Cette magistrate s'est retrouvée à l'avant-scène en 2014 après avoir emprisonné Louis Bapès Bapès, le ministre des Enseignements secondaires (Minesec), qui était encore en fonction. Après 32 ans de magistrature plutôt tranquille, Annie Noëlle Bahounoui Batende, alors vice-présidente du Tcs(Tribunal criminel spécial), est, depuis le 10 août 2020, présidente de cette chambre juridictionnelle spéciale. Il y a six ans, face à un confrère qui l'avait rencontrée accidentellement dans les allées du Tribunal criminel spécial 24 heures après l'arrestation du ministre des Enseignements secondaires en fonction, quoique souriante, elle n'avait pas caché sa gêne face à cette situation. Le 1er avril 2014, en ouvrant l'édition du quotidien «Le Jour», elle se demandera bien: «Qu'est-ce qu'ils me veulent même ceux-là». Assurément rien. Un peu malgré elle, le 31 mars 2014, Annie Noëlle Bahounoui Batende, réservée de nature, est portée sous les feux des projecteurs. Ce lundi-là, le juge d'instruction Bahounoui reçoit, dans son cabinet d'information judiciaire (porte 2), Louis Bapès Bapès, le ministre des Enseignements secondaires(Minesec), en poste. Elle l'entend quelques minutes, puis le place sous mandat de détention provisoire. Aussi froidement que cela puisse l'être. Le ministre est conduit à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui. Il y passe une nuit. Le lendemain, vers 17h, Bapès Bapès est libéré. La même juge d'instruction qui, la veille, le «jetait» en prison, le sort de là, en donnant, cette fois-ci, «mainlevée du mandat de détention provisoire de Louis Bapès Bapès». Un acte prévu par l'article 222 du code de procédure pénale et auquel le juge d'instruction peut recourir pendant l'instruction d'une affaire.
Issa Tchiroma Bakary se presse de justifier la sortie de prison du ministre Bapès Bapès par cette disposition de la loi. Les Observateurs de la scène judiciaire camerounaise pensent, pour leur part, qu'autant un juge d'instruction ne peut pas prendre sur lui de mettre un ministre en prison, autant il ne peut pas décider de le faire sortir du jour au lendemain. D'où les informations persistantes qui font état de l'intervention de la présidence de la République. En effet, tel que la pratique l'exige, pour aboutir à l'inculpation de Louis Bapès Bapès, le parquet (le procureur général ou un de ses substituts), qui mène l'accusation, a élaboré un réquisitoire introductif d'instance qui présente les griefs qui sont reprochés à l'accusé. Ce document est transmis au président du Tribunal criminel spécial de l'époque, Yap Abdou, qui, à son tour, désigne un juge d'instruction pour l'ouverture d'une information judiciaire. En l'occurrence, Annie Noëlle Bahounoui. Des sources internes au Tribunal criminel spécial tendent à dire qu'elle avait agi «conformément aux instructions» de sa hiérarchie (le président du Tribunal criminel spécial et le procureur général de ladite juridiction, Emile Zéphyrin Nsoga, de regrettée mémoire, qui, lui, dépendait, directement, de la chancellerie, donc du Garde des sceaux). Comme le juge de jugement, le juge d'instruction est un juge indépendant, qui juge avec sa loi et sa conscience, contrairement aux magistrats du parquet qui, eux, reçoivent leurs instructions du ministère de la Justice.
Si Bahounoui Batende a la réputation d'être une juge intègre auprès de certains avocats, ceux-ci regrettent, toutefois, le fait que « tous les magistrats du Tribunal criminel spécial sont aux ordres». Personnalité très effacée, que l'on présente comme «une force tranquille», Bahounoui Batende n'est pas à son premier fait d'armes dans le cadre de l'opération Epervier. En charge de l'instruction du «dossier Camair» ouvert au Tribunal criminel spécial(Tcs), le 21 octobre 2013, Annie Noëlle Bahounoui prend une ordonnance dans laquelle elle demande aux institutions bancaires de «recenser tous les comptes bancaires ouverts au nom de Fotso Yves Michel (principal accusé dans l'affaire Camair) et ceux ouverts même sous d'autres noms, raisons ou dénominations sociales et pour lesquels il détient le pouvoir de signature seul ou conjointement avec d'autres personnes». Aux destinataires de sa réquisition, la magistrate commande de «nous indiquer le solde actuel desdits comptes, et faire procéder, sans désemparer, à leur blocage». Cette ordonnance judiciaire a entraîné la fermeture de la société Clean Oil, la dernière-née des entreprises d'Yves Michel Fotso, qui était spécialisée dans le raffinage des huiles usées de Kribi. L'homme d'affaires a, par ailleurs, décidé de procéder au licenciement des employés d'autres structures. Si l'acte du juge d'instruction n'est pas passé inaperçu, pour autant, il n'y a pas eu de tapage autour de son nom, comme ça a été le cas pour Louis Bapès Bapès.
Et pourtant, Dieu seul sait le nombre de dossiers dans lesquels sont impliquées les personnalités de ce pays, et que Bahounoui Batende a déjà vu passer sous son nez depuis qu'elle est au Tribunal criminel spécial. A. N. Bahounoui Batende aurait tant préféré que l'on s'en tienne à ses dossiers. Hélas! Le 18 avril 2012, à la suite d'un Conseil supérieur de la magistrature présidé par le président de la République, Paul Biya, cette magistrate de quatrième grade, est nommée juge d'instruction près le Tribunal criminel spécial. Avec Jérôme Kouabou, Bouba Khadidja et Ekanga Evouh, elle forme le premier quatuor des juges d'instruction du Tribunal criminel spécial. Très tôt, cette ressortissante du Mbam se dresse un itinéraire. «Sûr d'elle, témoigne un de ses proches, elle ne fait jamais aucun excès». Son Baccalauréat acquis au Lycée Général Leclerc de Yaoundé, A. N. Bahounoui quitte le Cameroun et s'inscrit à la Faculté de droit de l'université de Paris Malakoff, située dans une banlieue au Sud de Paris. De là, se dessine le parcours classique des étudiants brillants, rigoureux et rangés, qui agacent parfois avec leurs résultats auxquels l'on ne peut adresser le moindre reproche. Ses études académiques sont alors sanctionnées par un diplôme d'études supérieures spécialisées (Dess) en Droit. Vient le moment où cette Doctorante en Droit se retrouve dans l'opiniâtre construction d'une trajectoire de self made-woman, pas du tout dépendante ni de sa patronymie (son père, Léon Bahounoui Batende, a été Directeur général des Douanes, puis Directeur général de la Banque camerounaise de développement et député Rdpc à l'Assemblé nationale), ni des privilèges qui auraient pu en découler. A l'ambassade du Cameroun à Paris, où était ouvert un centre d'examen, A. N. Bahounoui Batende présente le concours de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (Enam). Elle est reçue à l'écrit. Elle fait le voyage pour le Cameroun pour présenter l'oral. Lorsque les résultats sont publiés, son nom n’apparaît pas sur les listes définitives. Annie Noëlle, qui n'avait jamais connu d'échec dans ses études, le vit comme un choc, mais elle ne plie pas. Elle décide de revenir s'installer définitivement au Cameroun.
La jeune Annie Noëlle entreprend un moment une carrière de notaire, mais se retrouve plutôt à la Société immobilière du Cameroun (Sic), où elle exerce, pendant un an, comme conseillère juridique. Annie Noëlle présente, à nouveau, le concours de l'Enam. Cette fois-ci, c'est la meilleure. Elle intègre l'école en 1988. L'Enamienne a pour camarade de promotion, un certain Philippe Camille Akoa, aujourd'hui, Directeur général du Feicom(Fonds d'équipement intercommunal). Après un stage dans le ressort judiciaire de la Cour d'appel du Littoral, Annie Noëlle présente un mémoire intitulé « contentieux foncier en matière pénale». Un travail effectué pour sa sortie de l'Enam intervenue en 1990. Son chef-d’œuvre est repris dans plusieurs ouvrages portant sur la thématique qu'elle a abordée. Intégrée à la Fonction publique sous le matricule 529658 P, Annie Noëlle commence sa carrière comme magistrate du parquet. Elle est affectée comme substitut du procureur à Nkongsamba. Commence, ensuite, son parcours au siège. Elle est propulsée présidente du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, où, de l'avis de certains avocats, elle se fait un prénom. Après Douala, elle se retrouve à Mbalmayo, où elle exerce comme présidente des Tribunaux de première et grande instances. Le 8 juillet 2010, Bahounoui Batende est nommée vice-présidente de la Cour d'appel du Sud. Le dernier poste qu'elle occupe avant le Tribunal criminel spécial. A 60 ans, cette femme au regard froid tient les rênes du Tcs. Les gros bonnets de la république, indélicats en matière de gestion de la fortune publique, n'ont qu'à bien se tenir.