A quoi jouent finalement les gouvernements nigérian et camerounais au sujet de l'enlèvement à Abuja au Nigeria de 10 responsables de l'organisation séparatiste anglophone du Cameroun, dont son leader Sisiku Julius Ayuk Tabe ?
Difficile de le savoir, les autorités des deux pays s'arrangeant chacun, jusqu'ici à jouer celui qui ignore ce qu'il est advenu de ceux contre qui le gouvernement et la justice camerounais ont émis il y a environ deux mois des mandats d'arrêt internationaux.
Mais l'avocat nigérian Femi Falana, conseil de plusieurs séparatistes anglophones camerounais résidant au Nigeria où ils bénéficient du statut d'exilés, lui, a une petite idée sur la question de savoir où se trouvent les séparatistes camerounais arrêtés le 05 janvier dans la capitale de son pays.
Aussi confirme-t-il que «Des agents du Service de la sécurité d'État ont fait irruption dans l'établissement, se sont emparé de nos clients et les ont emmené vers une destination inconnue », prenant ainsi le contrepied d'un responsable des services de renseignement nigérians qui avait démenti dimanche les « rumeurs » sur l'implication de ces services dans l'enlèvement des leaders de la "Federal Republic of Ambazonia".
A la suite de cet officiel des renseignements nigérians, le ministre nigérian des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, a affirmé mercredi, à l'issue d'un Conseil des ministres : « Je ne sais pas si on peut appeler cela une arrestation ou une convocation pour un entretien. Une enquête est en cours », rajoutant ainsi à la controverse, en même temps qu'il semblait lever progressivement le doute sur la véritable identité des auteurs de l'enlèvement-arrestation de la bande à Sisiku Ayuk Tabe.
Du coup, l'avocat Femi Falana qui n'a pas hésité à lire entre les lignes et à surfer sur les non-dits des déclarations du ministre Onyeama, a exigé jeudi que ses clients soient libérés de leur "détention illégale" ou inculpés dans un délai de 48 heures, non sans menacer d'engager des procédures judiciaires contre le gouvernement du Nigeria si cela n'était pas fait.
Selon l'homme de droit désormais fortement convaincu que son pays détient illégalement les séparatistes « ambazoniens » dont le Cameroun demande instamment l'extradition, les personnes arrêtées n'ont pas pu entrer en contact avec leur famille ou leurs avocats. Et pourtant, ajoute le Me Femi Falana, "Nos clients ne sont pas des immigrés clandestins au Nigeria: plusieurs d'entre eux se sont vu accorder l'asile politique, d'autres ont un statut de résident au Nigeria".
Rappelons que l'ingénieur en informatique Sisiku Ayuk Tabe, élu le 08 juillet 2017 à la tête du "Southern Cameroons Ambazonia Consortium United Front" (SCACUF, créé en février de la même année) qui regroupe depuis lors divers mouvements politiques et de la société civile anglophone du Cameroun, dont le très indépendantiste Southern Cameroon National Council (SCNC) et le Cameroon Teachers' Trade Union, (CATTU), travaille depuis son élection à la tête du mouvement pour que les deux régions anglophones du Cameroun se séparent de la partie francophone du pays. Le 1er octobre 2017, la Scacuf a publié une déclaration symbolique d'indépendance de l'Ambazonie.
A mesure que le président Paul Biya et les autorités camerounaises ont accru la pression sécuritaire et la répression des manifestations séparatistes, les rangs des sécessionnistes se sont étoffés ces derniers mois, en même temps que se sont multipliés les incidents violents, faisant craindre, selon observateurs et analystes, à l'émergence d'une "insurrection armée" dans la région.
La minorité anglophone du pays - environ 20% des 23 millions d'habitants - proteste contre sa marginalisation depuis plus d'un an. Si certains anglophones exigent le retour au fédéralisme, une minorité réclame la partition du Cameroun. Deux scénarios que refuse catégoriquement Yaoundé.