Les autorités camerounaises, engagées dans la répression des crimes commis par le groupe terroriste Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun - auteur de nombreuses exactions contre les populations - doivent cependant veiller à garantir un procès juste et équitable aux personnes soupçonnées de connivence avec ce groupe.
C’est le plaidoyer de l’ONG œcuménique de droit français ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), qui vient de publier sur son site une lettre d’intervention adressée au président de la République du Cameroun, Paul Biya.
La lettre parle du cas de quatre femmes condamnées en avril 2016 à la peine de mort par le tribunal militaire pour “espionnage”, sur “la seule base d’une déclaration écrite d’un membre du Comité de vigilance et de la déposition écrite initiale de l’une d’entre elles”. Effet de la loi antiterroriste adoptée et promulguée en décembre 2014, il n’y a pas d’appel possible.
“Je vous exhorte à ce que ces personnes ne soient pas exécutées, mais que leurs peines soient commuées, qu’elles puissent faire appel de leurs condamnations devant des tribunaux civils respectueux des droits de la défense et du principe de présomption d’innocence”, lit-on dans la lettre de l’ACAT.
D’après International Crisis Group, les insurgés de Boko Haram ont déjà tué au moins 1300 civils, 120 soldats et enlevé environ un millier de personnes au Cameroun. L’organisation terroriste a brûlé aussi des centaines d’écoles et de commerces et forcer des milliers de personnes à fuir.
Nous publions intégralement ci-dessous le texte rendu public par l’ACAT hier, lundi 19 septembre, pour soutenir sa requête.
Condamnées à mort au Cameroun : je soutiens Kilanta, Martha, Marie et Damaris
“Accusées d’espionnage et de complicité avec Boko Haram, ces quatre femmes n’ont eu droit qu’à une parodie de procès devant un tribunal militaire partial. Elles ne sont pas les seules à faire les frais d’une lutte antiterroriste effrénée, qui se solde bien souvent par des condamnations à mort à l’issue de procès inéquitables.”
Condamnées à mort pour espionnage
“Elles avaient quitté le Cameroun pour être employées de maison au Nigéria. Les histoires de Kilanta Dagora, Martha Wetaya, Marie Dawandala et Damaris Doukaya se ressemblent et se croisent. Elles seront définitivement liées à partir d’octobre 2014, quelques mois après leur retour au Cameroun…
L’une d’elles est en effet dénoncée par un membre du comité local de surveillance comme étant une espionne de Boko Haram. Suite à un interrogatoire, les trois autres femmes sont à leur tour mises en cause.
Elles sont alors toutes les quatre accusées d’espionnage, d’immigration clandestine et de complicité avec une bande armée.
Le 1er avril 2016, alors qu’elles n’ont eu qu’un seul contact avec leur avocate, débute une parodie de procès devant un tribunal militaire. Au cours ce celui-ci, elles nient tout lien avec Boko Haram. Mais le 18 avril 2016, sans aucune preuve matérielle, Kilanta, Martha, Marie et Damaris sont condamnées à mort. Il n’y a pas d’appel possible.”
La prolifération des condamnations dans le cadre de procès inéquitables
“Leur histoire n’est pas un cas isolé. Depuis juin 2015, pas moins de 100 personnes accusées d’appartenir à Boko Haram ont été condamnées à la peine capitale par des tribunaux militaires, chargés de juger les terroristes ou leurs soutiens au Cameroun.
Ces tribunaux militaires relevant du pouvoir exécutif, leur manque d’indépendance et d’impartialité suscite de vives préoccupations quant à la régularité des procédures qu’ils entreprennent. Les décisions prises dans le cadre de ces affaires ont souvent des répercussions irréversibles, comme l’illustrent les nombreux cas de condamnations à mort.”
La loi antiterroriste du 23 décembre 2014, un virage dangereux
“La loi antiterroriste de 2014 a été adoptée pour répondre à la menace grandissante que représentait Boko Haram pour le Cameroun.
Malheureusement, cette loi prévoit des sanctions extrêmement lourdes et dramatiques - comme la peine de mort - en contradiction avec les engagements du Cameroun sur le plan international.
Par ailleurs, la loi donne une définition bien trop large du terrorisme : toute grève, manifestation ou appel à la désobéissance civile peut être assimilé à un acte de terrorisme.
Une telle situation peut conduire à des dérives répressives à l’encontre de membres de la société civile et de l’opposition politique, et à une restriction globale des droits fondamentaux dans le pays.”