouvoir trois ans avant sa démission. «Le Président Ahidjo voulait quitter le pouvoir bien avant cette date (1982, NDLR). Il était venu à Mayo-Oulo tout triste un jour de 1979. Nous avons su ce jour-là que quelque chose l’embarrassait. Il n’était pas dégagé comme lors des précédents voyages. Il a refusé toute visite. Il s’était confié à son ‘‘béro’’ Babalé qu’il allait démissionner de ses fonctions de Président. Je crois qu’il pensait annoncer la nouvelle lors du congrès de 1980 à Bafoussam.
Babalé lui a dit que s’il venait à démissionner, lui, il allait faire ce que les Daba font en pareilles circonstances, c’est-à-dire se pendre. Ils sont restés silencieux pendant plus de quinze minutes. Puis, il a dit à Babalé: ‘‘je t’ai compris’’. Et le lendemain, il est retourné à Yaoundé. Quelque temps après, il est revenu. Cette fois il était jovial et dégagé. Il recevait tout le monde. Nous pensions que l’idée de démission l’avait quitté. Il n’avait plus fait allusion à sa démission. Même après la mort de Babalé, il a continué à être détendu et nous exhortait à continuer à œuvrer pour le parti.
En novembre 1982, à deux ou trois jours de sa démission, l’officier de l’armée Moussa m’a joint au téléphone pour me dire que quelque chose de terrible allait se passer. C’est à ce moment que j’ai su qu’il avait finalement décidé de quitter le pouvoir. Comme c’est curieux. Il a démissionné juste après la mort de son ami Babalé à qui il avait dit, ‘‘je t’ai compris’’ quand celui-ci lui a dit qu’il allait se pendre s’il venait à quitter le pouvoir. Tout porte à croire qu’il a continué à rester au pouvoir après 1979 que parce qu’il ne voulait pas trahir son ami», raconte-t-il.
Beaucoup d’autres révélations sont faites dans cette interview. Par exemple, les fréquentations d’Ahidjo après l’indépendance. «À partir de 1965, le Président Ahidjo était très régulier à Mayo-Oulo. Il s’y rendait trois ou quatre fois par an pour travailler, se reposer ou se distraire avec des amis. C’est ainsi que nous, responsables locaux du parti, côtoyions ces derniers. Parmi les Présidents africains qui venaient passer cinq à sept jours avec lui, il y avait Mathias Nguema de la Guinée Equatoriale, Jean Bedel Bokassa de la RCA, Moktar Ould Daddah de la Mauritanie et le ministre Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie. Bien que Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire n’ait pas séjourné à Mayo-Oulo, il n’en demeure pas moins qu’il a été son ami qui lui a prodigué des conseils. Je vous ai dit tantôt que c’est lui qui avait conseillé à Ahidjo l’expert Léno qui a étudié les sociétés du Nord entre 1968 et 1970», ajoute Souga Garoua.
Pour ce dernier, l’ancien Président n’était pas parfait. Autoritaire, il attachait du prix à la paix et l’unité de son pays. «Le Président Ahidjo tenait beaucoup à la paix et à l’unité nationale. Toutes les fois qu’il venait à Mayo-Oulo à l’occasion de la fête du ramadan ou toute autre occasion, il demandait toujours aux chefs religieux de prier pour la paix. Il avait une vision noble pour le Nord. L’objectif qu’il s’était fixé, c’était d’unifier le Nord. Il a combattu toute forme d’organisation à tendance tribaliste pouvant mettre en péril l’unité nationale ou régionale. Je ne suis pas en train de dire qu’il a été parfait, loin de là. Je veux juste dire qu’il a fait de son mieux pour le rayonnement social et économique de ce pays. Comme défaut, Ahidjo était trop autoritaire et cela créait un blocus de communication entre lui et son entourage. Les gens avaient peur de l’aborder. Ce n’était pas facile, même pour nous qui le rencontrions régulièrement».