Actualités of Thursday, 28 June 2018

Source: www.camerounweb.com

Ambazonie: lettre ouverte d’un journaliste camerounais à Paul Biya

La crise anglophone dure et continue de faire des victimes. La crise anglophone dure et continue de faire des victimes.

Le journaliste Eric Chinje a décidé d’écrire une lettre au président de la République au sujet de la grave crise qui sévie dans la zone anglophone. Une crise qui a fait plusieurs morts tant dans les rangs des soldats royalistes que des séparatistes. Sans oublier les décès des populations innocentes.

Ci-dessous l’intégralité de sa lettre:

Excellence, M. le Président,

C’est avec un honneur et un respect immenses que je vous écris pour exprimer mes opinions sur un sujet que je crois être d’une importance capitale pour vous et pour notre pays.

Je crois que je suis l’un des nombreux Camerounais préoccupés, jusqu’à la distraction, par la tragédie qui se déroule dans le pays. La nation a clairement perdu ses repères et un nuage sombre et diabolique semble planer sur notre territoire, aveuglant tout le monde à la raison et au jugement moral. De là où je me trouve, Monsieur le Président, le Cameroun apparaît comme étant dans un état d’impuissance, glissant dangereusement dans un abîme d’où il ne peut émerger qu’après de grandes souffrances et de grands sacrifices.

Une personne a le pouvoir de changer le cours des événements, d’inverser la tendance et de mettre le pays sur la voie de la paix et de la réconciliation. Les esprits les plus nobles dans votre entourage vous ont déjà certainement dit cela : vous seul pouvez arrêter cette descente en enfer et raviver les espoirs d’un meilleur Cameroun. Certains ont prétendu que votre santé ne vous permettrait peutêtre pas d’organiser le revirement nécessaire dans la politique et l’approche des crises auxquelles nous sommes confrontés. Vous pouvez, cependant, donner des instructions fermes, et permettez-moi de suggérer en quoi pourrait consister de telles instructions.

Les crises dans l’est et le nord du pays sont générées de l’extérieur et appellent à la présence renforcée de l’armée nationale le long des frontières avec nos voisins, le Nigeria et la République centrafricaine. Vous avez donné des ordres permanents à cet effet, et l’armée a largement gagné le respect des citoyens sur les deux fronts. Des armées extérieures, y compris les Américains et les Français, sont intervenues pour aider.

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La fameuse crise anglophone présente une réalité totalement différente et appelle une approche et une stratégie de leadership complètement différente. Pourquoi? Pour la simple raison que la crise est générée en interne, soutenue par une montée de la violence perpétuée par les extrémistes qui se nourrissent les uns les autres. Cette crise n’était, au début, qu’un problème de police; des gens à la gâchette facile autour de vous ont vu une chance pour bander leurs muscles. Ce que nous avons maintenant, c’est la militarisation d’un conflit au sein d’une famille, une guerre fratricide dans laquelle des Camerounais tuent des Camerounais. Et qui pensez-vous va gagner cette guerre?

Vous devez trouver la force morale et, espérons-le, la force physique pour faire ce qui est juste dans cette affaire, et mettre fin à cette crise avant qu’elle ne transforme un havre de paix unique en champs meurtriers et en rivières de sang. Trop de souffrances, de trop nombreuses vies perdues. L’odeur de la mort émane de paisibles maisons des villageois innocents pendant que Yaoundé respire! Monsieur le président, trop c’est trop! Permettez-moi de vous suggérer les actions suivantes que vous pouvez initier comme un ensemble d’instructions à votre gouvernement:

Retirer l’armée avec effet immédiat et envoyer la police dans toutes les zones de conflit dans les deux régions anglophones;

Libérer tous les anglophones incarcérés, y compris ceux qui ont été arrêtés au Nigéria, ne maintenir en détention que ceux qui ont expressément et à plusieurs reprises appelé à la guerre;

Permettre immédiatement à tous les détenus restants d’avoir accès à leurs avocats nationaux et internationaux;

Prévoir des ressources budgétaires et de conseil psychologiques pour soutenir tous ceux qui ont perdu leurs proches et habitations dans les villages incendiés par l’armée;

Fournir un soutien financier et psychologique aux familles de tous les soldats qui ont perdu la vie dans cette guerre malheureuse;

Engager des discussions et des arrangements constitutionnels fondés sur la spécificité du problème anglophone et sur la nécessité d’y remédier de manière à protéger les droits des citoyens et à renforcer l’unité nationale;

Engager des consultations qui aboutiront à la réécriture d’une nouvelle constitution pour le pays – une reconnaissance de l’inviolabilité de la fédération de deux États qui composent le Cameroun et décentralisant efficacement l’administration du pays en unités régionales de manière à rapprocher le gouvernement des gouvernés.

Inviter la diaspora camerounaise, l’Union africaine et les Nations Unies à participer à un dialogue ouvert et honnête sur les droits, les privilèges et les devoirs des minorités culturelles, linguistiques et religieuses.

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Faire approuver la nouvelle constitution par référendum, avec des majorités dans les deux États;

Appeler à une journée de prière et de deuil national – qui se tiendra chaque année – pour tous les citoyens qui ont perdu la vie à la suite de la crise actuelle et qui implique toutes les religions et toutes les dénominations.

Je pense pouvoir dire que les objectifs visés par les dix propositions sont assez clairs. Vous avez peut-être d’autres moyens de les atteindre, mais je vous prie de considérer sérieusement ces suggestions et d’agir en conséquence.

Je vous conjure de ne point vous laisser tromper en pensant qu’il existe une solution militaire à la crise actuelle. La place que vous cherchez dans l’histoire va peut-être finalement être déterminée par la façon dont vous gérez ce problème.

Dans l’espoir que vous trouverez ces suggestions utiles dans la recherche d’une solution à la crise que vit notre pays, je vous prie d’agréer, monsieur le président, l’expression de mes sentiments distingués.