"Nous assistons à une recrudescence des traumatismes chez les patients, surtout à cause de blessures par balle": à Buea, en zone anglophone du Cameroun, George Enow Orock, directeur de l'hôpital, constate chaque jour les effets du conflit qui frappe sa région depuis un an.
Son hôpital pourrait pourtant ressembler à n'importe quel autre hôpital du Cameroun, avec ses longs couloirs blanchis à la chaux et son personnel médical affairé.
Mais il est en première ligne du conflit armé entre séparatistes, policiers et soldats de l'armée camerounaise, qui frappe les deux régions anglophones du pays, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest dont Buea est la capitale.
Depuis un an, entre 10 et 20 membres du personnel de l'hôpital ont fui les violences. Et "malheureusement, nous avons constaté une diminution du nombre de nos patients réguliers", soupire M. Orock, 62 ans dont 34 comme médecin.
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"Les femmes pour les soins prénatals, les enfants pour leurs vaccins de routine, la gestion postnatale et les patients avec des maladies connues de tous", ne viennent plus forcément se faire soigner ici, à cause de l'insécurité, explique-t-il.
Depuis le début du conflit, au moins 420 civils et 175 membres des forces de sécurité camerounaises ont été tués, selon le centre d'analyse International Crisis Group (ICG).
- Blessés par balle en hausse -
Dans son bureau où sont affichés ses nombreux diplômes, le directeur de l'hôpital souligne qu'environ une seule blessure par balle était soignée à l'hôpital, avant la crise. Désormais, ce sont entre cinq et dix personnes par semaine qui sont prises en charge par le service de traumatologie.
Ronaldo Mbuh, 20 ans, a été touché par une balle dans la hanche lundi par un tir de la police, à un poste de contrôle, à SandPit, un quartier de Buea.
"Ils ont dit que les +Ambazoniens+ (nom que se donnent les séparatistes) avaient l'habitude de marcher sur cette route", note sur son lit d'hôpital Ronaldo, victime collatérale de cette guerre, "Ils ont réalisé qu'ils avaient fait une erreur, alors ils m'ont aidé à me relever et m'ont emmené à l'hôpital".
Comme lui, huit civils ont été pris pour cible par les forces de sécurité et abattus à Buea fin septembre, selon des témoins à l'AFP.
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Car les postes de contrôle, les barrages de l'armée et les patrouilles militaires sont désormais monnaie courante à Buea. Les séparatistes armés ont désigné la ville comme la capitale de cette "Ambazonie" dont ils ont prononcé l'indépendance symbolique le 1er octobre 2017, marquant le début d'une escalade sans précédent de la violence.
Yaoundé a répondu par un déploiement massif de forces de sécurité. Dans le Sud-Ouest, 246.000 personnes ont fui le conflit, selon l'ONU. 25.000 autres sont réfugiées au Nigeria.
"Normalement", le matin, "ce couloir devrait être bondé!", constate M. Orock, pendant sa visite de service quotidienne. Mais les malades ont préféré rester chez eux par peur des séparatistes armés, des militaires et des policiers: les soupçons sont partout et la paranoïa s'est installée en ville.
- Main coupée -
Des séparatistes "m'ont appelé, le gars a dit que nous soutenions le maire (pro-Yaoundé, symbole de l'Etat), deux autres sont venus (chez moi dimanche) et l'un d'eux a sorti une arme à feu", raconte Beckley Motome, 48 ans, autre victime hospitalisée du conflit. "Un des gars a dit +tue le, allez+, derrière, l'autre avait une machette. Ils m'ont dit +on te donne deux options: le feu ou la machette+".
Il a finalement eu la main coupée, au dessus du poignet droit, soupçonné de collaborer avec les autorités.
Quelques mètres plus loin, des points de suture ont été posés sur la jambe droite d'un homme tabassé par l'armée, qui le soupçonnait d'être un séparatiste.
"Je ne peux plus marcher", soupire Ashu, 32 ans. "Ils ont utilisé une barre de fer et ils ont commencé à me frapper. Ils ont dit que j'étais un +Amba+", partisan d'un Etat anglophone.
A chaque agression, des séparatistes ou des militaires sont impliquués, le plus souvent sur de simples suspicions de soutien au camp adverse.
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"Une autre conséquence des troubles est que les corps des victimes ne sont pas réclamés car les familles n'ont pas les moyens de payer les funérailles, ou parce que les défunts étaient liés aux séparatistes", déclare encore le directeur de l'hôpital.
"Peut-être que ce sont des civils, peut-être des +Ambazoniens+, impossible de le savoir", selon lui.
Sur les trente corps qui reposent à la morgue de l'hôpital, dix sont ceux de victimes non réclamées du conflit, estime-t-il, ajoutant: "On prie pour que ça se calme".