Le corps d’une femme a été mis sous scellés à la morgue de l’hôpital régional de Bafoussam, et elle a eu droit à deux enterrements.
Cette affaire commence avec le décès de Mme Simo Bernadette veuve Kamdem, début février. A sa mort, un désaccord est né sur la date de ses obsèques sous fond de contestation de l’identité du successeur de son mari Kamdem Philippe Robert décédé en 2004. Fort du titre de successeur de son père qu’elle revendique, Hon. Dr. Me Fotso née Chebou Kamdem Fostine a programmé les obsèques pour le 16 avril 2022, assurée que la morgue allait lui remettre la dépouille qui avait été enregistrée en son nom. Elle préparera donc ces obsèques en conséquence à grand renfort de publicité et surtout des invitations d’illustres personnalités au rang desquelles Monsieur l’ambassadeur de France au Cameroun et certains hauts dignitaires du parti au pouvoir dont elle est membre.
Les choses ne se passeront pas comme prévu, puisque la dépouille lui sera refusée lors de la levée du corps le 14 avril et manifestement elle allait l’apprendre sur place à la morgue en même temps que ses invités. Sans se laisser démonter, elle repartira avec le cercueil vide, porté par un corbillard bien affrété suivant une fanfare animée. La fuite en avant se poursuivra jusqu’au jour dit de l’inhumation avec la mise en terre du cercueil vide. Rien n’avait manqué au rituel habituel. Un culte avait été fait par la présidente de la région synodale de l’Eglise Evangélique du Cameroun pour les Hauts Plateaux en personne. Les personnalités s’étaient inclinées sur le cercueil. Les agapes avaient suivi et même il y avait eu « le tour de deuil ». C’était le premier « enterrement ». Le deuxième annoncé pour le 30 avril ne s’annonçait pas de tout repos non plus.
Tout semble s’être joué sur un détail : Le programme prévoyait la levée de corps le jeudi 28 avril 2022 à 13h30. A cette heure-là, le corps était déjà parti depuis longtemps. Et ce n’est pas sans conséquence puisqu’un huissier de justice est venu signifier un acte d’appel et de défenses à exécution de la décision de justice mettant la dépouille à la disposition de la partie opposée à Dame Fotso Fostine. Trop tard ! La partie adverse ne manquait pas d’arguments physiques non plus, puisque de nombreux éléments de gendarmerie ont été positionnés autour de la dépouille pour dissuader ceux qui auraient été tenté de confisquer le corps. Un dispositif sécuritaire qui s’est poursuivi lors des étapes suivantes du transfert du corps au temple de l’EEC du Plateau où elle était fidèle et plus tard à son domicile de Djeleng à Bafoussam pour la première veillée. Jusqu’au lendemain, aucune opposition n’a été signalée, permettant le transfert de la dépouille à Banka par Baham avec le même dispositif de sécurité qui ici aussi n’a trouvé aucune résistance.
La dernière étape s’est jouée le 30 avril 2022 avec la mobilisation des parents et invités dans la grande cour de l’Ecole publique de Banka, attenante à la concession familiale. Les organisateurs de la cérémonie avaient prévu que le site devait être exigu et ont déployé un écran géant à 30m des lieux pour permettre à ceux qui n’auraient pas une place autour du chapiteau de pouvoir quand même suivre les cérémonies en direct.
On y a dénombré sur place plus de 200 véhicules de marques venus avec leurs occupants depuis Douala, Yaoundé, Bafoussam et ailleurs. C’était sans compter les bus transportant les membres des associations auxquelles appartenait la défunte ou ses enfants.
Pour célébrer le service liturgique, l’Eglise Evangélique du Cameroun ne s’est plus fait représenter par la révérende Jacqueline Bekima, patronne des lieux dans la région synodale des Hauts Plateaux. Le culte était maintenant présidé par le Pasteur Meka de la paroisse du Cinquantenaire à Douala Makepe. Il était assisté du Conseil paroissial du Temple du Plateau à Bafoussam dont la défunte était membre. Il a officié devant un parterre de personnalités administratives, politiques et traditionnelles parmi lesquelles le préfet des Hauts Plateaux représenté, le sous-préfet de Baham, le vice Premier Ministre Jean Nkuete, Secrétaire Général du Comité Central du Rdpc, Dr. Jules Hilaire Focka Focka, Président du Conseil régional de l’Ouest, Pr. Maurice Kamto, Président national du Mrc, Sa Majesté Pouokam Max, le chef supérieur Baham, Sénateur de la République, Sa Majesté Tchouainkam Dada, le chef supérieur Batié, Conseiller Régional de l’Ouest, etc.
Les témoignages des enfants ont davantage situé sur l’imbroglio de la situation. La 3e de la fratrie, Dr Kamdem Annie a fait un grand éloge à sa mère avant de demander l’indulgence de ceux qui auraient pu être choqués par les péripéties prises par les obsèques de leur génitrice : « Notre maman est morte le 16 mars et nous avons pris des dispositions pour déposer son corps à la morgue de l’hôpital régional de Bafoussam. Le lendemain nous avons été surpris de constater que la dépouille avait été enregistrée au nom de notre sœur Fotso Fostine. C’était le point de départ de tout ce que vous savez ! » A-t-elle dit. Et pour mieux prendre ses distances, elle a ajouté : « le ventre d’une femme est comme une grotte et tous ceux qui y sortent ne sont pas forcément semblables ». La défunte avait six enfants. Sous la tente des orphelins, 5 étaient présents, la seule chaise vide était celle de l’enfant qui avait organisé ses obsèques en solo le 16 avril 2022.
Après Kamdem Annie, le dernier né de la fratrie a pris la parole. Affecté Kamdem Kamguia Edmond qui vit en France a juste salué la présence du nombreux public qui leur « apporte beaucoup de réconfort ».
Clôturant les interventions des enfants, le 4e de la fratrie Kamdem Guy Bertrand a puisé dans une pensée de Simone Weil pour se souvenir de sa mère : « Etre fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas vivre dans la douleur, mais vivre comme ils l’auraient souhaité ». A sa suite, le chef du village Banka par Baham où se tenaient les cérémonies est venu rappeler que la défunte était « une femme pleine d’amour qui a continué à honorer les engagements de son mari au sein du Conseil des notables »
Avant le transfert du corps pour le caveau, suivant en cela le cérémonial de la famille, le pasteur officiant a présenté le successeur de la défunte (Madame Simo Bernadette veuve Kamdem) en la personne de Dr. Kamdem Annie épouse Kamdem et mieux a officialisé le choix de la famille sur le successeur de Papa Kamdem Philippe Robert décédé en 2004. Une charge qui revient à Kamdem Guy Bertrand, sa présentation ayant fait l’objet d’applaudissements nourris dans l’assistance. C’était avant que le cortège et la fanfare ne conduisent la dépouille à sa dernière demeure.
Cette affaire funeste qui s’est dénouée de manière acceptable pose avec acuité certaine question : quel est le statut d’une dépouille humaine?