Dans le sillage de la célébration des 32 ans du parti au pouvoir le vendredi 24 mars 2017, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), voici le portrait de ceux qui au sein du parti de Paul Biya, «rament à contre-courant, au nom de la rigueur et la moralisation».
Il s’agit d’un certain nombre de personnalités de premier plan du parti qui n’ont pas la même vision des choses que la plupart des caciques du système Biya.
Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, l’impénitent biyaïste
Dimanche 19 mars 2017 sur les antennes de la chaîne de télévision Canal 2 international, Pascal Charlemenagne Messanga Nyamding a utilisé des termes peu élogieux pour qualifier son parti et ses membres. «Le Rdpc est dirigé par les pédés et les francs-maçons», déclare, sans sourciller, le biyaïste. Réputé pour son engagement militant passionné, l’universitaire n’hésite pas de tirer à boulets rouges sur ses camarades et sur certains membres du secrétariat général du parti, qui n’ont visiblement pas ses faveurs. Seul le président national, Paul Biya, trouve grâce à ses yeux. En 2013, dans son Yabassi natal, Messanga Nyamding prend ouvertement position contre les têtes de liste aux législatives et aux municipales et bat campagne contre son parti. Ce qui lui vaudra de passer devant les instances disciplinaires du parti en 2014 et de s’en tirer avec un blâme. Cette tape sur les doigts ne va pas calmer le bouillonnant membre du comité central du Rdpc qui a déjà prévenu: «si Paul Biya ne se présente pas aux élections en 2018, je serai candidat…».
Saint Éloi Bidoung, l’opposant de l’intérieur
Dans une tribune parue fin 2016, celui qui officie comme conseiller municipal Rdpc à la mairie de Yaoundé VI, écrivait: «même à l’intérieur du Rdpc, on n’est pas à l’abri des flammes. C’est d’ailleurs l’un des endroits les plus incandescents». Saint Eloi Bidoung parlait de ce qu’il a appelé «34 ans de flammes et de fumée». Il mettait ainsi à nu la désintégration du tissu économique et social du pays par les membres du parti dans lequel il milite. «Si au Cameroun il y a une opposition, elle est dans le Rdpc et j’en suis le meneur», se plait-il à dire. Celui qui s’est porté candidat à la tête du Rdpc au congrès extraordinaire de 2016, contre Paul Biya, n’a pas pardonné à ceux qui après l’ont traduit devant le conseil de discipline du parti pour «avoir osé défier l’autorité du président». Son combat clame-t-il, est contre les amis du président national qui ont confisqué la démocratie au sein du parti. Il croit aux idéaux énoncés par l’«homme du 06 novembre», qui sont la rigueur et la moralisation. «Démissionner du Rdpc serait trop facile et serait un aveu d’échec vis-à-vis de ceux qui torpillent le parti de l’intérieur», confie-t-il. Il y a une certitude, celle de «l’urgence de la pensée d’une nouvelle éthique au Rdpc», et c’est cela sa conviction.
Adama Modi Bakary, l’ennemi intime de Cavaye
En violation des consignes de vote du président national du Rdpc, le député Rdpc du Mayo Kani, Adama Modi Bakary, a défié trois fois de suite (2007, 2008 et 2009) Cavaye Yéguié Djibril à l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale. «Sur le plan démocratique, on ne peut pas imposer la candidature d’un homme au nom de tout un groupe», fulminait alors le parlementaire. Mais, à chaque fois, le suspense ne durera que le temps de l’annonce de la candidature concurrente, car Cavaye finira toujours par se faire réélire. Au cours d’une réunion du parti en 2013 à Maroua, Cavaye Yéguié Djibril ironisera en ces termes, face à son indécrottable challenger: «Pourquoi tu es toujours agité Adama Modi? Tu n’as jamais demandé la parole, même à l’Assemblée nationale, sauf pour dire que tu es candidat». Réponse à la roquette du député : «Vous nous dites qu’il faut soutenir le Rdpc par des actions concrètes au profit des populations. Qu’avez-vous fait personnellement pour vos propres populations depuis près de 30 ans que vous êtes aux affaires? Les routes qui mènent dans le Mayo-Sava sont impraticables. Au lieu d’une heure, il faut trois heures de temps pour arriver à Mora. Pour arriver chez vous à Tokombéré, c’est encore pire. La politique n’est pas comme la religion où la récompense vient après la mort. En politique, c’est cartes sur table». Ancien président du Conseil d’administration de Cimencam, le député frondeur, disparu de la scène aujourd’hui, n’a pas été investi par le Rdpc pour les législatives de 2013. Des analystes y ont vu une sanction par rapport à ses écarts de conduite vis-à-vis de la «discipline du parti», si chère à Paul Biya.
Martin Oyono, le dur à cuire de l’Océan
«La hiérarchie du parti c’est Paul Biya, ce n’est pas le secrétariat général du Comité central». Ainsi s’exprime Martin Oyono, député Rdpc du département de l’Océan, région du Sud. Martin Oyono assume l’étiquette de frondeur, et dit n’obéir qu’aux directives du parti fixé par le président national, Paul Biya. Sa cible principale, le Comité central que dirige Jean Nkueté, le secrétaire général. Ce qui peut expliquer ses sorties. En juin dernier à l’Assemblée nationale, Martin Oyono affiche une virulente opposition contre le projet de loi portant révision du Code pénal défendu par le ministre de la Justice. L’élu refuse que l’immunité soit accordée aux ministres. Le texte sera adopté, mais renvoyé pour examen par le chef de l’État. Le député jubile. Depuis lors, rien ne l’arrête. En décembre, il admet un problème anglophone, alors qu’au même moment, la direction du parti fait la politique de l’autruche et ne reconnaît la crise que du bout des lèvres.
Hervé Emmanuel Nkom, «Vrai évangéliste» au RDPC
Le Rdpc, il ne l’a pas choisi par tribalisme ou par clanisme, mais par conviction. Et, pour défendre les intérêts et les idéaux de son parti, Hervé Emmanuel Nkom ne garde pas sa langue dans sa poche. «Je suis entré au Rdpc pour défendre un projet de société, de construction d’un bonheur collectif. C’est un idéal. J’ai la conviction que je défends les principes du Rdpc. Que certains camarades ne s’en accommodent pas, je peux le comprendre. Nous sommes en démocratie. Mais je suis sûr que je défends les idéaux du parti fondés sur une gestion juste», tranche-t-il. Ce fils d’upéciste soutient ne pas faire de la politique pour plaire à quiconque. Et, ses positions, il les assume et les défend avec sa dernière énergie. Surtout que, dit-il, «Je n’ai jamais été réprimandé ou sanctionné par le parti pour quoi que ce soit ». Un engagement qui, se réjouit-il, lui a valu la reconnaissance de Paul Biya, président du « parti du flambeau» en le nommant membre du comité central du Rdpc et membre de la délégation permanente du Rdpc pour le Wouri. Ayant gravi tous les échelons du parti, il se considère comme le «Elie» biblique du Rdpc et, pour lui, «la politique est faite par plusieurs catégories d’individus, les prédicateurs, les imprésarios ou les aboyeurs. J’essaie d’être un prédicateur».
Jean Baptiste Atemengue, le libéral venu de France
«Sortir le Cameroun de l’impasse», ouvrage publié en 2001 aux éditions L’Harmattan France, est le livre qui attire les regards sur Jean Baptiste Atemengue. Celui qui, quelque temps après, devient le vice-président de la section Rdpc de France I est vu par l’aile conservatrice du parti, comme un trouble-fête. «Je suis un progressiste doublé de l’étiquette de libéral tel qu’énoncé par le président Paul Biya à la création du parti», argue ce natif de Ngoumou – dans la région du Centre – qui une fois au Cameroun a réussi à se faire élire à la vice-présidence de la section Mefou-Akono Ouest. Jean Baptiste Atemengue se positionne comme celui-là qui en 2001 est allé en guerre contre la gabegie et la mal gouvernance de certains membres de son parti. «Je suis du côté du peuple, je suis pour la moralisation des mœurs. Le problème d’un véritable changement au sein du Rdpc est celui de la masse critique de ceux qui veulent véritablement faire bouger les lignes. Pour ce faire, je rame avec le courant de ceux qui veulent une vraie démocratie dans le parti», affirme-t-il.
René Ze Nguelé, la panthère en retrait
En ce dernier jour du conclave attendu depuis 1996, l’ordre du jour prévoit l’élection du président national du Rdpc. Tout le monde (ou presque) est d’avis que Paul Biya sera candidat et que personne n’osera le défier. Mais un coup de théâtre va se produire au Palais des congrès, où se tient le raout. René Ze Nguelé, l’une des figures emblématiques du régime en place se porte candidate, face à Biya. Au résultat final, il ne récoltera que sa propre voix. Le président sortant est réélu à l’unanimité, soit avec 1134 voix moins un vote. Mais plus qu’une candidature, il s’agissait manifestement pour René Ze Nguelé de passer un message. Aux congressistes du Rdpc, il indiquera que la nouvelle dynamique annoncée au sein du parti doit se traduire dans les faits, avant de dénoncer l’inertie et la corruption au sein de l’administration-Rdpc. Plus loin, il déclare que Paul Biya ne peut plus concentrer entre ses seules mains, la fonction de président national du Rdpc et celle de président de la République. Il faut qu’il cède celle de président national. Après sa défaite, l’ancien ministre d’Ahidjo et Biya dira, confiant: «Je ne suis pas un vagabond politique et je ne crains pas les représailles». De nombreux militants du Rdpc croyaient en effet que la messe était dite pour René Ze (la panthère en langue Fang-beti) Nguelé, coupable de «crime de lèse-majesté». Mais non seulement Paul Biya le maintiendra au poste de président du conseil d’administration de l’Irad (Institut de recherche agricole pour le développement), mais, bien plus, le chef de l’État fera de lui un sénateur. Cerise sur le gâteau. Août 2012. Paul Biya se rend à Lom Pangar pour la pose de la première pierre du barrage. Ze Nguelé, président de l’Association des chefs traditionnels de l’Est est écarté de la délégation par un groupe de monarques locaux. «Depuis qu’il s’est opposé à M. Biya au congrès du Rdpc, M. Ze Nguelé a fragilisé la chefferie traditionnelle à l’Est», tempêtent-ils. Mais mal leur en prendra. Au moment de les recevoir à Bertoua, Paul Biya exigera la présence de son «ami», René Ze Nguelé.
Peter William Mandio, l’honorable qui dérange
Son terrain de chasse privilégié : le gouvernement. Sa méthode : des sorties médiatiques ciblées. Peter William Mandio, député originaire du département du Mbam et Inoubou, arrondissement de Nitoukou, est un ancien journaliste qui maîtrise l’art de la communication. Aussi ne se prive-t-il pas de jeter des pavés dans la mare de façon parcimonieuse. Les membres du gouvernement et assimilés sont ses cibles. Il s’en explique: «Moi je suis dans une posture où je respecte les missions qui sont assignées aux parlementaires, c’est-à-dire le contrôle de l’action gouvernementale et le vote des lois. Maintenant, si dans le contrôle de cette action gouvernementale cela heurte des camarades, ça m’étonnerait que le parti me sanctionne pour cela». La discipline du parti? «C’est vrai qu’il y a la discipline du parti. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il faut respecter la discipline du parti, mais il faut aussi éviter d’être solidaire du crime», martèle-t-il. En décembre 2016, alors que la crise anglophone faisait rage, cet élu déclarait: «Certains collaborateurs du chef de l’État brillent par une étonnante déloyauté incurable». Plus tôt dans l’année, le turbulent député demandait ouvertement la démission du ministre de la Santé, André Mama Fouda, pour sa gestion jugée catastrophique de l’affaire Monique Koumatekel, morte en couches à l’hôpital Laquintinie de Douala. Le DG d’Eneo en aura pour son grade, du fait des délestages. Les sorties successives du député vont susciter une réunion de crise entre l’administration du parti et les parlementaires. Chaque déclaration publique sera désormais subordonnée à un visa de la hiérarchie du parti.
Tobie Ndi, la brebis égarée
En 2011, le Rdpc prépare la tenue de son 3e congrès ordinaire. Celui-ci a comme point d’orgue, la désignation du candidat qui représentera de fait le parti du «flambeau ardent» à l’élection présidentielle prévue en octobre de cette année-là. Une simple formalité en théorie, puisque Paul Biya est considéré par la grande majorité des militants comme le «candidat naturel» du Rdpc. Mais à la surprise générale, et entre les gouttes d’une pluie d’appels à candidature, un pagayeur va ramer à contre-courant. Tobie Ndi, peu connu de la scène politique camerounaise, se positionne dès juin 2011 en challenger du fondateur du parti. À l’époque conseiller municipal de la commune de Ngomedzap (Nyong et So’o), il estime que le Rdpc a besoin d’un souffle nouveau face à un pouvoir qu’il croit être en déclin. Celui qui avait déjà tenté pareil coup sans succès en 2006 va dès lors subir les foudres de ses camarades. Mais au fil du temps, son discours est mesuré. «Je reste fidèle à l’idéologie du parti et aux instances dirigeantes. Plutôt qu’une alternance il faudrait plutôt améliorer la vision actuelle», affirme-t-il en ce jour anniversaire du Rdpc. Le désormais chroniqueur au journal La Météo reste néanmoins inquiet quant au manque de visibilité dans la gestion de l’avenir du parti.