Pendant dix mois, le journaliste Jean Baptiste Renaud de «CASH INVESTIGATION » sur la chaine de télé française France 2 a enquêté sur des promesses non tenues de l’accord de Paris sur le climat.
Présent à la grand-messe des journalistes d’investigation du 7 au 9 novembre 2016 à Johannesburg en Afrique du Sud, Jean Baptiste Renaud, transfuge de CANAL +, il livre dans un entretien sur la COP 22, les spécificités de CASH Investigation et les menaces que l’homme d’affaires Vincent Bolloré fait planer sur les journalistes.
Jean Baptiste, espériez-vous quelque progrès de la COP 22 sur le climat au Maroc?
Pas vraiment. Quand on regarde dans les détails l’accord qui a été signé il y a un an à Paris on se rend compte que l’objectif qui était de limiter le réchauffement de la planète à 2% d’ici la fin du siècle est raté. Quand on additionne les engagements de chaque Etat, on arrive non pas à 2 mais à 3% d’ici à la fin du siècle. A la COP 22, on dit qu’il faut passer maintenant aux actes mais techniquement le problème se trouve dans l’accord signé il y a un an.
Vous avez consacré un documentaire à la COP 21 sur le climat. Pourquoi ?
Ce qui intéressant dans cet accord, c’est qu’il n’est prévu aucune sanction. Si jamais un Etat ne respecte pas ses promesses de réduction de CO2, il n’y a aucune sanction. Donc, on se retrouve dans une situation où les Etats n’ont pas le pouvoir d’empêcher aux entreprises de moins polluer. Nous devons attendre des entreprises qu’elles-mêmes décident de moins polluer. On nous laisse donc face à face des multinationales qui doivent montrer qu’elles ont envie de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est une utopie. Les entreprises françaises comme Total ou Engie ont toujours dit qu’elles sont prêtes à prendre leur part dans la lutte contre le réchauffement climatique, qu’elles ne sont pas des climato septiques. Mais, quand on rentre dans le détail, elles ont encore plein de choses qui sont en désaccord avec ces paroles-là. Leurs paroles et leurs actes sont totalement déconnectés.
Qu’est-ce qui fait la particularité du magazine « CASH Investigation » ?
Le temps est le premier atout de CASH Investigation. Pour le climat, j’ai passé dix mois à enquêter. Clairement, ça coute de l’argent. Il faut payer mon salaire et celui des techniciens pendant plusieurs mois. C’est aussi le temps que France 2 nous laisse à l’antenne. Les documentaires font une centaine de minutes chacun. C’est énorme. C’est deux fois qu’un documentaire classique au format cinquante-deux minutes. Donc, la première recette, c’est le temps qu’on nous accorde en contrepartie d’un financement à la hauteur. Le service public français qui assure ce financement est actuellement le seul à pouvoir et à vouloir financer les investigations à la télévision. L’investigation coûte chère et peut vous apporter des problèmes. Pour résister aux pressions, aux coups de téléphone, aux menaces des entreprises, il faut être solide pour défendre ses journalistes. Le service public nous le permet.
Second atout. Quand on produit des documentaires de cent minutes, parce que c’est très long, c’est difficile pour un public de se concentrer. Partant de ce constat, on se dit comment faire pour que le public reste accrocher. Notre solution, c’est mettre de l’humour et de la dérision, de ne pas se prendre au sérieux même pour des sujets sérieux. Quand on interviewe le porte-parole d’une grande entreprise ou un politicien et que franchement personne ne croit à ce qu’il nous dit, on se dit puisque c’est risible, rions-en avec le téléspectateur qui en voyant cette image va aussi rire. On n’hésite pas à mettre de l’humour parce qu’on se dit que ça va faire passer l’info qu’on donne. Il y a beaucoup d’informations à CASH Investigation. On se livre de petites pauses d’humour pour souffler un peu.
Quelle est la plus-value qu’apporte Elise Lucet, présentatrice de l’émission?
Quand on a commencé CASH Investigation en 2010, Elise Lucet, alors présentatrice du journal télévisé, ne voulait plus faire des interviews sur les plateaux. Elle voulait interviewer sur le terrain des gens qui ne voudraient pas nous répondre. Cela a rejoint nos envies parce qu’avant qu’elle ne vienne nous aider, nous sommes des journalistes qui ne sont pas connus. Une entreprise ne vous laisse pas rentrer sur son site ou avoir accès à son Directeur général ou même à une conférence parce qu’on ne nous connait pas. Par contre, les gens hésitent à mettre dehors une personnalité connue. Elise Lucet n’a jamais été mise dehors parce qu’elle est connue et a des caméras autour d’elle. C’était notre calcul. On imaginait que cela allait marcher et ça marche. Après avoir travaillé sur l’enquête, on lui remet des questions et on lui demande de nous apporter des réponses qu’on ne pourrait pas obtenir.
En montrant le reporter entrain d’enquêter, c’est quoi l’objectif visé ?
Effectivement, l’une des caractéristiques de CASH Investigation, c’est justement qu’on voie le reporter entrain d’enquêter. On s’est dit que pour une longue enquête, il fallait permettre au téléspectateur de se rattacher à une figure fil rouge qu’on retrouve tout le temps. On s’est dit pourquoi on ne mettrait pas en images notre enquêteur. Cette technique a deux atouts. Le premier, c’est de dire qu’il est plus facile à un téléspectateur de se rattacher à quelqu’un qui enquête comme dans une série policière. Il vit les échecs et les réussites du reporter. Par exemple, sur l’enquête sur le climat, il y a un moment où je cours après un patron au canada et je me fais mal à la cheville. Cela montre que ce que fait le reporter n’est pas facile.
Le second atout, c’est de faire une sorte de transparence – la plus grande possible – avec le public. Partout dans le monde, les gens sont de plus en plus méfiants envers le métier de journaliste. Ils se demandent quels sont les intérêts des journalistes à faire par exemple des enquêtes. On essaie d’apporter une réponse en disant vous nous voyez enquêter, c’est comme cela qu’on enquête vraiment, il n y a pas lieu à penser à une manipulation à des fins politiques ou quoi que ce soit. C’est un peu pour désamorcer cela. Ce n’est pas tout à fait réussi mais on fait au moins une œuvre de transparence.
Avant France 2, vous travailliez pour la chaine Canal +, tombée entretemps dans l’escarcelle du Groupe Bolloré qui vient de trainer certains de vos collègues du magazine «Complément d’enquête » devant des tribunaux. Avez-vous déjà été menacé pour vos enquêtes ?
Personnellement, jamais. Ce qu’on fait déplait à des entreprises. En revanche, il y a très peu d’entreprises qui, comme celle de Vincent Bolloré, vont être assez procédurières et attaquer en justice tout ce qui sort. C’est la politique de Vincent Bolloré. Il n’aime pas qu’on enquête sur ce qu’il fait et nous le fait savoir. C’est un moyen de pression assez efficace. Il vous dit quoi que vous fassiez sur moi, vous serez poursuivis, que je gagne ou que je perde. La pression ne vient pas seulement après la diffusion d’un documentaire, elle peut venir aussi avant. Avec la situation financière dans laquelle la presse se trouve aujourd’hui, un procès fait peur à des rédacteurs en chef. Il faut prendre un avocat, se défendre et même si vous gagnez dans un an ou deux, vous auriez dépensé de l’argent et du temps.
Depuis que le groupe Bolloré a repris Canal +, la conséquence a été assez rapide. Il y avait une émission d’investigation à Canal + qui s’appelait « spéciale investigation » et qui a duré plus de dix ans. Et du jour au lendémain, il n’y avait plus d’émission d’investigation. Ça été justifié d’une manière honnête quoi que cynique par Vincent Bolloré lui-même en conseil d’administration en disant je ne veux pas que la chaine que je possède heurte les intérêts des partenaires commerciaux que j’ai aujourd’hui ou des partenaires commerciaux que j’aurai demain. Ce qui de son point de vue est tout à fait logique. Mais d’un point de vue de la démocratie et de la défense de la liberté de la presse, on se pose des questions.