Actualités of Friday, 17 March 2023

Source: L’œil du Sahel

Battue et séquestrée pour injures au Lamidat de Tchéboa : voici ce qui s’est réellement passé

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NORD. La victime aurait reçu 120 coups de fouet, une accusation que rejette le lamido.


Battue et séquestrée pour injures au Lamidat de Tchéboa


Woulvang Souina, 30 ans, résident à Ngong, chef-lieu de l’arrondissement de Tchéboa sis dans le département de la Bénoué, a été molesté, puis séquestré pendant trois jours dans les cachots du lamidat de Tchéboa. Accusé d’avoir tenu des propos injurieux à l’endroit d’un certain Djibrilla le samedi 25 février dernier, le jeune Woulvang Souina sera arreté à son poste de travail par des gardes du lamido et trainé à la cour de la chefferie au petit matin du dimanche 26 février 2023. Sans explication aucune, Woulvang Souina va subir la foudre du lamido de Tchéboa. La sentence est sans appel : 120 coups de fouet. Ceux-ci lui seront administrés avec un fouet de circonstance : une peau de bœuf ramolli avec l’aide d’une courroie de moulin à écraser. Après le supplice, il sera jeté dans l’un des cachots que compte ce lamidat et y sera séquestré pendant trois jours et trois nuits. «Il était environ six heures ce dimanche-là lorsque les gens du lamidat ont surgi à bord d’une voiture au marché de bois de chauffe de Ngong où je travaille, et m’ont intimé l’ordre de monter à bord. Je n’avais pratiquement pas de choix car ils étaient sur le point de me brutaliser. Ils étaient accompagnés de Djibrilla, celui avec qui je m’étais disputé la veille et qui avait promis de me traîner devant le lamido. J’ai vite compris que c’est lui qui s’est plaint contre moi pour ce qui s’était passé entre lui et moi. J’ai banalisé la situation car nous n’en étions pas arrivés aux coups de poings. Nous nous sommes juste échangés des mots. Nous nous sommes insultés. C’est quelqu’un pour qui je travaille depuis des lustres. On peut dire qu’il est grossiste dans ce marché de bois de chauffe, car il fait venir des camions chargés de bois de chauffe et nous autres, déchargeons les gros morceaux pour la vente», fait savoir la victime. Et de poursuivre : «C’est donc un monsieur que je côtoie depuis longtemps. J’ai donc banalisé la situation. Mais une fois dans la cour du lamidat, tous ceux qui étaient-là se sont mis à me blâmer, soit disant «qui suis-je pour insulter la maman de Djibrilla ? N’ai-je pas aussi une mère ?», On ne m’a même pas donné la parole.


C’est dans cette furie que de jeunes gens bien robustes se sont jetés sur moi, m’ont renversé au sol. Ils m’ont saisi les pieds et les bras et m’ont tiré par quatre. C’est à ce moment qu’ils ont dit qu’ils vont m’administrer 120 coups de fouet». Et ce n’est pas tout : «Deux personnes se sont relayées pour administrer le nombre de coups de fouet ordonné par le lamido. Au départ, je criais et me tordais de douleur, mais au bout de plusieurs dizaines de coups, j’ai perdu conscience. Je me suis réveillé dans une salle où se trouvaient trois autres personnes qui ont subi le même traitement que moi. Ils nous y ont oublié pendant trois jours, sans jamais nous donner ni à manger, ni à boire. J’ai passé trois jours et trois nuits dans cette cellule. Ce n’est que le mercredi suivant, aux environs de dix-sept heures qu’ils nous ont tous relâchés», raconte Woulvang Souina.


10 JOURS SANS SOINS


Les quatre ex-prisonniers marchaient à quatre pattes pour sortir du lamidat, du fait de l’atroce douleur qu’ils ressentaient au postérieur. Ne pouvant parcourir une longue distance pour regagner son domicile, Woulvang Souina s’est retranché au marché du bois de chauffe, non loin de la chefferie. Il a élu domicile sous un hangar de fortune érigé audit marché et y a passé 10 jours sans aucun secours. Il a passé tout ce temps allongé sur le ventre. «Je ne pouvais ni marcher, ni m’asseoir, ni faire des besoins. Je restais couché sur le ventre. Toutes mes fesses brulaient de l’intérieur. Ceux avec qui je travaillais et qui m’offraient de temps en temps de quoi manger pour survivre ont eu pitié de moi et ont fait appel à l’infirmier du lycée de Ngong. Il s’est hâté et est venu m’administrer les premiers soins le 10 mars. J’ai été libéré le 1er mars dans l’après-midi et ce n’est que le 10 du même mois que j’ai reçu les premiers soins. Je suis resté sans soins pendant 13 jours, y compris les trois jours passés dans les geôles du lamidat. Tout mon postérieur s’est infecté. Il y avait du pus. Quand il m’a fait deux pansements et vu la gravité de mon état, cet infirmier qui d’ailleurs est un voisin, m’a conseillé de faire appel aux frères pour une prise en charge dans un centre hospitalier. Il aurait partagé cette idée avec d’autres personnes et c’est comme ça que les frères sont venus me prendre le lundi 13 mars et m’ont conduit à l’hôpital de district de Ngong où je suis actuellement pris en charge», poursuit Woulvang Souina. Informé de la situation critique dans laquelle se trouve Woulvang Souina et sous la pression des membres de la famille de ce dernier, Djibrilla le plaignant, déboursera la somme de 10 000 pour les soins. «C’est un monsieur qui m’a appelé au téléphone et m’a dit de venir voir la santé d’un jeune homme qui a été fouetté à la chefferie. Il a ajouté que sa situation était grave. Je m’y suis rendu illico car il m’avait donné toutes les informations, et arrivé sur les lieux, j’ai effectivement trouvé ce jeune homme que je connais. Il était méconnaissable car il était trop sale et souffrait atrocement. J’ai examiné ses fesses, elles étaient toutes rouges avec du pus aux abords de la plaie. La plaie était vraiment profonde. J’ai exigé qu’il trouve un peu de moyens pour acheter le nécessaire pour les soins. Ils ont déboursé 10 000 FCfa, et c’est grâce à ça que j’ai acheté quelques médicaments pour désinfecter la plaie. Ce qui a été fait. J’ai fait le pansement le samedi 11 et le dimanche le 12. Je suis reparti le lundi matin, je ne l’y ai plus trouvé. Ses frères étaient passés le récupérer pour l’hôpital, selon les dires de ceux qui étaient au marché», fait savoir l’infirmier du lycée de Ngong. «Esprit des bois» Approché à ce sujet par nos soins, le lamido de Tchéboa, Sa Majesté Moussa Aboubakary, reconnait avoir interpellé et administré quelques coups de fouet à Woulvang Souina. Il nie cependant lui avoir fait administré 120 coups de fouet et clame haut et fort que ce ne sont pas les coups de fouet qui lui ont été infligés qui sont à l’origine de ces plaies. «Quel châtiment, selon vous, doit-on infliger à quelqu’un qui insulte une mère ? N’a-t-il lui-même pas de mère ? Laissez-moi vous dire que sans fouet, on ne peut ni gérer, ni redresser une communauté. Si le lamidat de Tchéboa est l’un des rares où règne le vivre-ensemble, c’est grâce à ces petites astuces que nous utilisons pour persuader la population. Mais dire que 120 coups lui ont été administrés, c’est faux. Et puis, ces plaies ne sont pas les effets des fouets. Si cela était le cas, on devrait voir les traces laissées par le fouet sur sa peau. Mais ce n’est pas le cas. A mon avis, la cause de ces plaies est à rechercher ailleurs. Ce sont les esprits des bois qui le châtient puisqu’il détruit les arbres pour avoir le bois de chauffe. Donc, ne dites pas que c’est parce qu’il a été fouetté qu’il est dans cet état», déclare le chef traditionnel. Ce n’est pas la première fois que le nom de Sa Majesté Moussa Aboubakary est mêlé aux violations des droits de l’homme. Élu sous la bannière du Rdpc aux élections législatives de 2002, son élection avait été annulée. Motif : il trainait une condamnation, à la suite d’une plainte de ses victimes. Pour les membres de la famille de Woulvang Souina, les traces du fouet sont encore légèrement visibles. «Cela fait quasiment trois semaines qu’il a été fouetté, mais les traces du fouet restent encore visibles. Pour les remarquer, il suffit de regarder minutieusement son postérieur. Nous n’abandonnerons pas cette affaire. Nous réunissons le nécessaire et nous saisirons la justice. Le droit doit être dit. Nous avons le soutien de toutes nos communautés et je crois que cette affaire ne se terminera pas comme il pense. On ne peut pas traiter un être humain de nos jours comme s’il s’agissait d’un animal. Les auteurs de ces atrocités répondront de leurs actes qui qu’ils soient», déclare Kampété Vadaï, cousin de Woulvang Souina. En attendant que les choses soient tirées au clair et qu’un certificat médical soit dûment établi pour une éventuelle plainte, la communauté massa de Ngong reste mobilisée autour du patient.