Actualités of Wednesday, 15 February 2023

Source: www.camerounweb.com

Après Biya : L’échographie d’un accouchement difficile ou de gré à gré

Paul Biya Paul Biya

Le biotope politique camerounais est en ébullition au profond de ses entrailles, en travail pour l’enfantement. L’affaire Martinez Zogo donne un cliché d’une succession plombée par l’incertitude et interroge la filiation du nouveau-né avec Paul Biya. Surtout qu’à l’entrée dans son 90ème anniversaire, en dépit de tout le respect en tant qu’Africain devant le vénérable âge du président de la République, on est tout de même traversé par une suite d’interrogations sur les probabilités qui peuvent traverser le chant politique après « l’homme Lion ».
La filiation légitime
Le premier cas de figure. Paul Biya abandonne sa charge et rentre au village, certainement pour se reposer, même s'il ne l'a pas ouvertement dit ainsi en répondant au journaliste français empressé de savoir son sort politique en 2025. Qui, Paul Biya peut-il hisser au pouvoir comme un fidèle des fidèles comme Ahidjo fit en 1982 avec lui ? Ce n’est pas aussi facile que cela après quatre décades d’exercice de pouvoir. Pour l'envisager, on commencera par observer les indices une fois le Sénat en poste à l'issue des élections du 12 mars et les 30 sénateurs nommés. L'identité du prochain président de la Chambre haute en dira long sur les intentions présidentielles. Deux grilles de lecture. Si Paul Biya confie la charge du perchoir à un autre titulaire, on peut commencer à voir un frémissement vers les préparatifs du « Vieux » à se retirer et d’aller au village. Il faudrait dans ce cas-là, s'attendre à voir les mêmes changements s'opérer à la tête de l'Assemblée nationale en mars 2025. Ces deux changements pourraient signifier que le chef de l'État est sur le retrait. Par contre, s’il conserve son ami Marcel Niat Njifenji au perchoir, c'est fort probable qu'il le fasse avec Cavaye Yeguie Djibril et qu’au bout du compte, il se représente pour un autre mandat en octobre 2025, ou avant, c’est selon. Il y a lieu de signifier que Cavaye Yeguie Djibril est au perchoir depuis 1992 et Marcel Niat Njifendi tient les rênes du Sénat depuis la première mandature en 2013. C'est donc des hommes huilés du système Biya qui fonctionnent sans anicroches majeurs de manière automatique, mécanique. Changer un ou les deux hommes reviendrait tout simplement à remettre en cause la technostructure du Sérail. Avec un président du Sénat plus jeune, le risque est grand de le voir manœuvrer au quotidien pour la chute du président de la République. Ce qui au demeurant, ne ferait pas les affaires de Paul Biya, le nonagénaire. Dans ce cas et pour rester logique dans ce qui est dit précédemment, si Paul opte pour cette voie, il serait tenu de modifier la Constitution en vue de l’élection présidentielle de 2025, incorporant de ce fait dans le texte fondamental le poste de vice-président qui serait certainement élu en même temps que lui à l'élection présidentielle. En cas de couacs, ce dernier prendrait le relais et continuerait en toute légitimité le mandat en cours sans avoir besoin d'organiser une quelconque élection. Ceci se ferait d'autant plus que dans la présente Constitution, le président intérimaire organise l'élection où il n'est pas candidat. Ce serait donc un boulevard ouvert devant celui que Paul Biya aurait choisi comme son colistier. Ce fut le cas par exemple au Gabon, lorsque Léon Mba, sentant sa fin prochaine, se fit élire sur la même liste avec Bernard Bongo qui devint Omar Bongo. A la mort du premier chef de l'État gabonais, il prit la relève et a suite est dans l'histoire. Dans ce cas de figure, il ne manquerait pas de jeunes gens qui pourraient accompagner Paul Biya. On peut penser à anglophone très discret, affable et courtois comme tant d’autres anglophones qui seraient dans « le pipe » présidentiel. Le but politique serait bien entendu d'endiguer et de mettre un terme à la sécession dans les deux régions anglophones. Par-là, Paul Biya corrigerait certainement un pan de l'histoire, précisément la violation des Accords non écrits de Foumban, où dit-on, le pouvoir d'Etat était appelé à alterner entre francophones et anglophones.
Ces fils légitimes mal positionnés
Paul Biya pourrait tout autant régler le problème de sa succession sans toucher à la Constitution. Dans ce cas, il passerait par son instrument politique qu’est le Rdpc. Bien sûr, il continuerait son sacerdoce présidentiel comme le fit le pape Jean Paul II au Vatican, Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire, Omar Bongo au Gabon, Etienne Gnassingbé Eyadema au Togo entre autres. Dans ce cas, il passerait par une modification des textes du parti pour faire asseoir son poulain. Dans un tel cas de figure, celui qui le remplacerait à la tête du parti devrait subir les intrigues politiques venant de toutes parts. Depuis 1985, les collaborateurs du président national du parti, qui fourbissent les armes politiques pour accéder au sommet, ne vont plus se cacher pour jouer à fond la caisse dans le but bien compris de faire capoter le projet, soit de s'attaquer directement à lui pour court-circuiter les chances du dauphin ainsi désigné d'entrer à Etoudi. Même si ce dernier prenait les rênes du parti, en tant que candidat naturel du parti à l’élection présidentielle, la question est dès lors de savoir s’il pourrait être la hauteur de rassembler autour de lui. Est-ce que le président par intérim parviendrait à organiser une élection apaisée avec les nombreux militants du parti présidentiel qui réclameraient dès lors toutes les prétentions à succéder au président national ? Qui ferait dès le lors le consensus dans ce cas de figure ? Un de ses proches biologiques comme il se susurre dans certaines officines ? Rien n’est sûr et certain car beaucoup d’acteurs politiques dans les rangs du Rdpc et en dehors, confient ouvertement avoir une alliance avec Paul Biya et non avec quelqu’un d’autre. Ici est donc posée la problématique de l’identité du champion après Paul Biya qui pourrait fédérer toutes les attentes. Dans un tel contexte, si Paul Biya peut miser sur des hommes de confiance et de parole comme Jean Nkuété ou Niat Njifenji, pour exécuter in extenso ses quatre volontés, rien ne dit qu’ils seront suivis passivement par leurs camarades dans cette démarche. Un homme neuf, oui mais au sein du parti, que de cris pour contester ses états de service ! Que de failles autour du parti nées des déceptions après le N’nom Ngui qui a toujours su tenir tout le monde dans le respect de ses instructions. Ce n’est qu’une hypothèse tout de même.
Le couronnement des incertitudes
Le départ de Paul Biya aujourd’hui ou demain est une menace à la paix du pays car pendant longtemps, il a été l’alpha et l’Omega de l’ordonnancement et de la bonne marche républicaine. Son départ de ce fait prendrait au dépourvu les principaux tenanciers du pouvoir autour de lui qui se battront pour prendre la relève. Ce qui de toute évidence va fragiliser le sérail de l’intérieur et ouvrir des voies à toutes les forces qui hier étaient ostracisées. A la mort d’Omar Bongo Ondimba, la lutte de succession avait été vivace. Il avait fallu d’ailleurs toute l’implication de Paul Biya pour arbitrer et équilibrer les rapports de force. A sa victoire, c’est tout naturellement à Yaoundé qu’Ali s’était rendu. Jean Ping, l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Omar Bongo et président de la Commission de l’Union africaine pendant un temps ou André Mba Aubame, la tête pensante du régime du père Bongo, ont combattu Ali Bongo et le combattent encore. Dans une telle configuration, et surtout au Cameroun, on peut craindre un dérapage avec toutes les couches sédimentaires des contestations des élections antérieures. Sans Paul Biya, l’opposition serait de ce fait une autre dimension surtout avec les ralliements des déçus du parti au pouvoir. Une autre union pour le changement telle qu’en 1992 pourrait mettre facilement le parti au pouvoir en minorité dans un tel contexte. L’autre facette lugubre que l’après Biya pourrait réserver aux Camerounais est le rôle de la grande muette. Pour républicaine qu’elle soit, peut-elle suffisamment se détacher de la personne de leur chef suprême Paul Biya, une fois s’il n’est plus aux affaires ? Ceci interroge toutes les incertitudes de l’après Biya.