Il est facile d'oublier que l'eau est une denrée rare dans de nombreuses régions du monde.
Le film documentaire "Marcher sur l'eau" d'Aissa Maiga nous transporte au cœur du village de Tatiste, au nord du Niger, où les habitants mènent une lutte constante pour avoir accès à l'eau dans un environnement sévèrement affecté par le changement climatique.
A travers son film, la réalisatrice explore la question de l'accès à l'eau potable pour les populations rurales d'Afrique, victimes collatérales du réchauffement climatique.
Ce film d'immersion tourné dans la région de l'Azawagh, vaste territoire sableux qui s'étend entre le nord-est du Mali et le sud de l'Algérie, met en lumière la force de vie et la détermination des peuples sahéliens vivant dans des conditions climatiques difficiles.
"C'est un film dans lequel au-delà de la question cruelle du manque d'eau j'ai voulu capter d'abord la dignité des peuples sahéliens et puis leur extraordinaire beauté et leur force de vie incroyable", a souligné la cinéaste.
Ce long-métrage, qui sort en salles le 10 novembre en France et le 12 novembre en Afrique subsaharienne, avait été présenté au Festival de Cannes en juillet dans une section parallèle dédiée au climat et au 27e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) pour lequel il a reçu l'Étalon d'argent du film documentaire.
Lors d'un entretien en marge du FESPACO avec Lalla Sy, reporter BBC Afrique, Aissa Maiga a évoqué la thématique du film et partagé les raisons personnelles et professionnelles qui l'ont poussé à le réaliser.
Une lutte de plus
"En tant qu'enfant de la diaspora africaine vivant en France, c'est important de m'emparer de certains sujets et de raconter un film dans lequel on voit le réchauffement climatique du point de vue africain parce que c'est important que toutes les voix puissent être entendues sur ce sujet", a-t-elle affirmé.D'abord connue en tant qu'actrice avant de passer derrière la caméra, Aissa Maiga est une artiste engagée sur plusieurs fronts. Une artiste qui prend la parole mais qui la donne aussi.
En 2018, avec un collectif de 16 actrices réunissant notamment Karidja Touré, Assa Sylla, Nadège Beausson-Diagne, etc elle publiait Noire n'est pas mon métier.
Avec Regard Noir, son premier documentaire pour la télévision coécrit avec Isabelle Simeoni, elle continue sur la même voie en explorant la représentation des femmes noires au cinéma au Brésil, aux États-Unis et en France.
Aujourd'hui, Aissa Maiga nous invite à la suivre au Niger au cœur d'un village perdu dans le désert. En donnant la parole a tout un village, elle nous fait partager la réalité du changement climatique en soulignant particulièrement le manque d'eau, l'accès à l'éducation et la migration.
Les thèmes qu'aborde la réalisatrice née d'un père malien et d'une mère sénégalaise ont pour elle une résonance particulière.
"La question de l'eau a été présente dans mon imaginaire depuis l'enfance, d'abord parce que j'ai grandi en France. Je suis du Mali et du Sénégal, et j'ai passé mes vacances surtout au Mali quand j'étais enfant, puis adolescente et plus tard adulte ; et je voyais bien combien la question de l'eau mobilise l'énergie, mobilise les forces vives et mobilise du temps pour les personnes".
Son père, un journaliste "très engagé", se souvient-elle, "avait par ailleurs lancé plusieurs projets de pompe à eau qu'il n'a jamais pu mener terme vu avant sa mort en 1983".
Rien d'étonnant à ce que "Marcher sur l'eau" dénonce une réalité rythmée par le manque d'eau.
"J'ai mis ma sensibilité au service du film"
Dans le village de Tatiste, filmé tout au long d'une année, la saison des pluies étant de plus en plus courte, l'eau commence à manquer et devient la principale préoccupation des habitants."Pourquoi aujourd'hui, ce n'est pas comme avant ?", demande l'instituteur dans le film. "Pourquoi il n'y a pas d'eau ?", continue-t-il . "C'est ce qu'on appelle le changement climatique", lance-t-il aux enfants qui répètent en cœur "Le changement climatique !".
Houlaye, une jeune fille de 14 ans, incarne cette lutte constante pour l'accès à l'eau, à l'éducation et à une vie normale. Comme d'autres jeunes, elle doit parcourir des kilomètres pour aller puiser l'eau, essentielle à la vie du village, désertant parfois l'école.
Le manque d'eau pousse également les adultes à quitter leur famille chaque année pour aller chercher les ressources nécessaires à leur survie.
Pourtant, cette région recouvre dans son sous-sol un lac aquifère. Il suffirait d'un forage pour apporter l'eau - cet or liquide - au village et offrir à tous une vie meilleure.
C'est cette réalité que décrit le film d'Aissa Maiga.
Entre 2018 et 2020, la réalisatrice s'est rendue à plusieurs reprises au sein de la communauté de Peuls Wodaabe afin de documenter son quotidien.
"Tout un tas de souvenirs me sont revenus, des souvenirs sur le fleuve Niger avec ma grand-mère, mes oncles, mes tantes…", évoque celle dont la grand-mère était peule, ajoutant "J'ai mis ma sensibilité au service du film".
Assumer ses responsabilités
Dans un contexte de crise climatique, ce regard sensible et bienveillant interroge néanmoins sur les responsabilités du monde occidental et sur les effets du changement climatiques dans les pays pauvres."Ce qui m'a énormément interpellée c'est comment un pays comme le Niger, qui n'est pas un pays pollueur, qui n'est pas un pays qui a une empreinte carbone très important et qui pourtant, est un pays qui prend de plein fouet les effets de la pollution des pays industrialisés, déplore Aissa Maiga.
Quand on lui a proposé de faire le film, Aissa Maiga a failli refuser "car je n'ai pas d'expertise particulière sur ce sujet". Mais après réflexion, "le fait qu'on me propose de réaliser un film qui se passe dans le sahel, d'où je suis originaire, et qui traite d'un sujet aussi important que la question de l'eau, je l'ai prise comme à la fois une chance et une responsabilité".
Prendre ses responsabilités, assumer ses responsabilités et surtout éviter de transférer ses responsabilités à d'autres, c'est bien là l'un des grands enjeux de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) qui s'est ouverte le 31 octobre à Glasgow, d'autant que l'Afrique en tant que faible pollueur risque d'être le continent qui souffrira le plus des effets du changement climatique.