Pour mettre fin à la menace de Boko Haram dans la région du Bassin du Lac Tchad, les pays touchés doivent s'attaquer aux causes profondes qui ont contribué à l'émergence de ce groupe, telles que les griefs sociaux, économiques et politiques des communautés marginalisées, a déclaré le principal responsable des affaires politiques des Nations unies.
"Une approche militaire, bien qu'essentielle, ne mettra pas fin à la menace de Boko Haram", a affirmé Jeffrey Feltman, le Secrétaire général-adjoint pour les affaires politiques, au Conseil de Sécurité dans son compte-rendu sur la paix et la sécurité en Afrique mercredi, selon un communiqué de l'ONU.
Il a indiqué qu'il fallait s'attaquer à la crise de Boko Haram de manière globale et au-delà du "simple aspect sécuritaire", et qu'il fallait aux pays du Bassin du Lac Tchad - Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad - un soutien international afin que les opérations militaires soient suivies de mesures de stabilisation et du rétablissement de l'autorité de l'Etat.
Les attaques de Boko Haram se poursuivent, principalement dans le nord-est du Nigeria et le sud du Niger et dans une moindre mesure, dans le nord du Cameroun et la Région du Lac Tchad, a-t-il indiqué.
Les terroristes continuent à cibler des civils innocents, y compris par des attaques-suicide en utilisant souvent des enfants. Malgré des efforts régionaux louables, le groupe continu à menacer la stabilité régionale, comme en témoigne l'attaque du 03 juin contre une base militaire dans la ville de Bosso, dans le sud-est du Niger.
L'offensive régionale impliquant des troupes tchadiennes, camerounaises, nigérianes et nigériennes, qui opèrent dans le cadre de la Force mixte multinationale (MNJTF), a repris 80 pour cent des régions contrôlées par Boko Haram, libéré des milliers de captifs et empêché des attaques terroristes.
M. Feltman a cependant indiqué que les pays du Lac Tchad ont exprimé leur impatience croissante face au retard pris par les partenaires internationaux pour soutenir financièrement la MNJTF, alors que le succès de la Force dépend de renseignements obtenus à temps ainsi que de compétences et d'équipements spécialisés pour la lutte contre le terrorisme, étant donné l'évolution des tactiques de Boko Haram.
L'ONU et les cinq pays du Sahel - Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie, et Niger - vont produire ensemble l'ébauche d'un cadre de renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme et de prévention de l'extrémisme violent, avec des projets régionaux concrets.
Le communiqué souligne que le second Sommet régional sur la sécurité du Bassin du Lac Tchad qui s'est tenu le 14 mai à Abuja, a réaffirmé la nécessité s'attaquer aux causes profondes.
Une de ses recommandations notables est la nécessité d'utiliser les services des responsables religieux et communautaires afin de décourager les jeunes influençables de se radicaliser et de mener des programmes de dé-radicalisation.
Sur le front des droits humains, M. Feltman a déclaré que l'ONU avait reçu des rapports sur l'augmentation des cas d'agressions sexuelles et de violences faites aux femmes parmi les déplacés. Les Etats doivent adopter des mesures pour protéger les civils et respecter les procédures en cas d'arrestation de personnes pour des accusations liées à Boko Haram. Les enfants utilisés par Boko Haram doivent être traités comme des victimes et conformément aux normes internationales de la justice des mineurs.
La crise de Boko Haram a dévasté l'économie de la région, a-t-il poursuivi. La croissance économique a subi une forte récession avec la baisse des prix du pétrole et des autres matières premières. Cette diminution des ressources affecte les capacités des Etats à assurer les services sociaux de base et à payer les salaires des forces de sécurité et des fonctionnaires.
L'insécurité a affecté les échanges commerciaux entre le Tchad et le Nigeria, interrompant l'approvisionnement en produits essentiels et entraînant des hausses de prix. Le chômage des jeunes est très préoccupant, ce qui facilite leur recrutement par Boko Haram, a noté M. Feltman.
Le communiqué ajoute que le Secrétaire général-adjoint pour les Affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence, Stephen O'Brien, a également fait un compte-rendu au Conseil de Sécurité en insistant sur la nécessité d'attirer de toute urgence l'attention de la communauté internationale sur la situation "négligée" dans le Bassin du Lac Tchad, où on assiste à une crise du déplacement croissante.
A travers le Bassin du Lac Tchad, l'ONU estime que plus d'un million de personnes ont besoin d'une aide humanitaire, a-t-il indiqué. Près de 2,8 millions de personnes ont été déplacées, fuyant les attaques violentes dans leurs villes et villages. Les enfants sont particulièrement vulnérables, surtout les 1,7 million d'enfants qui ont été déplacés à travers le Bassin du Lac Tchad.
Le Nigeria subi le plus gros de cette crise, a-t-il noté. Le Nigeria représente sept des neuf millions de personnes dans le besoin dans la région du Lac Tchad. Le mois dernier, les autorités nigérianes ont déclaré un état d'urgence nutritionnelle dans l'Etat de Borno. Des informations recueillies sur le terrain indiquent que les communautés touchées voient leurs réserves alimentaires s'épuiser.
"Il n'y a pas de temps à perdre: la période de soudure, qui expose des millions de personnes à la faim et la malnutrition chaque année dans le Bassin du Lac Tchad, a déjà commencé", a déclaré M. O'Brien. "Si nous n'agissons pas maintenant, les souffrances humaines vont s'aggraver".
Le communiqué révèle qu'au Niger, une seule attaque de Boko Haram a fait plus de 70.000 déplacés dans la ville de Bosso en juin de cette année, portant le nombre total de personnes déplacées dans la région de Diffa à plus de 160.000. Le Niger est le pays le plus pauvre du monde; cependant bien que ne possédant presque rien, les familles sur place ont accueilli les déplacés chez elles et partagé leurs maigres provisions en nourriture et en eau avec les nouveaux arrivants, souligne-t-il.
Le responsable humanitaire de l'ONU a ajouté que les besoins étaient également pressants dans la région du Lac Tchad, où plus de 60.000 personnes déplacées ont été recensées et des dizaines des milliers d'autres pas encore.
D'après le communiqué, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, sous état d'urgence et bouclée pour des raisons de sécurité, le nombre de personnes nécessitant une aide alimentaire immédiate a quadruplé depuis juin 2015, à plus de 200.000 actuellement, et le nombre total de déplacés internes a augmenté au cours de la même période à près de 190.000.
Les acteurs humanitaires intensifient leur assistance, malgré un cadre d'action dangereux. Il est urgent de compléter leurs efforts par une aide au développement accrue, a déclaré M. O'Brien.
"Nous savons tous que la réaction humanitaire est insuffisante pour rétablir les moyens de subsistance et les conditions de vie des populations", a-t-il reconnu, en insistant sur la nécessité d'apporter une aide pour "mettre fin aux besoins", un sujet crucial pour le Sommet Humanitaire Mondial. Ce qui signifie, qu'en parallèle à la fourniture d'une assistance vitale et d'une protection, les acteurs politiques doivent s'attaquer aux causes profondes de la violence et les partenaires au développement doivent se pencher sur les facteurs de vulnérabilité dans cette région.
Les moyens de soutenir la réaction humanitaire dans le nord-est du Nigeria et à travers tout le Bassin du Lac Tchad ne correspondent pas à l'ampleur des besoins, a souligné M. O'Brien, en notant que le Plan de réaction humanitaire 2016 pour le Nigeria n'est financé qu'à 28 pour cent, tandis que ceux du Niger, du Cameroun et du Tchad sont également sous-financés. Il a invité les Etats membres à accroître leurs contributions à l'opération humanitaire en cours "rapidement désormais".