C’est presque devenu un secret de polichinelle. Le ministre de l’Administration territoriale (Minat) veut faire lever l’immunité parlementaire du député Jean Michel Nintcheu. « Il y a un certain nombre de journaux qui sont des relais de la pensée au Minat ; ils l’ont annoncé déjà ; c’est pour préparer le terrain à l’action qui va être menée », a flairé un chroniqueur politique. Et de fait, un certain nombre de titres de la place annoncent une probable levée de l’immunité de l’ancien député du Social democratic front (SDF). Les prémices de la menace étaient déjà contenues dans le communiqué rendu public le 12 mars dernier par Paul Atanga Nji, au sujet des alliances politiques qui se forment depuis quelques mois pour préparer l’élection présidentielle de 2025, à savoir l’APC conduite par Jean Michel Nintcheu et l’ATP dirigée par Olivier Bilé. « La qualité de parlementaire ou d’homme politique ne saurait être un passe-droit pour défier impunément l’autorité de l’État, inciter à la rébellion, tenir des propos outrageants à l’égard des autorités et afficher l’intention délibérée de piétiner en permanence d’ordre public ».
Faisant allusion à la visite rendue en prison à Ayuk Tabe, dit Sisiku par l’honorable Jean Michel Nintcheu. « Ces mouvements clandestins sont allés rencontrer en prison des terroristes définitivement condamnés pour des crimes graves planifiés et orchestrés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest… », avait-il mentionné. Avant de poursuivre que ladite rencontre se situait « dans le but de nouer une alliance politique ». Pire, « ils vont jusqu’à poser des préalables inacceptables au gouvernement en faveur de ces dangereux terroristes », accuse-t-il. Lui qui avant le Grand dialogue national, avait pris des positions claires sur les antennes des médias français, indiquant que la forme de l’État ne sera pas débattue. Lui qui milite pour l’usage de la force contre les sécessionnistes, ne tolère pas qu’un député, fut-il de l’opposition, rame à contre-courant de cette option et aille à la rencontre d’un leader sécessionniste qui n’a jamais regretté son option, malgré le temps mis depuis sa capture au Nigéria.
Jean Michel Nintcheu n’a pas encaissé la menace du Minat : « les coalitions politiques n’ont pas d’existence juridique autre que celle de leurs membres. À ce titre, l’APC ne se sent point concernée par les menaces contenues dans ce communiqué de presse », a-t-il réagi. Cependant, l’initiateur de l’APC dénonce une « grave menace sur l’exercice des droits politiques au Cameroun ». Au sujet de sa rencontre avec Ayuk Tabe, un des principaux griefs formulés par le Minat à son encontre, l’ex cadre du SDF dit n’avoir « jamais formulé quelque préalable ou exigence que ce soit au gouvernement en faveur des prisonniers du conflit anglophone ». Rien n’a jamais filtré de l’audience que le leader sécessionniste a accordée au député.
En tout cas, Jean Michel Nintcheu, lui, soutient l’option d’un dialogue « sincère et inclusif » entre l’Etat et les séparatistes. Rejoignant pourtant une position officiellement adoptée par le gouvernement, et qui s’est traduit par l’organisation du Grand dialogue national fin 2019. A l’occasion, d’anciens combattants reconvertis se sont prêtés au jeu du gouvernement en assistant aux travaux, pour demande pardon. Depuis lors, Paul Biya ne cesse d’appeler les combattants à déposer les armes volontairement Un message qui ne passe pas toujours mais Yaoundé garde la main tendue. Et même, des sources crédibles ont annoncé que Yaoundé a même discuté avec la bande à Ayuk Tabe en prison. Même si l’homme y est resté et a même été condamné à la prison à vie, pour terrorisme.
Maurice Kamto
C’est une longue bataille politique qui s’annonce car le député rebelle n’est pas des plus faciles à manœuvrer. L’homme qui a saisi le Tribunal de grande instance du Mfoundi début mars courant, pour déposer deux plaintes : l’une contre Ferdinand Ngoh Ngoh le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) pour « usurpation de fonctions » et l’autre contre Paul Biya pour « cumul de fonctions ». En janvier 2019, le SGPR a été élevé au rang de ministre d’État, en plus d’être bénéficiaire de la délégation de signature. Du coup, l’homme peut jouir de certains privilèges officiellement reconnus au président de la République. Pour Jean Michel Nintcheu, l’homme assimile cela à une « délégation de pouvoir » et se sert un peu trop de ces privilèges pour prendre de l’ascendant sur le gouvernement. En ce qui concerne le président de la République, il a été élu à la tête de l’État, mais également il cumule un mandat électif à la tête du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), son parti.
Nul doute que ces deux plaintes qui du reste, ne devraient pas prospérer, avaient déjà nourri le courroux d’un Atanga Nji partisan du droit de la force. Lui qui a longtemps proféré des menaces à l’endroit de Maurice Kamto et ses partisans du Mouvement pour la renaissance du Cameroun au lendemain de la présidentielle 2018 dont l‘opposant avait revendiqué la victoire. Aujourd’hui, J.M Nintcheu veut faire du même Kamto son cheval de bataille. Alors que Yaoundé s’évertue à faire prospérer l’idée que le leader du MRC ne peut être candidat faute d’avoir des élus. Alors l’Alliance promue par Nintcheu pour baliser le chemin d’Etoudi à Kamto va peut-être lui valoir son écharpe tricolore. Les signaux sont au rouge.