Le Directeur de publication de Challenge Hebdo Benjamin Zebaze dans un texte hommage à Lapiro de Mbanga, se rappelle que lors du célèbre procès Monga-Njawe, l’un des moments forts de la lutte dans les années de braise, par son action il avait réussi à pousser la population de Douala à bloquer toute la ville au point où son arrestation est parvenue à interrompre le procès.
Lisez plutôt le texte hommage de Benjamin Zebaze
LE LAPIRO DE MBANGA QUE J’AI CONNU
Prière partager juste ce texte où je rends hommage à un grand homme qui restera dans l’histoire de ce pays.
Il y a huit années que LAmbo PIerre ROger dit « Lapiro de Mbanga » nous a quittés et en ce triste jour, il m’est apparu normal de dire quelques mots sur l’histoire de mes relations avec l’artiste disparu.
1- MA RENCONTRE AVEC LAPIRO DE MBANGA
Comme je l’ai toujours dit, Célestin Monga est l’un des rares Camerounais pour qui j’ai le plus grand respect au moins pour deux raisons : ses connaissances quasi sans limite et surtout, sa rectitude morale ; choses les moins partagées au sein de l’intelligentsia camerounaise ou ce qui en tient lieu.
Lorsque en cette année 1990 il m’appelle pour m’indiquer que son ami Lapiro de Mbanga alias « Ndinga Man » sera à Douala dans la journée et veut passer nous voir au journal « Challenge Hebdo », il ne sait pas ce qu’il déclenche en moi car je suis un fan absolu de cet artiste.
Je me revois en fin des années 80 en voiture entre Paris en Bordeaux avec mon ami le Bâtonnier Jackson Ngnié Kamga écoutant encore et encore les différents tubes de cet artiste notamment « Mimba Wi », « Kop Nié », « No Make Erreur » que je vous invite tous à écouter ou réécouter avec un traducteur maîtrisant le pidjin : des chefs d’œuvre.
Il arrive au bureau entre midi et 13 heures : il fait le tour de nos installations devant des collaborateurs intimidés.
Sachant qu’un artiste de ce niveau ne pouvait déjeuner que dans un grand hôtel ou dans un grand restaurant, j’avais pris le soin d’empocher une somme de 200 000Fcfa. Lorsque je le lui propose, il réagit très mal : « Zebaze, mais tu es fou ? On va faire quoi dans des endroits pareils ? Tu ne connais pas une maman qui fait du taro ou du koki dans un marché ici ? ».
Mon cousin Bernard Nguimeya, ex vedette de l’Union sportive de Douala, maîtrisant bien le quartier, nous servira de guide. Nous montons dans le véhicule 4/4 décapotable de notre invité et nous voilà sur la route encombrée du marché de New Deido : au passage, les commerçants, surtout les femmes, abandonnent leurs étals et se mettent au bord de la route pour chanter les tubes de l’artiste.
Nous arrivons dans une bicoque pittoresque qui sert de restaurant. La tenancière et quelques clients assis sur des tabourets entonnent « mimba wi » (Pensez à nous) dans une atmosphère à la joie.
Elle nous sert un litre et demi de sauce de taro dans une bouteille d’eau minérale qui sert à mesurer; de la peau de bœuf, des aubergines, du piment frais et une boule respectable de taro pour chacun. Le temps de se laver grossièrement les mains, nous attaquons ce repas qui est conforme à l’odeur qui règne dans la pièce : bon.
A la fin, elle apporte l’addition : 4 500 FCFA. Pendant ce temps, les 200 000 FCFA pèse « honteusement » dans le fond de ma poche.
C’est le début d’une amitié qui va durer avec des hauts et des bas sans lesquels une amitié n’en n’est pas vraiment une.
Comme au cours de cette semaine où ayant vue Lapiro sur la Crtv dénigrer tout le travail que les opposants et la presse abattaient, nous avons réagi en publiant une édition spéciale pour lui répondre le plus violemment possible.
Comme ce n’était pas un homme à se laisser faire, il a répliqué par une chanson dans laquelle trouvant mon patronyme « Benjamin Zebaze » sans doute trop beau pour moi, il m’a rebaptisé « Benjamin Chimpazé » et mon journal « Chantage Hebdo »: c’était de bonne guerre et cela n’a pas altéré notre amitié.
2- L’ARTISTE, LES MOUVEMENTS SOCIAUX ET LA POLITIQUE
Très honnêtement ; en ces années dites de braise, Lapiro de Mbanga était sans doute l’homme le plus populaire du pays. Une anecdote peut résumer cette popularité.
J’avais décidé de lancer une activité culturelle dans ma ville natale de Dschang « Festi Menoua ». J’y invitais des personnalités aussi diverses que le président du Senat Niat Njifenji, les ministres Tchouta, Lekene, Bafou…James Onobiono ; des artistes comme Bebey Manga, Marthe Zambo, Nadia Ewandé, Papillon, Benjy Mateke, Claudia Dikosso, Maman Nguéa, Papa Zoé, Sam Fantomas, Maurice Njoume… Lapiro était parfois le présentateur de la soirée.
Lors d’une édition, nous sommes dans mon véhicule sur la route de Dschang en compagnie
de mes 3 premiers enfants Audrey, François et Adrien : la police nous interpelle. Lorsque j’esquisse un geste pour prendre le dossier dans le coffre, Lapiro me dit de ne pas bouger.
Le policier arrive avec le visage serré et me dit presque en grondant : « les pièces du véhicule ». Dès qu’il reconnait le chanteur, il se met à danser en chantant « Overdone na ndoutou, tara… », tout en nous faisant signe de partir.
Je pense que c’est paradoxalement cette popularité qui l’a perdu car il a cru à un moment qu’il pouvait faire l’opinion alors que les gens l’aimaient pour un discours, un comportement qu’ils jugeaient adaptés à la situation.
C’est comme ça que lors du célèbre procès Monga-Njawe qui est l’un des moments forts de la lutte dans les années de braise, il pousse par son action la population de Douala à bloquer toute la ville au point où son arrestation va interrompre le procès. Chose inédite, le président du tribunal sera obligé de le libérer et le présenter à la foule en colère pour que le procès puisse continuer.
Dynamiteur du « Comité de Libération de Célestin Monga », son travail sera capté par un personnage extrêmement douteux qui va transformer cette œuvre collective en « Cap liberté », une organisation sur laquelle tout n’a pas été encore dit.
On a beaucoup épilogué sur ce qui apparaissait alors comme un revirement de sa part face au pouvoir ; avait-il tort à 100% ? Lors d’une des premières réunions de la « Coordination des partis politiques et des associations » à Bamenda, nous avions fait le voyage ensemble.
Je me souviens qu’au cours de cette réunion, il avait coupé la parole à Fru Ndi et plus tard à Ndam Njoya afin de leur dire qu’il était d’accord pour les manifestations dans les rues et le blocage du pays à une condition : que tous les leaders soient dans la rue.
Lui, disait-il, était prêt à bloquer le passage à Mbanga à conditions que Fru Ndi, Ndam Njoya et les autres fassent pareils ; sinon, il n’était pas question d’envoyer les enfants des autres à l’abattoir.
Sur le chemin de retour, il ne décolérait pas face à la réaction des dirigeants des partis politiques qu’il trouvait irresponsable.
C’est ce qui l’a conduit à répéter tout ça à la Crtv, provoquant ainsi quasiment sa perte alors qu’il n’avait pas totalement tort quand on constate que nombreux sont ceux qui assistaient à nos réunions et qui ont été nommé plus tard par ce pouvoir, pourtant responsable de la mort des enfants qu’ils avaient envoyé dans les rues. Son erreur ne semble aujourd’hui, avec recul, être au niveau du timing.
Il a failli y perdre sa vie comme son club à Mbanga qui a été incendié. Au cours d’un concert gratuit à la salle de fête, une « tonne » de cailloux s’est abattue sur l’estrade au point où on se demande encore comment l’artiste y a échappé.
J’étais présent et j’ai entendu de la bouche même de l’organisateur de cette violence que Lapiro allait voir ce qu’il allait voir. Aujourd’hui il nie ; comme il nie pour « les cartons rouges » qu’ils avaient organisé au plus profond des années de braise pour se faire de l’argent : un homme vraiment sans consistance, incapable d’assumer ses actes.
En tout cas, personne n’enlèvera, même post mortem, à Lapiro son talent d’artiste : allez sur Youtube ou ailleurs écouter une fois de plus « Kop Nié », « Mimba Wi », « No Make Erreur » … pour vous en convaincre.
A côté de tels chefs d’œuvre, la production actuelle de nos artistes apparaît comme une espèce de charabia désarticulé.