Alors qu’il n’a pas effectué sa part de job en dépit des relances, un entrepreneur sollicite le dédommagement devant la justice en imputant le retard à l’Etat.
M. Goto Eloi avait l’air désemparé en sortant de la salle d’audience du Tribunal administratif de Yaoundé le 23 août 2022. Promoteur des Etablissement (Ets) BUD COC ESE, il consultait sans cesse une abondante documentation soigneusement rangée dans sa mallette en déambulant dans le palais de justice. En fait, le procureur venait de le secouer pendant les débats autour du procès qu’il a intenté contre le ministère de la Santé publique devant la juridiction. Il sollicite la condamnation de l’Etat du Cameroun à lui payer 41,2 millions de francs d’indemnisation représentant la réparation du préjudice qu’il dit avoir subi du fait de la résiliation d’un marché de 49 millions de francs remporté dans cette administration en octobre 2011. Pour le procureur «les faits ne sauraient tenir».
A travers son recours, M. Goto attaque en annulation la lettre du ministre de la Santé publique datée du 5 décembre 2013 l’informant de la résiliation du marché mentionné. Il explique que son entreprise avait gagné le marché évoqué portant sur la «collecte des donnée» dans les dix régions du pays. De manière précise, il était question de sillonner les différents centres de santé afin d’évaluer les dysfonctionnements des services sanitaires, observer l’accueil des patients, ausculter le plateau technique, analyser les insuffisances du matériel médical, faire une analyse critique de la situation grosso modo faire «un état des lieux» du système de santé. Le diagnostic devait être accompagné d’un rapport contenant «des protocoles types» pour l’amélioration du service. M. avoue qu’il n’a pas fait le job pour diverses raisons.
En effet, alors que le marché querellé a été attribué le 20 octobre 2011, précise M. Goto, «l’ordre de service», document administratif autorisant le démarrage des travaux, lui a été notifié deux mois plus tard, le 6 décembre. Deux jours après, le chef de service des marchés du ministère de la Santé a d’autorité constitué une équipe de 10 experts qu’il conduisait lui-même pour mener un travail parallèle à sa mission et avait mis le «traitement» de son équipe à la charge de son entreprise, bien que le marché litigieux ne l’ait pas prévu. Des dépenses que M. Goto dit avoir refusé d’assumer.
Soit le travail, soit la fête
De plus, poursuit M. Goto, conformément au contrat du marché résilié, le ministre de la Santé était censé prendre des mesures nécessaires pour lui faciliter la tâche, par exemple, en signant une «note de service» instruisant ses délégués régionaux de «libérer les sites» à examiner. Cela n’a pas été fait, affirme le plaignant.
En 2013, après une «mise en demeure» infructueuse invitant M. Goto à exécuter sa mission, le ministre de la Santé a résilié le marché. La même décision suspendait son entreprise de la soumission des marchés pour deux ans. Mais une médiation de l’Agence de régulation des marchés publics, a permis de lever la suspension.
«Qu’est-ce qui vous a empêché d’exécuter votre marché ?», interroge le procureur. M. Goto répond que c’est à cause du travail parallèle que le chef de service des marchés du ministère de la Santé de l’époque avait entamé suite à la signature de l’ordre de service. Ses explications n’ont pas convaincu le magistrat qui n’a pas hésité de le faire savoir. «Vous avez un ordre de service qui autorise les travaux et sous prétexte qu’on a mis une mission de 10 experts vous ne vous êtes pas exécuté, tance le procureur. Qu’est-ce qui vous dit que ces experts n’entraient pas dans votre champ de travail ?»
En réaction, M. Goto explique plutôt que la signature de l’ordre de service est intervenue avec un gros retard, mais aussi les sites à examiner n’ont pas été libérés. De plus, ajoute le plaignant, il a fallu faire pression au ministère de la Santé pour obtenir l’ordre de service qui d’ailleurs a été signé en décembre, en pleine «période des fêtes», ce qui compliquait davantage le démarrage des travaux. Cette réponse a irrité le procureur : «Donc en décembre le travail s’arrête au Cameroun ? Le retard pouvait être invoqué si l’Etat vous avait opposé les délais lors de la livraison du marché.»
Dans son réquisitoire, le procureur a suggéré au tribunal de débouter M. Goto en arguant que sa plainte n’est pas justifiée. «Les faits ne sauraient tenir. Soit vous faites les affaires, soit vous allez fêter. L’on peut pas vouloir s’enrichir sur le dos de l’Etat sans rien faire». Le tribunal a prévu rendre le verdict le 6 septembre, pendant les débats il a posé des questions au plaignant : «Le chef de service des marchés pouvait être sur le terrain pour autre chose. Il fallait quoi ? Qu’on vous ouvre grandement les portes? C’est pour cela que vous êtes resté assis chez-Vous ?»