Dans la banlieue de Douala, Kemit Ecology a produit 37,5 tonnes de charbon à partir de déchets des marchés de la ville. Elle espère passer bientôt à l’échelle industrielle.
Les passants les observent avec curiosité. Vêtus de blouses bleues, Muller et Cédric ramassent des déchets de cannes à sucre entassés en bordure d’une route de New-Bell, un quartier populaire de Douala. Ils les reversent dans un tricycle. « C’est la sorcellerie ! A quoi peuvent servir ces déchets ? », demande à haute voix un jeune homme portant lunettes de soleil et jean destroy, sur le bord de la route. Gants rouges aux mains, Muller Tenkeu Nandou répond par un sourire.
Depuis trois ans, le promoteur de Kemit Ecology et son équipe sillonnent les marchés et les d’autres lieux de la capitale économique du Cameroun pour collecter des déchets biodégradables : cannes à sucre, peaux et rafles de maïs, épluchures de plantains et bananes, restes de rotins… « Ces ordures sont transformées en charbon 100 % bio. Un charbon qui respecte toutes les règles environnementales, ne pollue pas la nature et aide le Cameroun à sauver ses forêts », lâche avec fierté le jeune entrepreneur.
Lutter contre le déboisement
D’après les statistiques camerounaises, la consommation annuelle de charbon de bois est estimée à 375 000 tonnes. Le marché global pèse 17 milliards de francs CFA (26 millions d’euros) par an. Plus de la moitié de ce charbon est utilisée à Douala et Yaoundé, les deux grandes villes du pays. En zone rurale, 91 % de ménages utilisent plutôt le bois de chauffe.
En 2011, durant un stage, Muller Tenkeu, alors étudiant en écologie, biodiversité et environnement, fait ce constat : au Bois des singes, zone de mangrove de Douala, les habitants coupent chaque jour des arbres pour en faire des bois de chauffe et construire leurs maisons. « Nous avons voulu offrir une alternative à ce problème de déforestation des bois de mangrove. Nous avons alors pensé aux déchets ménagers et avons installé notre usine au milieu de cette mangrove », dit-il.
Le jeune homme et quelques amis étudiants bénéficient de l’aide « technique » de la Fondation camerounaise de la terre vivante (FCTV). L’ONG a ensuite financé leur perfectionnement dans un centre agréé pour la production de charbon écologique. Deux ans plus tard, en août 2014, est née la PME Kemit Ecology.
Six tonnes produites par mois
Jusqu’en janvier 2015, Muller Tenkeu Nandou enchaîne les tests pour trouver le « bon charbon bio » résistant, qui ne s’effrite pas et produit peu de fumée. « Au début, on produisait une tonne de charbon bio par mois et de manière rudimentaire, se souvient-il. On utilisait des fours archaïques pour la carbonisation et juste le soleil pour le séchage. »
Depuis, la jeune entreprise a bénéficié des dons et financements qui lui ont permis d’acquérir des machines fabriquées au Cameroun : un hacheur, un compacteur, une chambre à sécher, des boîtes de commande, un carbonisateur. Leur site a été câblé à haute tension pour l’industrie. Leur production est passée d’une à six tonnes par mois et les récompenses n’ont pas tardé : prix Entrepreneur Vert jeune d’initiatives climat à la COP22 à Marrakech en 2016, prix de la meilleure technologie au Cameroun, dans la foulée.
Un charbon qui ne noircit pas les marmites
Ce jeudi, de retour de la collecte, Muller Tenkeu et Cédric Nganchia, l’agent collecteur, passent au tri dans la cour de l’usine où sont déversées des ordures biodégradables. Ils sélectionnent celles à transformer et les transportent avec des brouettes à l’unité de production située derrière le container qui leur sert de « bureau ». Là, les ordures sont découpées, séchées et plongées dans le carbonisateur pour une combustion « incomplète ». Le mélange obtenu est passé dans les moules. Les moteurs ronflent.
Simone Mboule, l’unique femme de la pièce, foulard noué sur la tête, a les vêtements et les mains noircis. Patiemment, la jeune stagiaire découpe les morceaux de charbon qui sortent du moule. « Ce charbon ne dégage pas de fumée et ne noircit pas les dessous de marmites. Contrairement au charbon de bois qui émet des gaz à effet de serre, celui-ci est sans danger car lors de la combustion incomplète, ces gaz sont extraits, détaille Ernest Benelesse, responsable de la recherche et du développement. Il est aussi moins cher. En saison sèche, quand les prix du charbon flambent à cause des routes impraticables, nos prix restent stables. »
Le sac de 40 kg de ce charbon produit sous forme cylindrique et cubique coûte 8 000 francs CFA (12,30 euros), au lieu de 9 500 francs CFA le charbon de bois traditionnel. Il est vendu sur les marchés de Douala. Des restaurants et des ménagères passent régulièrement commande. En deux ans, les cinq employés de Kemit Ecology ont collecté 288 tonnes d’ordures transformées en 37,5 tonnes de charbon bio. « Nous ne couvrons même pas un centième de la demande de Douala, dont la consommation annuelle dépasse les 100 000 tonnes, soupire Muller Tenkeu. Nous cherchons un investissement de 50 millions de francs CFA pour passer à une production semi-industrielle. »
Encore trop de cendres
A la cité de Billes, à l’entrée est de la capitale économique, du bouillon de pommes cuit dans une marmite posée sur un four à charbon. Juliette, 54 ans, surveille sa cuisson. « Ce charbon brûle vraiment ! dit-elle. Je ne savais même pas qu’il était fait avec les épluchures de plantains et de bananes, s’étonne la quinquagénaire, en essuyant d’un pan de sa robe aux motifs africains la sueur qui dégouline sur son visage. Et de souligner son prix avantageux.
Le seul problème rencontré par Juliette ? Le charbon bio produit beaucoup de cendres. « C’est normal. C’est la cendre qui est compactée ou moulée pour donner ce charbon. Elle peut être utilisée pour fertiliser les sols, explique Muller. Nous travaillons à en diminuer la quantité. » Pour ce faire, la start-up, qui n’est pas encore rentable, attend ses prochains investisseurs et une production à grande échelle.