Actualités of Wednesday, 24 August 2022

Source: www.camerounweb.com

Archives : Martin Singap, ce nationaliste camerounais peu connu du public

Martin Singap Martin Singap

Martin Singap est un nationaliste camerounais. Il fait la connaissance de Félix Roland Moumié à Maroua où ce dernier travaille. A l’époque, Singap est vendeur chez un commerçant de la même ville. Les deux hommes organisent la population pour la lutte de l’indépendance du Cameroun.

Felix Moumié devient très vite la deuxième personnalité la plus populaire et la plus respectée de Maroua après le lamido. Quand la décolonisation du Cameroun tourne en conflit armé, Martin Singap y joue un rôle de premier plan. Tandis que les CNO (Comité National d’Organisation) mènent des opérations en Sanaga Maritime, à l’ouest, c’est le SDNK (Sinistre de Défense Nationale du Kamerun) qui pilote les opérations militaires.

Le SDNK est créé suite à l’arrestation et à la destitution du jeune chef upéciste Pierre Kamdem Niyim de Baham. Pour les bamilékés, le chef est chef à vie. Cette destitution est l’un des points culminants de l’ingérence du colon dans leurs affaires culturelles. Pierre Kamdem Niyim reçoit le soutien direct de deux autres jeunes chefs upécistes Bamilékés. Il s’agit de Marcel Feze (26 ans) de Badenkop et Jean Rameau Sokoudjou (20 ans) de Bamendjou.
Des groupes s’organisent pour revendiquer la libération et la reconduite de Pierre Kamdem Niyim à la tête de sa chefferie. Ces groupes n’agissent pas seulement dans la chefferie Baham, mais dans toutes les chefferies bamilékés dont les chefs font allégeance aux colons. C’est dans ces circonstances de crise que Martin Singap crée le SDN (Sinistre de Défense National) alors qu’il est âgé de 23 ans. Il convoque toutes les sections de l’UPC pour remettre le parti en ordre et planifier la lutte qui a déjà débuté en Sanaga Maritime. A cette époque, à l’exception de Ruben Um Nyobé, les principaux dirigeants de l’UPC ont été contraints à l’exil.

Les débuts du SDN sont modestes. Il s’agit de cinq groupes d’une trentaine d’hommes chacun, opérant dans les subdivisions de Bafoussam, Dschang et Mbouda. A peine crée, l’armée est aux abois, ce qui amène Martin Singap à créer une autre armée à partir de la première. Il s’agit du SDNK qui voit le jour le 10 Octobre 1957 à Baham. Cette branche militaire est dirigée par lui, Pierre Simo et Paul Momo. L'armée atteint vite une taille critique. Les guérilleros sont armés de machettes, de matraques ou de fusils de chasse. Les pistolets sont réservés aux chefs.

Devant eux, l’armée française dispose d’armes automatiques, de mitraillettes, d’avions de combat. Les guérilleros se noient dans la population au point qu’il devient impossible de les distinguer de la population. L’armée nationaliste mène une série d’attaques de grande ampleur. Plusieurs chefferies dirigées par les collaborateurs des colons en région bamiléké sont incendiées. Les collaborateurs des colons sont physiquement attaqués.

Après d’éclatantes victoires, la répression coloniale est funeste. Traqués, Martin Singap et ses lieutenants se réfugient au Cameroun britannique pour se reconstituer. Au Cameroun français, la résistance s’intensifie à Yaoundé, Douala, Nkongsamba et Sangmélima. Mais une fois de plus, la répression et les tortures coloniales amènent plusieurs militaires du SDNK à passer aux aveux. Ce qui fragilise l’armée qui, contre toute attente, continue de libérer des territoires.

Chaque fois qu’un dirigeant tombe, les autres sortent de l’ombre et le remplacent. L'armée nationaliste a le dessus sur les combats et contrôle plusieurs zones. Le CNO de son côté remporte aussi d’éclatantes victoires. Le pays est grandement contrôlé par les nationalistes. L’administration coloniale, dépassée par les succès de ces armées, crée des zones de pacification. Il s’agit de concentrer les populations dans de vastes camps afin d’isoler les soldats nationalistes pour mieux les assassiner.

Toute personne rencontrée en dehors de la zone de pacification est considérée comme upéciste et assassinée. Le SDNK coupé de sa principale force protectrice qui est le peuple, affamé par les destructions des champs par l’armée française, incapable de communiquer, subit de lourdes défaites. Les ralliements se multiplient, la méfiance s’installe entre les combattants qui n’ont pas été arrêtés et ceux qui l’ont été avant d’être relâchés, d’autant plus que l’armée française assassine plusieurs militaires nationalistes qu’elle arrête.

Profitant de cette situation, la France, depuis deux ans de lutte, pour la première fois prend le dessus sur le SDNK et le CNO. Elle profite au maximum de cette situation. En septembre 1958, elle assassine le principal chef de l’UPC Ruben Um Nyobé. Elle envisage de donner l’indépendance à des hommes dociles et entièrement sous son contrôle. En assassinant Ruben Um Nyobé, la France croit mettre fin à la guerre d'indépendance du Cameroun, mais c'est mal connaitre le peuple camerounais. A l’extérieur, les nationalistes résistent et saisissent l’ONU et des organisations internationales pour faire pression sur la France.

Martin Singap et Félix Roland Moumié, le nouveau chef de l’UPC (Union des Populations du Cameroun), le parti politique combattant pour l’indépendance du Cameroun, réorganisent l’armée, dissolvent le SDNK et le CNO et mettent sur pied une autre branche militaire nationale, sous les ordres de Martin Singap qui en devient le chef d’Etat-major. Cette armée c’est l’ALNK (Armée de Libération Nationale du Kamerun). Sa devise est « vaincre ou mourir ». La lutte armée redouble d’intensité.

Mais certains chefs militaires estiment Martin Singap, âgé cette année de 25 ans, trop jeune pour leur donner des ordres à suivre. Il s’agit particulièrement de Paul Momo qui forme son armée à lui, recrute ses soldats sans rendre compte à personne. L’ALNK concentre ses actions dans les villes : Mbanga, Douala et Yaoundé sont les principales villes d’attaque. La lutte est relancée entre deux camps qui s’affrontent sans merci.

L’ALNK reprend rapidement le dessus dans les combats. En fin 1959, presque tout l’ouest est passé en dissidence et n’obéit plus au pouvoir légal. L’armée coloniale se replie vers les villes. En plus de l’ouest, l’ALNK exerce son autorité sur l’essentiel du grand Sud Cameroun. Certaines zones du Nord Cameroun sont prêtes à être gagnées par des combats. A Mbouda, l’ALNK récupère plus de 3 000 fusils après une de ses victoires.

Plusieurs personnes au Cameroun payent leurs impôts plutôt aux nationalistes. La Guinée Conakry et le Ghana apportent ouvertement leur soutien aux nationalistes. Plusieurs femmes passent sous maquis, se forment à la lutte révolutionnaire et sont prêtes à donner leurs vies pour défendre le pays. En Octobre 1959, cinq cent femmes empêchent l’armée coloniale d’avancer à Mbouda. Quelques jours plus tard, huit cent autres font pareil à l’aviation de Bafoussam. Submergé, le chef de la brigade de gendarmerie tire sur les femmes et tuent trois d’entre elles.

En fin 1959, l’ouest est passé sous contrôle de l’ALNK. Le 1er Janvier 1960, alors qu’elle ne contrôle plus vraiment le territoire camerounais, la France accorde une indépendance sur mesure à ses hommes de main. Martin Singap et ses hommes poursuivent le combat. Mais l’armée coloniale reprend la répression. Elle tente désespérément de reconstituer les zopac (zones de pacification) qui ont d'abord fait sa force. Mais les nationalistes ont pris le temps d'étudier des mécanismes de survit hors des zopac.

La torture devient l'arme de combat de l'armée coloniale française. Jean Rameau Sokoudjou, l'un de ceux qui ont été torturés, raconte qu'ils ont été arrêtés au nombre de soixante-deux et il était le seul survivant. L'armée française multiplie des atrocités, surtout en région bamiléké que l’ALNK a libéré. Certains auteurs parlent de génocide. La France rappelle les vétérans des guerres d’Algérie et du Vietnam pour se battre contre les bamilékés.

Les soldats ne distinguent plus les civils et les combattants et tirent sur tous ceux qu’ils trouvent. Des avions mitraillent par les airs, des villages sont incendiés. Le manque d’arrière base où l’ALNK peut se replier pour se réorganiser dans les moments difficiles et la longue distance qui l’éloigne de ses principaux soutiens (Guinée Conakry, Ghana et Egypte) pèsent aussi sur l’armée nationaliste. Patrice Lumumba, un autre de leur soutien, fait face aux forces néocoloniales qui veulent reprendre le contrôle de son pays. Malgré ses difficultés, l’ALNK lui envoi des troupes en renfort.

Mais ce qui par-dessus tout donne à l’armée française et au régime néocolonial qu’elle a mis sur pied une supériorité sur les guérilleros c’est l’emploi généralisé du Napalm, arme interdite d’utilisation dans les guerres, ainsi que les cartouches incendiaires, les bombardements répétés et le soutien britannique qui, à partir du Cameroun britannique sous son contrôle, mène des actions coordonnées avec la France.

Au niveau de l’ALNK, les défaites se multiplient. Au seul mois d’avril 1960, Martin Singap a perdu quatre cent trente soldats, alors que jusqu’ici le nombre de ses soldats tués était évalué en unité, voire en dizaines dans les combats les plus rudes. C’est désormais en centaines chaque mois. Dépassé par l’ampleur et la violence de l’offensive, Martin Singap, écœuré, repli vers les Bamboutos. Pressé, lui et ses hommes plongent dans la boue pour échapper aux tirs des avions de combat qui ont réussi à les localiser. Cette opération coûte la vie à deux cent quarante-trois de ses soldats qui se noient dans la boue.

Sur tous les fronts, c’est une chasse à l’homme contre les nationalistes. Les généraux de Singap lui envoient des rapports demandant son soutien alors que lui-même est en difficulté. Les zones libérées par l’ALNK sont reprises par l’administration néocoloniale les unes après les autres. Malgré cette asymétrie des forces, les nationalistes font toujours preuve de combativité et d’imagination, avec des moyens de bord ; Des combats reprennent à Yaoundé.

Martin Singap donne l’ordre aux vieillards, femmes et enfants de se rallier à l’administration néocoloniale tandis les combattants se reposent en attendant la décision. 7 000 personnes se rallient à Bafang, 1 600 à Bafunda, plus de 5 000 à Balessing, Baloum et Bamendou. Ceux qui refusent de se rallier sont tués par l’administration néocoloniale. Cette triste période s’achève par l'assassinat de deux des principaux chefs de l’ALNK. Il s’agit de Paul Momo et Jérémie Ndéléné tués le 17 et le 24 Novembre 1960. Leurs corps sont exposés à la population forcée de venir regarder leurs héros tués.

Les bilans des pertes en vies humaines à cette triste année 1960 et pour les bamilékés sont très contestés. L’un des tortionnaires, Max Briand, parle de 20 000 morts, Max Bardet parle de 400 000 morts, André Blanchet de 12 000 morts tandis qu’une autre source parle de 120 000 morts pendant les trois années 1958, 1959, 1960. Tel est le funeste bilan qui amène le jeune chef d’Etat-major Martin Singap âgé de 27 ans cette année, à se replier.

Après ce carnage, le gouvernement Ahidjo impose dans le sang un régime autoritaire, militaire et élitiste. En région bamiléké où on craint toujours une résurgence de l’ALNK, les « gardes civiques » du régime néocolonial font parler les prisonniers par la torture. Ils sont chargés de détruire la « subversion » dans cette partie du Cameroun.

Un ordre nouveau règne en terre bamiléké passée sous le contrôle de l’administration néocoloniale. Les « gardes civiques » éduquent les populations, les villages qui ont été détruits sont reconstruits, la toponymie a changé. Une chefferie de Bansoa a été nommée Penka Michel en hommage à ce commerçant qui a reçu l’armée néocoloniale chez lui. Mais cet ordre repose sur la terreur, la crainte. Chaque fois, des têtes coupées des nationalistes sont exposées sur les places publiques dans l’espoir d’éradiquer des esprits toute idée de faire front avec l’ALNK. Ceux qui ont vécu cette triste période gardent encore un souvenir amer.

Dans cette douleur, l’UPC se réorganise autour de son nouveau chef Félix Roland Moumié qui envisage de créer un gouvernement provisoire de la république kamerunaise en exil. Au Cameroun comme à l’étranger, Moumié est le symbole de l’espoir. Mais il meurt empoisonné à Genève le 03 Novembre 1960 par un agent des services secrets français nommé William Bechtel.

Ernest Ouandié, âgé de 37 ans, retourne au Cameroun pour réorganiser l’ALNK. Au pays, l’armée est certes toujours en action, mais ses pertes sont chaque jour plus grandes. Mal encadrée, vivant dans des conditions précaires, manquant d’armes et souffrant de la faim, l’armée éprouve des difficultés pour avoir des grandes victoires de 1959.

Martin Singap a de plus en plus du mal à se faire respecter. Ne contrôlant plus toutes ses forces armées, Martin Singap dépense une grande énergie pour remettre son armée en état de combat. En même temps, les upécistes en exil lui reprochent un manque de poigne. Ces derniers ne cessent de lui rappeler que les ordres du parti priment sur celles de la branche militaire. Singap proteste et leur rappelle que par leurs ordres ils sont entrain de désorganiser l’armée.

C’est dans ce contexte que survient sa mort quelques semaines après l’arrivée d’Ernest Ouandié au Cameroun, alors qu’il revenait d’une rencontre avec Ndeh Ntumazah dans le Sud-ouest, et qu’il avait dépêché son adjoint à la rencontre de Ernest Ouandié. Son groupe s’est trouvé en face de l’armée néocoloniale et il a été tué au cours des combats qui s’en sont suivis. Certains de ses généraux sont morts avec lui. Martin Singap, blessé mortellement, souleva la main et bénit les quatre coins du continent. Sa dernière phrase sur terre fut : « l’Afrique libre ! » Cette mort survient le 08 Septembre 1961 alors qu'il n’a que 28 ans.