Actualités of Friday, 1 December 2017

Source: camer.be

Assemblée nationale: Pierre Ngayap s'oppose à la méthode du SDF

Le sénateur Nyagap Le sénateur Nyagap

J’ai reçu via les réseaux sociaux la lettre que vous avez adressée le 23 novembre courant à Monsieur le Président du Sénat et dont je serais copie en tant que membre de la Conférence des Présidents du Sénat. Votre lettre a pour objet la « demande d’inscription de la crise anglophone à l’ordre du jour de la prochaine séance plénière aux fins de la constitution d’une commission spéciale adhoc ».
I. Sur la forme


J’attends toujours d’être officiellement notifié de ma copie de ladite lettre, y compris via les réseaux sociaux qui sont une forme moderne de communication, mais à partir d’un expéditeur qui serait vous-même ou un tiers que vous auriez nommément commis à cette tâche. Les différents recoupements que j’ai pu faire attestent néanmoins de l’authenticité de cette lettre ainsi que de son auteur qui serait bien vous. Je ne me formaliserai donc pas outre mesure et considère que j’ai bien reçu copie de votre lettre.

II.Sur le fond

J’exprime d’emblée mon adhésion à votre initiative. En voici quelques raisons. 1. Oui, la crise anglophone est un sujet « d’intérêt national majeur ». A ce titre, et conformément aux dispositions de l’article 40 de la loi portant Règlement intérieur du Sénat que vous rappelez fort opportunément, elle justifie amplement qu’une commission spéciale soit constituée au Sénat pour l’examiner et prendre position. 2. C’est pour la même raison (sujet d’intérêt national majeur) que d’autres catégories politiques ou sociales importantes de la Nation se sont déjà plus que largement exprimées sur la question :

Le Gouvernement s’exprime quasi-hebdomadairement sur la question, notamment à travers les points de presse de son porte-parole.
Les médias tant classiques que cybernétiques s’expriment quasi-quotidiennement sur la question, y compris et spécialement le weekend aux prime times radio et télévisés où des spécialistes souvent autoproclamés de la crise anglophone défilent sur les plateaux et les antennes pour déclamer doctement la vérité (leur vérité) sur la question.
La société civile s’exprime régulièrement sur la question, les avocats et les enseignants dont les confrères anglophones sont à l’origine du mouvement en octobre-novembre 2016, étant parmi les plus actifs.
Les partis politiques (dont la mission constitutionnelle est de concourir à l’expression du suffrage, c’est-à-dire de porter la voix des populations à l’occasion des élections), se sont pratiquement tous exprimés sur la question, sous des formes diverses. Certains ont convoqué leur instance la plus politique (comme le Bureau politique de l’UNDP) pour examiner la question et prendre position très officiellement.
Qui ne sait pas que les membres des corps généralement astreints au devoir de réserve (magistrats, forces de défense et de sécurité, milieux d’affaires) sont extrêmement attentifs à l’évolution de la crise et expriment parfois en privé leur opinion ?
Pourquoi l’Assemblée nationale et le Sénat seraient curieusement les deux seuls corps de la Nation à ne pas s’exprimer sur la crise anglophone ? Qui, pourtant, mieux que la repré sentation nationale, peut légitimement s’exprimer sur cette question « d’importance natio-nale majeure » ?
III. De la procedure

Si je suis d’accord pour que le Sénat organise un débat sur la crise anglophone, je suis en revanche opposé à la méthode que vos camarades du Groupe SDF à l’Assemblée nationale ont expérimentée à la Chambre basse. Le Parlement n’est ni un cabaret ni une boîte de nuit. On n’y va ni pour chanter, ni pour danser. Je conviens que le spectacle a plu au petit peuple et a accéléré la diffusion sur toutes les boucles des réseaux sociaux de la demande d’un débat sur la crise anglophone à l’Assemblée nationale.

Mais, vous et moi, Monsieur le Président, Cher Collègue, savons l’image de pondération, de dignité, de responsabilité et de considération que nous tentons, tous nos collègues et nous, de bâtir autour de cette jeune institution du Sénat. Je suis prêt à m’associer à toute démarche qui tendrait à organiser au Sénat un débat serein sur la crise anglophone, dans le respect de la Constitution et de son Règlement intérieur.

A cet égard, permettez-moi de vous rappeler les conditions légales préalables à remplir pour qu’un tel débat se tienne. Conformément aux dispositions de l’article 40 de la loi portant Règlement intérieur du Sénat (ci-après abrégé Ris), c’est une résolution du Sénat qui doit créer une commission spéciale (et fixer la procédure à suivre pour la nomination de ses membres).

Comment obtient-on une résolution ? En examinant et en se prononçant sur une proposition de résolution.

Qui peut formuler et comment formule-t-on une proposition de résolution ? Tout sénateur (seul ou en association avec d’autres) peut élaborer une proposition de résolution et elle doit être formulée par écrit (art. 47-1b Ris). Sous peine d’irrecevabilité, la proposition de résolution doit être présentée comme un projet de loi ou une proposition de loi. Elle doit comporter : un titre, un exposé des motifs, un dispositif articulé et une disposition finale annonçant son enregistrement et sa publication au Journal officiel des Débats du Sénat. Elle doit naturellement être signée de son ou ses auteur(s). De toute évidence, et à plusieurs égards, votre lettre au Président au Sénat n’est pas encore une proposition de résolution.

Quel chemin prend la proposition de résolution ? La proposition de résolution est « adressée au Président du Sénat pour être transmise à la Conférence des Présidents qui décide de sa recevabilité et de sa transmission à une commission générale » (à une commission spéciale dans le cas d’espèce) (art. 14-1b Ris). La proposition de résolution est ensuite distribuée aux sénateurs au cours d’une séance plénière et envoyée à l’examen de la commission compétente (art. 47-1 et 47-5 Ris). Il y a lieu de rappeler qu’ « aucune affaire ne peut être soumise à l’examen, aux délibérations et au vote du Sénat sans avoir, au préalable, fait l’objet d’un rapport de la commission compétente au fond » (art. 61 Ris).

Sur le rapport de la commission spéciale qui doit confirmer « l’intérêt national majeur » de l’objet de la proposition de résolution (art. 40 RIS), la Conférence des Présidents « peut (elle n’y est pas tenue) proposer au Sénat, qui statue sans débat, d’organiser une discussion » (art. 52-1 Ris). C’est dire que, à la fois la Conférence des Présidents d’abord, le Sénat ensuite (en plénière) a la liberté de décider si une telle discussion est opportune. Est-il besoin de rappeler qu’à chacune de ces étapes de la procédure, tant en Conférence des Présidents qu’en plénière, la décision se prend à la majorité des membres présents ou représentés ? (art. 36 et 85 RIS) Si le Sénat décide l’organisation de la discussion (art. 52-2 RIS), la discussion ne s’engage pas immédiatement.

La Conférence des Présidents doit de nouveau se réunir pour inscrire cette discussion à l’ordre du jour d’une ou de plusieurs séance(s) publique(s) (art. 52-2 et 53-1 RIS). Cette inscription est tributaire de l’accord du Gouvernement qui a la priorité sur l’ordre du jour (art. 23-4 Constitution). Assiste à cette Conférence des Présidents le rapporteur de la proposition de résolution (art. 52-2 Ris).

La Conférence des Présidents, ainsi réunie, fixe le nombre de séances consacrées à la discussion, fixe la date desdites séances, indique la répartition des temps de parole (art. 53-1 RIS). Elle peut ainsi limiter le nombre des orateurs ainsi que le temps de parole attribué à chacun d’eux (art. 53-2 Ris). Voilà, Monsieur le Président le Président, Cher Collègue, les conditions de forme et de fond que nous devrions remplir pour qu’un tel débat puisse se tenir au Sénat. Provoquer au Sénat une scène comme celle à laquelle nous avons assisté à l’Assemblée nationale, serait une violation flagrante du Règlement intérieur du Sénat. En effet :

Est rappelé à l’ordre tout sénateur qui cause un trouble quelconque au Sénat par ses interruptions (...) ou de toute autre manière (art. 113-2 Ris) ;
Est rappelé à l’ordre avec inscription au procès-verbal le sénateur qui aura été rappelé à l’ordre trois fois au cours de la même séance ou de séances consécutives (art. 113-5 Ris) ;
Encourt la censure simple (c’est-à-dire avec inscription au procès-verbal) le sénateur qui a provoqué une scène tumul- tueuse en séance publique (art. 114-2 Ris) ;
Encourt la censure avec exclusion temporaire du Sénat le sénateur ayant résisté à la censure simple ou qui a subi deux fois cette sanction (art. 114-4 Ris) ;

L’exclusion temporaire entraîne l’interdiction « de prendre part aux travaux du Sénat et de reparaître dans le Palais du Sénat jusqu’à expiration de la septième séance qui suit celle où la mesure a été prononcée » (art. 114-5 Ris). Alors que la censure simple entraîne la privation de l’indemnité spéciale représentative des frais de mandat pendant deux mois, la censure avec exclusion temporaire entraîne la privation de cette indemnité pendant six mois (art. 114-3 et 114-5 Ris).
« En cas de refus du sénateur de se conformer à l’injonction qui lui est faite par le Président de sortir du Sénat, la séance est suspendue ». Dans ce cas, l’exclusion s’étend à 30 jours de séance (art. 114-6 RIS). Les mêmes règles de procédure et les mêmes sanctions disciplinaires existent dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (art. 31, 38, 43, 50, 97-99). Je reste convaincu, Monsieur le Président, Cher Collègue, que le Sénat n’aura pas besoin d’agiter la menace de telles sanctions, car nous avons toujours su, au sein de l’Auguste Haute chambre, faire preuve de mesure et de pondération, sans rien renier de nos convictions respectives.

J’ai aussi la conviction que Monsieur le Président du Sénat saura saisir cette opportunité pour permettre que le Sénat organise une discussion sereine sur cette question « d’intérêt national majeur » et montrer ainsi que le Sénat est à la hauteur des attentes des populations et des collectivités territoriales décentralisées qu’il représente. Je saisis cette occasion, Monsieur le Président, Cher Collègue, pour vous renouveler ma franche estime et ma parfaite considération.