• Un député critique sévèrement Biya devant les députés à l'Assemblée
• Il s'insurge contre le plan de reconstruction du Noso toujours en proie à la guerre
• Il a aussi accusé ses collègues d'être corrompus dans cette crise par le régime Biya avec des liasses de billets
La crise anglophone discutée longuement à l'Assemblée nationale. Des échanges houleux ont été enrégistrés entre les élus de différents bords politiques. Dans cette optique, le député Jean Michel Nintcheu a pris la parole et a critiqué violemment le plan de reconstruction et le développement (PPRD) est sans objet dans le NOSO. Il est très remonté contre ce projet de Paul Biya qui continue d'ignorer la crise et les milliers de familles qui ont perdu leurs proches dans cette guerre.
Le député du SDF doute et ément quant à la fiabilité de ce projet et du retour de la paix au NOSO, toujours en proie à des combats intenses entre militaires et sécessionnistes. A l'en croire, le moment n'est pas propice à un rétablissement de la zone, accusant le régime Biya d'être toujours sourd aux revendications anglophones. Il n'a pas non plus loupé ses collègues députés du RDPC ,PCRN , UNDP qui qu'il accuse d'avoir perçu de l'argent pour boucler rapidement le dossier NOSO.
Intégralité des propos du Député Nintcheu
Au moment où je prends la parole du haut de cette tribune, je suis animé par un double sentiment de déception et de colère, face à ce que je considère comme un déni de la réalité de la part du régime de Yaoundé qui est comme tous les camerounais le savent, adepte de la stratégie du pourrissement, de la politique de l’autruche et son corollaire la fuite en avant permanente !
Certes la région de l’extrême nord a souffert des attaques récurrentes de la secte islamique Boko Haram et doit bénéficier de toute la sollicitude de l’État et la solidarité de la communauté nationale. Cependant, j’estime pour ma part que la situation qui prévaut dans le NoSo du fait justement de l’autisme, l’absolutisme et de la condescendance du pouvoir est d’une gravité extrême et méritait un traitement spécial.
Nous sommes réunis ici en plénière spéciale. Une plénière spéciale que le SDF a réclamé à cors et à cri non pour la reconstruction et le développement, qui est sans objet sans le retour de la paix ,mais pour examiner les problèmes de fond à l’origine de cette guerre afin d’esquisser des solutions politiques susceptibles de ramener la paix !
En choisissant ce format d’échanges, votre gouvernement cherche non seulement à banaliser l’ampleur et les horreurs de cette guerre mais à minimiser son rôle historique dans son déclenchement ! C’est une provocation de plus, et de trop envers les populations meurtries du NoSo, n’en déplaise aux élites compradores corrompues de ces deux régions !
La plénière de ce jour, permettez-moi l’expression, est un cirque ridicule et totalement indigeste à partir du moment où la loi de finances de 2021 n’a jamais tenu compte de la situation extrêmement préoccupante voire inquiétante dans les deux régions du nord-ouest et du sud-ouest. Ces deux régions avant le début de la crise représentaient 20% de notre PIB. Le tissu économique y est actuellement en lambeaux. Les recommandations du Grand Dialogue National de 2019 ont prescrit un investissement minimum de 3.500 milliards FCFA pour la reconstruction de ces deux régions.
Et pour un début, 10% soit 350 milliards devaient être immédiatement consacrés à cet effet dans le budget de l’exercice 2020. Seulement 120,345 milliards FCFA ont été alloués en 2020 pour les réhabilitations/restructurations, les interventions en investissements et les participations de l’État sur l’ensemble du territoire, y compris la fraction consacrée aux régions du nord-ouest et du sud-ouest qui restait à déterminer.
En 2021, l’allocation budgétaire sur cette ligne a connu une baisse pour se chiffrer à 130,088 milliards de FCFA pour toutes les 10 régions du pays, la fraction dédiée au nord-ouest et au sud-ouest n’étant pas toujours définie avec clarté dans cette allocation globale. Il est de notoriété qu’aucune réhabilitation encore moins aucun investissement prévu n’a pratiquement été effectué en 2020 du fait du chaos sécuritaire ayant cours dans ces deux régions.
Mettons d’abord un terme à cette guerre et la reconstruction se fera tout naturellement. Quel bailleur peut financer la reconstruction et le développement dans une région où le risque de destruction est très élevé ? Depuis la création du PPRD, il y a eu des promesses de financement de plusieurs bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ainsi que des regroupements divers. Où en êtes-vous aujourd’hui en termes de fonds collectés ?
Vous êtes très en-dessous des attentes. En juin dernier dans Jeune Afrique, vous avez reconnu que depuis deux ans, seuls 10 milliards avaient été collectés.
Pourtant le PNUD a donné plus de 08 milliards de FCFA en mai dernier, la France avait promis 40 milliards de FCFA, le Japon a donné 1,5 milliards de FCFA et le Gicam a donné 800 millions de FCFA. C’est un échec. Il faut que la guerre cesse. Il faut tout d’abord neutraliser les va-t-en-guerre mécréants qui s’alimentent sur les souffrances pour s’accaparer des richesses des populations. Certains auraient d’ailleurs profité de la guerre pour s’engraisser et même construire des immeubles .
En 2021, en dehors des esprits profondément lobotomisés, tout le monde s’accorde à reconnaître que l’enlisement de cette crise anglophone va crescendo avec l’introduction des engins explosifs improvisés (EEI) et des morts enregistrés quotidiennement tant du côté des civils que de nos forces de défense et de sécurité. Pouvez-vous dans un tel environnement entreprendre quoi que ce soit de sérieux et de pérenne dans ces deux régions ?
La réponse est NON. Même les autorités administratives sont contraintes de se déplacer avec des éléments du BIR dans ces deux régions. Vous-même n’arrivez pas à aller dans votre propre village. La preuve est que vous avez été contraint d’enterrer votre belle-mère de 108 ans hors du département du Lebialem (région du sud-ouest). La cérémonie oecuménique s’est plutôt déroulée au stade du CENAJES à Dschang dans la région de l’Ouest en présence d’un impressionnant déploiement des forces de maintien de l’ordre et des forces de troisième catégorie.
Quand on sait ce que représente la symbolique de l’inhumation d’une personne d’un âge aussi avancé et respectable dans la tradition des grassfields, cet exemple suffit à lui pour se rendre compte que les mesures engagées à l’effet d’apaiser le climat sociopolitique dans ces deux régions du nord-ouest et du sud-ouest sont très loin de produire les effets escomptés.
Cessez de faire dans la comédie ubuesque et avouez que le budget qui vous est alloué d’année en année ne sert qu’à payer vos salaires ainsi que ceux du personnel qui vous est dédié, à entretenir vos grosses cylindrées, à organiser des missions inutiles et improductives et plus grave, à corrompre certains députés comme ça été le cas à la veille de cette plénière par l’entremise de votre mici domicini dans cette chambre.
Si votre équipe avait un peu de dignité, elle aurait déjà démissionné en bloc. Mais comme vous êtes coutumier de ce que ce régime sait faire le mieux à savoir détourner toute honte bue les deniers publics, je sais que vos collaborateurs et vous-même en premier n’allez jamais remplir les missions assignées au plan présidentiel de reconstruction et de développement des régions du NOSO tant qu’il n’y a pas de paix. Même dans vos rêves.
Retenez une fois de plus ceci, M le Ministre : si rien n’est urgemment fait dans le sens de l’apaisement de ces deux régions qui passe par un cessez-le-feu suivi d’un dialogue politique inclusif entre tous les protagonistes de la crise, y compris les leaders sécessionnistes, cette commission ne servira toujours à rien. Elle sera toujours un gadget budgétivore, une pompe à finance alimentée par l’argent du contribuable. On ne saurait reconstruire sur des ruines en effervescence permanente. Dites-le au président de la République votre créateur.
Pour terminer, je réitère une fois de plus que la crise anglophone est avant tout une crise politique. À situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Notre proposition c’est le retour au fédéralisme à deux États ! La paix doit revenir dans ces deux régions avant toute velléité de reconstruction.
Cette crise politique dans les deux régions du nord-ouest et du sud-ouest – qui a déjà fait plus de 3000 morts, des centaines de milliers de déplacés internes, des dizaines de milliers de réfugiés et dévasté près de 20% du PIB – continuera d’induire des conséquences néfastes et nocives sur l’attractivité économique de ces deux régions. Tant que la paix ne reviendra pas dans ces deux régions, votre comité restera une coquille vide. Vous ne pouvez pas tromper les camerounais. Vous pouvez à la limite faire gober votre exposé aux députés godillots.
Je vous remercie.
Hon. Jean Michel Nintcheu