Le fondateur de la Fomunyoh Foundation, organisation promouvant la démocratie et les droits de l'homme basée à Bamenda, ne fait pas mystère de ses ambitions au Cameroun, où la succession du président Biya est devenue un sujet incontournable. De passage à Paris, il a répondu aux questions de Jeune Afrique.
À 59 ans, le Camerounais Christopher Fomunyoh est le directeur Afrique du National Democratic Institute, un think tank américain proche du Parti démocrate qui essaie de promouvoir la démocratie dans le monde. Il est aussi le créateur d’une fondation à son nom, qui intervient dans les domaines de la démocratie et du social au Cameroun. De retour d’une mission dans son pays d’origine et au Gabon, Christopher Fomunyoh a rendu visite à Jeune Afrique, avant de rejoindre Washington.
Jeune Afrique : Comment va le Cameroun ?
Christopher Fomunyoh : En apparence, la sérénité prévaut. Mais en réalité, le pays ne va pas bien du tout. Je l’ai traversé de long et en large. Pas une région n’échappe à la morosité et à la frustration. Les gens ne se sentent pas écoutés… Si vous ajoutez à cela le climat créé par les multiples appels au président Paul Biya à se représenter, je dirais que le feu couve sous les cendres. On n’est pas à l’abri d’une surprise : l’irruption d’une crise majeure dans ce calme trompeur. Pour éviter cela, il faut des discussions plus ouvertes, qui associent les citoyens. C’est le sentiment d’être tenus à l’écard qui pousse les gens dans la rue.
Pourquoi le Cameroun n’est-il pas meilleur en dépit de ses atouts ?
Dans de nombreux domaines, le pays boitille. L’exécutif concentre tous les pouvoirs, comme l’y autorise la Constitution. Le législatif et le judiciaire ne fonctionnent plus, et les citoyens ne leur font pas confiance pour les représenter. Il faudrait un rééquilibrage. Sur le plan économique, au regard des ressources naturelles et humaines, le Cameroun ne tient pas ses promesses. Il y a un fossé entre les discours affichés et les moyens mis en œuvre. Alors qu’on voudrait attirer les investisseurs, il n’y a pas d’infrastructures appropriées pour des activités économiques de grande envergure.
Vous pointez du doigt un problème majeur de gouvernance…
En effet. La Côte d’Ivoire, pays comparable, qui a pourtant connu de graves crises, s’en sort mieux, bien que ses problèmes ne soient pas tous résolus. Il y a une belle détermination à bien gouverner qui attire les investisseurs. Le Cameroun, lui, semble à l’arrêt. Personne ne prend de décision. Ou alors « sur haute instruction » d’un seul individu. Cela n’est de nature ni à attirer les investisseurs, ni à créer les conditions d’emploi pour la jeunesse, ni même à inspirer cette dernière, qui a besoin de modèles pour se tourner vers l’entrepreneuriat.
Le Cameroun dispose de tous les atouts nécessaires pour se poser en pays phare en Afrique. Devoir se mesurer à la Guinée équatoriale et au Congo-Brazzaville en dit long sur son état de décrépitude. Il n’est pas exclu que les chefs d’État voisins s’interrogent sur cette descente aux enfers camerounaise.
Les autorités envisagent-elles l’alternance politique ? Y a-t-il une prise de conscience de son inéluctabilité ?
Le système repose sur un seul individu. Si Biya était suffisamment bousculé, il pourrait l’envisager, organiser des élections démocratiques, transparentes et crédibles. Il dispose de tous les outils de pouvoir pour freiner cette alternance s’il ne la désire pas. Reste à savoir si pareille position est tenable sur la durée.
Des élections ont eu lieu récemment au Tchad, au Congo-Brazzaville et en Guinée équatoriale. À chaque fois, les sortants ont été reconduits. L’Afrique centrale est-elle réfractaire à l’alternance ?
Toutes ces élections ont été plus ou moins problématiques. En Afrique de l’Ouest, l’alternance est devenue la norme : treize des quinze pays membres de la Cedeao sont dirigés par des chefs d’État ayant accompli deux mandats au maximum. Les dirigeants d’Afrique centrale ne semblent pas avoir intégré le concept de l’alternance, bien qu’ils s’affichent comme démocrates. Dans le cas du Cameroun, c’est d’autant plus frustrant qu’on a expérimenté le multipartisme bien avant l’avènement du parti unique.
Mais il n’y a pas eu de problème majeur en Guinée équatoriale…
Je serais en mal de porter un jugement spécifique. Je n’ai pas été sur le terrain. Mais des opposants ont été arrêtés. Quoi qu’il en soit, est-il raisonnable, au XXIe siècle, de remporter des élections avec des scores de 80 à 97 % ?
Vous venez du Gabon. L’élection présidentielle, le 27 août, s’annonce délicate.
Les différents acteurs semblent vouloir le dialogue, mais s’accusent mutuellement de blocage. Le président Ali Bongo Ondimba affirme avoir convié sans succès des leaders de l’opposition à des discussions. Lesquels soutiennent n’avoir reçu aucune invitation formelle. Ils doivent se parler. C’est essentiel pour la crédibilité de cette élection à un tour.
Nous avons fait des recommandations. Par exemple, un médiateur pourrait être désigné : le médiateur de la République, des responsables religieux, une équipe ad hoc de personnalités respectées… Il est important que les Gabonais voient leurs leaders se parler. Si ces derniers devaient continuer à se vilipender par médias interposés – d’autant que les attaques sont essentiellement personnelles –, on se dirigerait vers de très vives tensions.
Une élection peut remplir techniquement toutes les conditions permettant de la juger démocratique, mais si les citoyens n’y croient pas, cela ne sert à rien.
Compte tenu des dispositifs mis en place, s’achemine-t-on vers des élections démocratiques au Gabon?
La réalité et la perception qu’on en a sont deux choses différentes. Une élection peut remplir techniquement toutes les conditions permettant de la juger démocratique. Si les citoyens n’y croient pas, cela ne sert à rien. Nous avons recommandé aux autorités gabonaises de renforcer la confiance des populations en leurs institutions. Nous prévoyons une deuxième mission à Libreville avant l’élection présidentielle pour approfondir les points abordés. Et persuader chacun des candidats de respecter les règles du jeu et faire preuve de fair-play.
Un autre pays vous préoccupe, la RD Congo…
C’est un pays qui préoccupe même en temps normal. Vaste, avec un voisinage qui lorgne ses richesses, des groupes rebelles incontrôlés, il fait face actuellement à une crise politique et institutionnelle. Il y a un débat sur la légitimité du président Kabila à demeurer à la tête du pays après son mandat et sur la prolongation de la période de préparation des élections. Il faut s’attendre à de grosses difficultés. Pourvu que le pays ne dérape pas.
Les États-Unis semblent s’accommoder de l’état de la démocratie en Afrique. Si Hillary Clinton était élue, pourrait-on s’attendre à des changements dans la politique africaine de Washington ?
Barack Obama ne s’est pas accommodé des autocraties. Il a encouragé la bonne gouvernance, a eu des gestes symboliques forts, notamment en choisissant de recevoir à la Maison Blanche certains chefs d’État africains pour manifester son attachement à ce principe. À son arrivée, il avait plaidé, à Accra, pour la primauté d’institutions fortes sur les hommes forts.
À son départ, en janvier 2017, il y aura malheureusement davantage d’hommes forts. Nombre de ses belles idées n’ont pas été suivies d’effet. Face à l’hostilité du Congrès, Obama s’est peut-être montré timoré pour ne pas donner du grain à moudre à ceux qui s’interrogeaient sur son « américanité ». Hillary Clinton, elle, aura une plus grande liberté de mouvement.
Elle ne traîne pas la même filiation et entretient de meilleures relations avec le Congrès. Et le soutien qu’elle reçoit des communautés afro la poussera sans doute à faire plus attention à l’Afrique.