Actualités of Wednesday, 25 May 2022

Source: www.camerounweb.com

Archives : voici l'origine du peuple de la Lekie

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Par recoupement des traditions orales, des similitudes culturelles et des témoignages européens, le point de départ de la migration serait en savane, vers le Nord- Est par rapport à la baie du Biafra, dans un pays montagneux, pourvu de lacs ou de marécages, qui pourrait se situer dans l'Est du massif de l'Adamaoua. Cette migration aurait été entamée dans le courant du XVIIIe siècle et les Fangs, constituant la première vague, se seraient d'abord détachés du tronc commun (en 1790 au plus tard selon P. Alexandre). Ils auraient atteint la forêt après avoir traversé le Haut-Nyong dans la partie Est de l'actuel département camerounais du Dja-et-Lobo, se dirigeant vers le Sud, puis vers le Sud-Ouest.

Les Béti, formant l'arrière-garde, d'abord installés sur la rive droite de la Sanaga, auraient traversé le fleuve vers 1840, puis cheminé vers le littoral par la rive gauche du Nyong, s'insérant entre les Bassas et les Ngumba. Les points de traversée de la Sanaga par les Betis auraient été multiples au Nord-Ouest de Sa’a pour les Manguissa et Eton, entre Batchenga et Ndjoré pour les Ewondo. L'épisode du franchissement de la Sanaga a fourni l’un deux mythes communs aux Bétis. Cette traversée est décrite comme une épreuve périlleuse pour des voyageurs démunis d'embarcations et soumis à un fort courant. L'intervention du surnaturel se manifeste par l’apparition d'un serpent gigantesque qui, en réponse à l'invocation des ancêtres et aux sacrifices rituels s'arc-boute, formant un pont sur lequel s'engouffrent les fuyards, poursuivis par des ennemis "rouges", montés et vêtus d'amples vêtements. Les informations historiques les plus précises nous sont fournies par les rapports des officiers allemands Kund, Tappenbeck et von Morgen.

En 1887, Kund et Tappenbeck quittent Batanga, à une soixantaine de kilomètres de Kribi sur le littoral Sud du Cameroun et s'avancent vers l'Est à travers les pays Bulu, Bané, Ngumba, Mvélé et Ewondo. Ils ne trouvent au Sud du Nyong que des villages isolés, sauf aux alentours de Mbalmayo (Ewondo et Bané) où le pays parait au contraire fortement peuplé. Au-delà du Nyong et jusqu'à Yaoundé dont ils fondent la station (Yaunde) ; la population reste dense. Entrant dans l'actuel département de la Lékié, ils découvrent les chutes Nachtigal - par eux ainsi baptisées - dont ils constatent que les abords sont très peuplés (Eton et Manguissa).

En 1889, C. von Morgen premier explorateur à avoir effectué la liaison entre la côte et l'Adamaoua, part de Kribi pour rallier Yaoundé, à travers le pays des Bulu, Ngumba et Ewondo, note les affinités culturelles et le caractère tout à fait récent de l'installation. Morgen atteint ensuite les pays Eton et Mangissa dont il souligne à nouveau l'identité culturelle avec leurs voisins du Sud. Il constate que les îles de la Sanaga à hauteur des chutes sont habitées par des Tsinga, alors qu'elles étaient désertes au passage de Kund en janvier 1888. Il estime que c'est pour fuir les harcèlements des Vuté que ces gens s'y sont installés.

Morgan arrive en pays Vuté où il rencontre Ngila, l'un des chefs, vassal du Lamido peulh de Tibati. Il admire ses richesses en pointes et esclaves et ses farouches guerriers à l'armement sophistiqué. Ngila lui dit être venu du Nord avec ses gens, depuis moins de dix ans. Au cours d'une seconde expédition, huit mois plus tard, Morgen trouve le Nord de la Lékié ravagé, les villages détruits, les plantations abandonnées, situation dont il rend responsable les Vutés et les Mvélé venus de l'Est.
Les traditions orales semblent appuyer les assertions des explorateurs : les Tsinga, maintenant sur les deux rives de la Sanaga disent être venus du Nord et avoir subi la pression Vuté ; les Mangissa auraient franchi la Sanaga après les Eton ; ces derniers disent avoir occupé la région avant eux. Les Eton décrivent leur pays d'origine au-delà du fleuve Sanaga, dit Yom, comme "une région sèche où les pluies étaient plus rares et le soleil plus violent. Les bêtes y étaient nombreuses et la chasse florissante. La dernière phase de la migration Eton serait causée par des cavaliers armés de lances d'arcs et de sabres, s'abritant derrière des boucliers en cuir de buffle, vêtus de tuniques multicolores et coiffés de longs bonnets qui leur tombaient sur l'oreille. Pour les Eton, la traversée de la Sanaga ne se fit pas sans mal : l'un des fuyards, le 7ème de la dernière file, traitre la cause de sa tribu (un guerrier nommé Kolo Koulou) menu d’une lance, en voulant s’appuyer sur ce qu’il pensait être un tronc d’arbre pour ne pas perdre son équilibre (ou plutôt pour satisfaire sa simple curiosité et sonder ce sur quoi ils traversaient) planta sa lance dans le dos de Nga Medza qui se blessa et se renversa. L'animal ici appelé Mot Yom (homme du Yom) s'enfonce dans les eaux du fleuve, noyant ceux qui se trouvent sur son dos et laissant l'arrière-garde sur la rive droite, où elle s'établit d'une manière définitive. Les rescapés de la rive gauche forment le clan des Mvog Bizogo Mvama. La tradition Eton place cette traversée au lieu-dit Ngo Abom qui pourrait se situer vers Monatélé.

Pour les Manguissa du Nord du département de la Lékié le franchissement de la Sanaga s'effectue semble-t-il à hauteur du village d'Ebebda II, au confluent du Mbam. On retrouve chez eux le mythe du serpent géant mais l'agression qui cause la fuite du reptile est l'acte involontaire d'un dénommé Dzana Yili qui, faisant fi des recommandations, entama par curiosité la peau du monstre. Une forêt voisine de ce site historique perpétue le nom du malheureux expérimentateur. Parmi ceux que le serpent abandonné sur la rive droite la légende a retenu le nom d'Anang Bikele, géant cruel qui condamné à mort pour meurtre, fut jeté au fleuve pieds et poings liés et lesté de surcroît d'une pierre de bonne taille. Intervention divine ou exploit physique, Anang Bikele parvint à rejoindre la rive gauche où il fut pris en esclavage. En récompense pour sa vaillance dans un combat une épouse lui fut accordée. C'est ainsi qu’il fonda la lignée des Eton-Be-Ola ou Beloa c'est-à-dire des Eton-Fils-d'esclaves.

En bref, les données fournies par la tradition orale et les témoignages européens permettent d'avancer que les populations du département de la Lékié appartenant au groupe béti et fixées sur leur territoire actuel par l'administration coloniale et l'économie cacaoyère, sont originaires du Nord-Est au-delà de la Sanaga. Elles ont progressé vers l'Océan, attirées par les produits de traite qui touchaient terre dans la baie du Biafra, leur glissement ayant été accéléré dans sa phase ultime et d'une manière indirecte par la poussée expansionniste peulh. Le fleuve Sanaga franchi les Eton durent lutter contre les Bakoko et les Basaa déjà en place et qu'ils refoulèrent vers l'Ouest. En 1880, seule date certaine, les Eton avaient atteint l’actuelle périphérie Nord de Yaoundé. Lors des premières explorations européennes, le pays était déjà fortement occupé, en particulier dans la boucle de la Sanaga.

L'accord de 1884 entre les représentants du 2ème Reich et les chefs Duala, ouvre le Sud du Cameroun à la colonisation, les Allemands devançant de quelques jours à peine les Britanniques déjà installés en baie du Biafra. L'administration allemande, par la multiplication des postes militaires et la levée de forces supplétives de recrutement local, assure la sécurité des pistes commerciales et impose à la population de se fixer à leur voisinage, injonction qui sera suivie d'une manière très relative selon les zones. La plupart des villages en bordure de la route reliant Yaoundé à Obala ont ainsi été créés pour nourrir la main d'œuvre qui y travaillait. Cette situation va avoir une incidence sur le niveau d'instruction des anciens, plus élevé dans les villages en bordure de piste que dans ceux qui se trouvaient à l’écart. Faute de trouver une autorité sur qui s'appuyer, les Allemands désignent des chefs, qu'ils rendent responsables de l'application des décisions.

La remise en vigueur et l'extension du travail forcé de sinistre mémoire (train de Njock), pour faire face aux besoins en main d'œuvre tant sur les chantiers forestiers et ferroviaires (on reprend la construction du mittelbahn) que sur les pistes piétonnières (portage) et dans les plantations européennes, au demeurant peu nombreuses, va accentuer le déplacement des populations de la Lékié. Que ce soit pour répondre aux injonctions administratives ou pour fuir les risques physiques que comportaient ces obligations, de nombreux hommes de la Lékié quittent leurs pays. Les fuyards déclenchent parfois de véritables chasses à l’homme, vont se réfugier chez les britanniques, en Guinée Equatoriale, à Fernando Po ou au Gabon. Certains n'en reviendront qu'à l'âge mûr.

Après avoir accompli leurs dix jours de travail à raison de huit heures par jour, les hommes libérés vont, soit rester sur les chantiers à titre volontaire avec un salaire à un taux fixe minimal, soit s'employer par-ci par-là, créant des noyaux de peuplement qui formeront autant de foyers d'appel. D'autres partiront vers Bétaré à la recherche d'or.

Dans les villages, on réquisitionne les vivres pour nourrir le centre administratif et commercial de Yaoundé en cours de formation et les ouvriers travaillant sur les chantiers voisins, notamment le long de la voie de chemin de fer. Ces vivres devant être stockables, on impose le riz et l'arachide, et l'on rend les "chefs" responsables des tonnages. Des sanctions sont infligées lorsque les quantités ne sont pas respectées. Les porteurs de produits coloniaux vers la côte, des produits manufacturés vers l'intérieur, de matériaux de construction de la forêt vers la ville, sont donc nourris par les populations environnantes, c'est-à-dire par les femmes ; en échange, ont lieu des distributions de savons, de vêtements et plus tard d’argent. L'ordre rétabli à grand peine, l'appareil administratif français se met progressivement en place. L’administration coloniale créé les "groupements" (ensemble de villages) dotés d'un chef. Au sommet, son autorité s'étendant sur toute ou fraction de l'ethnie, le chef dit "supérieur" une création du colonisateur, toujours embarrassé face è des sociétés sans pouvoir politique centralisé. Des tribunaux coutumiers sont organisés sous l’autorité de « notables évolués ».