Si le Cameroun se félicite d'avoir empêché la progression du groupe terroriste Boko Haram sur son sol au cours des deux années passées, le bilan de cette guerre est toutefois terni par des soupçons de malversations financières et de trafics divers autour de ce grand dossier, qui fait l'objet d'une "vaste enquête" administrative, prescrite par le pouvoir, a-t-on appris de sources dignes de foi.
Dans le cadre de cette croisade antiterroriste déclenchée au lendemain d'un sommet régional auquel le président Paul Biya avait pris part aux côtés d'autres dirigeants africains le 17 mai 2014 à Paris, à l'invitation de son homologue français François Hollande, plus de 6.000 membres des forces de défense et de sécurité camerounaises ont été mobilisées au front, selon des chiffres officiels.
Cible privilégiée des attaques de la secte islamiste nigériane sur le territoire national, la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, séparée par une frontière longue de plus de 400 km du Nigeria, en est le principal théâtre des opérations.
Pour la conduite de cette mission, d'importantes sommes d'argent sont régulièrement débloquées par le gouvernement aussi bien pour l'acquisition des équipements militaires, le renseignement, la prise en charge des besoins vitaux ainsi que les primes des troupes au front, que la gestion d'autres aspects de cet important dossier de la part d'autres administrations.
Pour l'heure, les montants des ressources allouées n'ont pas été révélés à l'opinion publique, pourtant sollicitée dans le cadre d'une grande opération de "solidarité nationale" pour une collecte de fonds ayant permis de mobiliser plus de 2 milliards de francs CFA (plus de 4 millions de dollars), d'après le décompte officiel.
En 2015 déjà, la remise d'un don humanitaire de plus d'un milliard de francs (plus de 2 millions de dollars) accordé par le chef de l'Etat en faveur des populations affectées par les violences de Boko Haram dans l'Extrême-Nord avait déclenché une vive polémique.
Les autorités administratives locales avaient été accusées de surévaluer le nombre de victimes, qu'elles estimaient à environ 1,4 million de personnes, alors que les statistiques réelles évoquent un chiffre largement inférieur de 200.000 déplacés.
Dans la foulée, une affaire de primes de guerre non reversées avait fait aussi naître un sentiment de mécontentement au sein du dispositif sécuritaire chargé d'enrayer la menace terroriste.
En ce moment, des plaintes sont aussi adressées par des membres des comités de vigilance villageois pour dénoncer la gestion jugée non transparente des primes allouées par les pouvoirs publics pour leur participation à cette lutte antiterroriste en appui des forces de défense et de sécurité.
Plus d'une fois, du haut du perchoir de l'institution législative à Yaoundé, l'inamovible président de l'Assemblée nationale (Chambre basse du Parlement), le "Très Honorable" Djibril Cavaye Yéguié, originaire de l'Extrême-Nord, s'est fendu de déclarations dans lesquelles il faisait part de la présence de "complices" de la secte islamiste nigériane au sein de l'establishment camerounais.
Tenus par un fidèle du chef de l'Etat, ces propos ont servi à appréhender l'ampleur de l'influence de la secte islamiste nigériane dans ce pays d'Afrique centrale, qui a vu, selon des sources indépendantes, plus de 3.000 de ses jeunes ressortissants embrasser volontairement ou de force la folle aventure djihadiste proposée par celle-ci.
Plusieurs camps d'entraînement de jeunes recrues ont été démantelés, à l'instar de l'opération menée en janvier 2015 à Mora, ville de l'Extrême-Nord choisie pour abriter la base du secteur numéro un de la Force multinationale mixte (FMM), mise sur pied par le Cameroun et ses voisins du Nigeria et Tchad puis du Niger dans le cadre de la Commission de la Bassin du lac Tchad (CBLT) et aussi le Bénin, non membre de cette organisation régionale, pour lutter contre Boko Haram,
Les enquêtes ont aussi révélé des connexions étroites entre le groupe terroriste et certains dignitaires de la région, au rang desquels des élus locaux, aussitôt placés sous le coup des poursuites judiciaires.
Malversations financières, trafics d'armes et de carburant, arrestations arbitraires, libération monnayée de présumés terroristes, abus d'autorité, etc. : la lutte contre Boko Haram semble avoir pris pour certains responsables camerounais les allures d'un business lucratif qui n'a pas échappé aux hautes autorités du pays.
Depuis des mois, celles-ci ont prescrit une "vaste enquête" sur la gestion de ce dossier qui selon des sources dignes de foi fera l'effet d'une bombe, à cause des premiers résultants accablants pour un grand nombre de responsables.
Comme c'est le cas de l'opération dite Epervier, qui entraîné l'incarcération de plusieurs personnalités gouvernementales pour des accusations de détournement des deniers publics, dont un ex-Premier ministre (Ephraim Inoni) et deux anciens secrétaires généraux de la présidence de la République (Jean-Marie Atangana Mebara et Marafa Hamidou Yaya), cette enquête est censée aboutir à des poursuites judiciaires.