Actualités of Monday, 5 September 2016

Source: courrierinternational.com

Boko Haram FM: les ondes de la terreur

Un groupe de personnes en train d'écouter la radio Un groupe de personnes en train d'écouter la radio

Dans l’extrême nord du Cameroun, le groupe terroriste connu pour sa barbarie sanguinaire utilise aussi la radio pour rallier la population à sa cause. L’envoyé spécial d’Intégration raconte cette guerre des ondes.

“Allahou Akbar” (Dieu est grand !). La voix qui martyrise le récepteur de Belawa cet après-midi est claire. Mais le ton fait frémir le vieil homme.” Par hasard, je suis tombe? sur cette station pour écouter les anachid (les chants musulmans). Mais je me rends compte que c’est la radio barbare que nous avions écoutée ici il y a un mois”, avance?t?il, se hâtant de zapper.

A en croire ce septuagénaire qui ne sait pas lire les fréquences, Boko Haram arrose la frontière de ses messages violents. Ici a? Tolkomari, d’autres habitants disent avoir écouté “cette radio a? l’islam funeste” au moins une fois ces deux dernières années. S’ils sont incapables de la nommer et de la localiser, ils affirment que ladite station émet surtout au lendemain d’attaques kamikazes au Nigeria ou dans les pays voisins.” Quand ils ont attaqué? [le 13 juillet 2014] le domicile d’Amadou Ali [vice-Premier ministre] ici a? Kolofata, se rappelle Garba Hassoumou, ils ont pris les micros pour se féliciter de leur barbarie. Ils parlent aussi souvent quand le ministre de la Communication donne un point de presse a? Yaounde? [la capitale] a? leur sujet.”

Ce 11 avril 2016, c’est une exception. Il n’y a pas eu d’attaque. Pas de point de presse non plus. Mais, sur 96.8 FM, Boko Haram s’exprime sur d’autres sujets liés aux combats et a? la sécurité des personnes civiles. “Après l’interdiction du port du voile dans certaines localités de la région, ils ont promis la mort aux signataires d’une telle mesure. Maintenant, ils disent qu’ils ne sont pas affaiblis contrairement a? ce qu’on croit”, chuchote Larai?, un commerçant. Et pendant qu’on y est, une antienne régente son poste radio : “Dawla islamiya” (l’Etat islamique).

Système de diffusion nébuleux

Ainsi donc, a? intervalles irréguliers, Boko Haram supplicie les ondes. Sa méthode traduit un principe clair : inoculer insidieusement la peur au sein des populations locales. “De temps en temps, ils émettent. Leurs fréquences sont instables. Au lendemain de l’attentat de Maroua le 26 juillet 2015, ils étaient sur 95.7 FM. A cette occasion?la?, ils ont re?ve?le? que les 14 personnes décédées iraient droit au paradis parce que mortes ensemble avec une kamikaze”, précise Robert Bai?kamla.

Résidant a? Tolkomari, cet ancien technicien de diffusion a? la CRTV?Littoral [la radio-télévision nationale] ajoute qu’après cette “sortie” les terroristes ont e?cume? toutes les fréquences modulées a? la frontière avec le Nigeria. “Ils sont passe?s successivement sur 103.4 FM, 91 FM, 106.1 FM et 96.8 FM en l’espace de six mois, Leur système de diffusion est très nébuleux”, dit?il.

Evidemment, a? chaque “production”, qui dure environ deux heures, ils se fondent sur une communication extensive s’adressant a? l’audience la plus large possible tant au Nigeria que dans les zones limitrophes. Chaque fois, pour cet exercice, deux speakers se mettent en valeur : leurs propos sont enrobe?s de psalmodies du Coran, de cris de personnes et de tirs. Pour alimenter les extrêmes, ils s?offrent le luxe d?asse?ner : “Notre radio paye ses impôts avec le sang des mécréants !”

La dernière fois qu’il a écouté cette radio de bout en bout pendant une heure, Belawa s’en souvient.” Ce jour?la?, raconte?t?il, ils ont sermonne? les gens avec des histoires surréalistes, avec des hommes de?termine?s qui ont tout quitte?, laissant derrière eux femmes, enfants et amis.”

Un jeune rencontre? a? Limani souligne que dans leurs tranches d’antenne les orateurs de Boko Haram dépeignent souvent une vie quotidienne idéalisée dans le califat. Ils mettent alors en scène des djihadistes qui administrent la ville selon leur religion. Rusés, ils évoquent surtout de fausses manœuvres guerrières.

“Après leur attentat kamikaze perpe?tre? au Boucan Bar a? Maroua, ils étaient soucieux de maintenir l’attention médiatique. Ils passaient alors leur temps a? décrire les corps de?capite?s, les enfants bru?le?s dans des cages ou e?cartele?s dans les pick?up. Juste après, ils donnaient de fausses précisions sur la prochaine attaque. Ils indiquaient de faux itinéraires, de faux timing, de faux matériels et de faux acteurs”, renseigne un officier des transmissions du Bataillon d’intervention rapide (BIR) a? Kolofata.

Un nouveau vocabulaire politique

La radio, c’est par ce canal que Boko Haram a voulu dresser les populations contre les forces de défense en faction dans l’Extre?me-Nord. Très souvent sur ses antennes, la secte évoque de lointains souvenirs qu’elle estime douloureux pour les habitants des villes et villages camerounais frontaliers du Nigeria. Selon le Dr Nafissatou, enseignante de sociologie a? l’université de Maroua, “ils exploitent les vétérans et les jeunes indemnes physiquement mais psychologiquement atteints par la misère.

A terme, ces personnes font des cauchemars, souffrent de violentes crises d’angoisse, se sentent menacées en permanence. Leur vie de famille se de?lite. Certains tombent dans la drogue, d’autres veulent se donner la mort. D’autres encore sont implique?s dans des crimes.”

A bien des égards, ces propos révèlent ainsi le vrai visage d’une propagande radiophonique réduite aux bobards, aux fausses nouvelles, au bourrage de cra?ne, qui abrutit des citoyens et cherche a? les détourner de la vérité.

Ce schéma élémentaire donne lieu a? des mises en scène simples et répétitives. Bien évidemment, les messages diffuse?s sur les ondes en haoussa ou en kanuri [les deux langues les plus parlées] ont été soigneusement e?labore?s. Sans recourir a? de longs développements, mais en martelant les mots qui servent ses idées, en usant de formules concises, de slogans courts, simples et faciles a? retenir, Boko Haram a fini par créer un nouveau vocabulaire politique dans ces langues.

“Il s’agit d’un code fleuri aimant recourir a? la métaphore. Cela se vérifie lorsque, sur leur radio, ces criminels tentent de faire la différence entre les intégristes, les salafistes, la taqiya, le djihad et l’islam radical”, analyse le Pr Sai?bou Issa, directeur de l’École normale supérieure de Maroua. Usant a? fond de ce “code”, il apparaît vite que le plus important est de calquer leur argumentation sur la phraséologie musulmane, en s?appuyant sur une interprétation erronée du Coran.

Pour Cheikh Bachirou Adama, islamologue basé a? Mora, “lorsqu’on entend des aberrations du genre : le califat sera le paradis qu’Allah nous a promis, c’est un choix qui résume bien l’espoir de?mesure? de Boko Haram : e?riger la zone sahe?lienne en califat”. Autour de ce thème, la radio des terroristes nigérians s’attache a? multiplier les signes d’asservissement et à marteler les tympans des populations.

Les arguments exprime?s par les djihadistes sur leur radio ont e?pouse? les formules utilisées naguère par les jeunes. “A l’entame de la guerre, ce schéma a surtout de?pouille? les jeunes de leurs rudiments de bon sens”, rele?ve le Dr Nafissatou.

Dans la région de l’Extre?me?Nord, où l’économie souffre, cela a fait son effet. “Radio Boko Haram” a d’abord eu un impact sur la classe issue de la fermeture des pistes de contrebande. Une ou deux fois par semaine, elle encourageait ces jeunes a? aller travailler près du lac Tchad [son fief]. “Cela a provoque? un mouvement migratoire ge?ne?ralise? : de nombreux jeunes ont gagné ce maquis et se sont cache?s dans les campagnes pour échapper aux forces de police. Certains d?entre eux se sont engagés dans les maquis, permettant ainsi a? Boko Haram de gonfler chaque jour ses effectifs”, e?value Adama Kamsoum, le sous-préfet de Kolofata. Trop souvent, affirme la sociologue Nafissatou,

Boko Haram a exploite?, via cette radio et a? son avantage, la misère et a fait valoir que le terrorisme restait le seul horizon d’une société qui peine a? définir une ambition collective. L’objectif de Boko Haram dans sa manie?re de faire de la radio est unilatéral : imprégner jusqu’a? la moelle le peuple de son principe, marteler et polir les esprits jusqu’a? ce qu’ils leur soient entièrement acquis. La nature, l’évolution et les contenus des programmes tendent a? empêcher la population de se laisser ébranler par les appels a? la résistance de nos forces de défense.”

Non seulement Boko Haram s’attaque aux populations civiles, mais il s’efforçe de détruire les fondements de ce qu’il appelle “la fausse religion” en s’attaquant volontairement, par le truchement de sa radio, aux prélats. L’action des terroristes répond donc a? une stratégie de vengeance contre l’islam dit mode?re?.

Retourner l’opinion contre le gouvernement

Dans cette zone, chaque coup des forces de sécurité du Cameroun, du Tchad et du Nigeria contre les islamistes est l’occasion de présenter les dirigeants de ces pays comme des la?ches et des barbares. Il est clair que, spéculant sur la colère et l’indignation des jeunes villageois, Boko Haram cherche par l’exploitation des raids des armées camerounaise, tchadienne et nigériane a? retourner l’opinion contre les présidents Paul Biya, Idriss Déby, Goodluck Jonathan et ensuite Muhammadu Buhari. Selon un haut grade? de l’armée camerounaise, “a? travers cette radio, les cerveaux de la secte soulignent sans cesse le contraste entre la tragédie des familles locales et les niveaux de vie de ces présidents”.

Devant la difficulté de tenir des meetings dans les territoires quadrille?s militairement par ces dirigeants, les ondes ont été mises a? contribution. “Ils savent pertinemment que la radio c’est le me?dia du direct, dont l’impact est immédiat et fort, et qui laisse plus de place a? des formes de réappropriation individuelle du message diffuse?. Ils savent que c’est par la parole qu’une foule se laisse galvaniser. C’est pour cela que lorsqu’ils consacrent leur antenne a? ce sujet, ils donnent le micro a? un bon orateur pour ajuster leur discours aux réactions du public”, glisse un agent de liaison a? Limani. Ici comme ailleurs, dans les confins que “Radio Boko Haram” a atteints, cette astuce est déjà connue de tous. Heureusement.