Actualités of Tuesday, 31 October 2023

Source: Le Jour

Bagam : un chef traditionnel en prison, le préfet sous pression

Il a été arrêté le lundi 23 octobre 2023 Il a été arrêté le lundi 23 octobre 2023

Un prétendant au trône en prison. L’administration peine à trouver la mesure, suite aux contestations nées de la désignation du 15ème roi des Bagam, depuis les obsèques officielles organisées le 1er août 2020, en mémoire de S. M. Jean Marie Simo Tenkue, décédé le 23 mai de suite de COVID-19.

Ceux qui cherchaient les traces de Mathurin Zossie Mouoyebe peuvent voir du côté de la prison centrale de Bafoussam. L’arrêté régional n°84/AR/F/CAB/SS du 23 octobre 2023, du gouverneur Awa Fonka Augustine, qui corrige en l’entérinant l’arrêté n°401/AP/F.31/SP du même jour, du préfet du département des Bamboutos, ordonne comme lieu de détention de ce dernier le pénitencier de Bafoussam, sur lequel le préfet n’a pas compétence. L’un des prétendants au trône cheffal des Bagam, un groupement d’environ 20.000 âmes, dans l’Arrondissement de Galim, y est détenu pour « 15 jours renouvelables » aux motifs de « trouble à l’ordre public, incitation à la rébellion et usurpation de titre ».

De sources dignes de foi, ce dernier, illégalement proclamé chef de 2ème degré de Bagam selon les autorités, a été arrêté le lundi 23 octobre 2023 au poste de contrôle mixte du Lycée Bilingue de Mbouda Rural, alors qu’il allait dans la direction de Bafoussam. Mal renseignés sur sa destination, ses partisans ont organisé des manifestations pour dénoncer son arrestation. Parties du village, qui se trouve à moins de 10km de Mbouda, des dizaines de femmes ont pris d’assaut la préfecture, où elles se sont déshabillées et ont montré leur nudité aux agents préfectoraux et curieux descendus sur les lieux, en signe de malédiction. Ces scènes ont été filmées et par la suite largement relayées sur les réseaux sociaux. Dans le même temps, une dizaine de motos étaient brûlées à Bagam. David Dador Dibango, le préfet des Bamboutos, est accusé par cette horde de villageois furieux, d’avoir organisé l’arrestation et favorisé la mise hors circuit de « leur chef ». En effet, Mathurin Mouoyebe Zossié venait à son tour d’être « installé » à la tête de la chefferie, le weekend d’avant.

Deux ans de remous

Les choses se sont accélérées ces derniers jours, parce que le préfet a voulu reconnaître la légitimité de Dieudonné Fongtendop Zossie. « Il est, à compter de la date de signature de la présente note de service, autorisé à Monsieur Fongtendop Zossie Dieudonné, chef désigné à la tête de la chefferie de 2ème degré du groupement Bagam, dans l’arrondissement de Galim, département des Bamboutos, d’assurer les affaires courantes dans ladite chefferie, en attendant l’homologation de sa désignation et son installation en cette qualité », décide David Dador Dibango, par note de service n°024/NS/F31/SAAJP du 25 août 2023.

Ce qu’on croyait être la solution est devenue un sérieux problème. Lors des obsèques officielles organisées le 1er août 2020, en mémoire de S. M. Jean Marie Simo Tenkue Zossie, mort le 23 mai 2020 après un règne de 49 ans, les consultations coutumières d’usage avaient débouché sur la désignation malheureuse de deux successeurs : les frères Mathurin Mouoyebe Zossie et Dieudonné Fongtendop Zossie. Sur la foi d’éléments testamentaires en sa possession, le préfet des Bamboutos d’alors, Ernest Ewango Budu va, sans chercher l’unanimité, faciliter l’intronisation du dernier. C’est peu de dire que les notables, élites intérieures et extérieures du groupement, chefs traditionnels alliés et populations sont divisés.

Néanmoins, il passera les neuf semaines rituelles au Nda’adang (appellation locale du La’akam), et sera présenté publiquement le 17 octobre 2020, comme 15ème roi de la dynastie Bagam. Sa légitimité est largement remise en cause. Un collectif dit « d’avocats Bagam » saisit d’ailleurs le tribunal de Mbouda, à la requête de certains notables et princes, pour contester le testament excipé du défunt chef. S’en suit un mouvement d’humeur, le 23 mai 2021. Le 10 juin 2021, un groupe de notables choisit Mathurin Mouoyebe Zossie comme leur nouveau roi. Le village est divisé. Sur proposition du Codesgam, de nouvelles consultations sont organisées par les autorités administratives. Au terme de celles-ci, Dieudonné Fongtendop Zossie est maintenu à la tête de la chefferie Bagam. Le préfet rend compte au Minat, dont les préoccupations vis-à-vis de l’ordre public, sont connues.

Consensus de façade

C’est fort de ces engagements non sincères que le Comité de développement et de solidarité de Bagam (Codesgam), va organiser un culte œcuménique le samedi 2 septembre 2023. « Le peuple Bagam traverse aujourd’hui plus de deux années de crise. Le Codesgam a pensé qu’il était important pour le peuple Bagam de se retourner vers Dieu. Il est le véritable architecte de toute paix durable et de la réconciliation authentique. Nous avons voulu que le peuple Bagam se réunisse pour se retourner vers la lumière de Dieu et surtout se rendre compte de ses erreurs sur le chemin de la réconciliation, de la fraternité et prendre conscience de la nécessité de pardonner et de regarder dans la même direction car la paix est une construction », justifiera Evariste Fongnzossie Fedoung, secrétaire général de ce Comité, à l’occasion de cette cérémonie plutôt surprenante dans une chefferie traditionnelle.

« Disons ce qui est. Le Seigneur nous parle. Le chef est né. Il est là. On ne devient pas chef. On nait chef. Le chef est chef. Il n’y a point d’autres chefs que le chef. Que les politiciens cessent de manipuler le peuple Bagam. Les notables connaissent la vérité. Mais, ils ne vous le disent pas », avait martelé le Rév. Jean Baptiste Sa’agou, pasteur de la paroisse locale de l’Eglise évangélique du Cameroun. Son confrère, le Rév. Dr. Julius Ambe Ngwa de la Pcc et l’Imam Ibrahim de la mosquée de Menfoung avaient élevé des prières, afin de voir les fils et filles Bagam taire leurs égoïsmes et « s’unir autour du roi désigné, initié et intronisé pour le développement de ce groupement ». Un défi est déjà d’assurer la sécurité du chef en liberté, à qui le préfet a promis par sa note une nouvelle cérémonie de présentation publique.

Dès la signature du décret d’homologation. Pour sa part, le chef reconnu, Dieudonné Fongtendong Zossié a, dans un communiqué de presse du 24 octobre regretté que ses frères présentent son groupement comme « un Far West hors du contrôle de l’administration », puis appelé le « vaillant peuple Bagam » au calme, « dans l’assurance que toutes les mesures sont en cours pour restaurer l’autorité institutionnelle ainsi que la paix et réconciliation définitive dans (leur) groupement»