Les messages des vœux ont allumé avant l’heure la mèche des hostilités, des points de rupture à l’élection présidentielle de 2025. Le requiem du consensus politique ?
Paul Biya laisse entendre qu’il sera en lice
« Je puis vous assurer que ma détermination à vous servir demeure intacte et se renforce au quotidien, face à l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés », a-t-il lancé vers la fin de son message. Il a l’habitude, dans un tel exercice, d'ouvrir ses propos avec le domaine politique. Si cette fois, il a inversé l’ordre des choses en commençant par la sécurité pour finir par avec la politique, il va sans dire qu’il y a comme une volonté de briguer un énième mandat successif depuis 1982, de voir s’imposer dans l’esprit de ses concitoyens à 11 mois de l’échéance, cet engagement. Dans cette dynamique, il a souligné que l’année 2025 qui commence, s'annonce pleine de défis. Et dans la foulée d’ajouter qu’il ne doute pas un seul instant qu'en restant uni et soudé avec le peuple, « nous saurons, ensemble, comme par le passé, transformer ces défis en opportunités. Et nous continuerons, ensemble, notre marche déterminée vers le progrès, dans la sécurité et la paix ». Il est donc question pour lui de continuer ensemble avec le peuple, la marche vers le progrès pour ne pas dire vers l’avenir. « Je suis particulièrement sensible au soutien massif que vous n'avez cessé de m'apporter toutes ces années. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais ménagé aucun effort pour répondre à vos aspirations. Votre confiance m'honore et me sert de boussole dans l'action que je mène à la tête de notre cher et beau pays », a proclamé Paul Biya avec emphase.
Si à la suite de son message, le clergé a dit toute sa déception et son incompréhension face à cette détermination d’ajouter 7 autres années pour atteindre 49 ans au pouvoir et ce du haut de ses 99 ans en 2032, le pouvoir semble prendre de haut les critiques qui fusent de toutes parts. « La chien aboie et la caravane passe », doit être de toute évidence l’état d’esprit qui anime le locataire d’Etoudi, qui affectionne particulièrement le silence devant l’adversité. Pour ceux qui sont avisés, ce qu’on attend de lui est la convocation du Corps électoral qui se fait 90 jours au moins avant le jour du scrutin (article 86, alinéa 2 du Code électoral.) En plus de l’élection présidentielle, Paul Biya a dit dans son discours que les régionales se tiendront en décembre 2025, créant une autre polémique car on ne comprend pas comment il y aurait élections régionales sans élections municipales. Pour le cas d’espèce, les élus de février 2020 vont par deux fois voter les élus du Conseil régional.
Les trois appels de Tomaïno Ndam Njoya à ses compatriotes
Ils portent sur les inscriptions en masse sur les listes électorales, la modification du Code électoral et l’appel à un sursaut d’orgueil patriotique pour sauver la République menacée. Le premier est une exhortation de tous les Camerounaises et Camerounais qui ont au moins 20 ans « de se ruer vers le Commissions chargée d’inscription sur les listes électorales qui ouvrent du 1er janvier au 31 août selon la loi ». Elle attire par ailleurs l’attention de ses concitoyens sur le fait que 2025 étant une année électorale, il faut s’inscrire au plus tôt car les inscriptions seront closes une fois le Corps électoral convoqué, certainement avant le mois d’août. « Tous les Camerounais en capacité de voter, avant la fin du mois de janvier, doivent se mobiliser pour s’enregistrer afin d’exercer leur droit de vote et choisir la personnalité qui va conduire les destinées du Cameroun pour les 7 ans à venir, comme la Constitution dispose » , recommande-t-elle avant de préciser qu’elle est consciente des difficultés qu’endurent des millions de Camerounais qui n’ont pas d’existence légale car ne possédant pas d’acte de naissance, sans possibilité d’avoir facilement la Carte nationale d’identité.
Le deuxième appel est d’attirer l’attention de tous les acteurs du processus électoral actuel en vue des élections justes, libres, transparentes, 12 années après l’adoption du Code électoral actuel par un seul parti politique, notamment le RDPC, le parti au pouvoir. « La classe politique la plus représentative aujourd’hui qui a été mise à l’écart, à laquelle se joint la Société civile, ensemble, offre ce consensus tant cherché en matière électorale », annonce-t-elle et d’ajouter qu’il faut être du bon côté. « En ma qualité de porte-parole de la Plateforme pour le Réforme du Code électoral, j’en appelle au président de la République, d’enlever sa casquette de président national du RDPC pour enfiler celle de chef d’État tel que prescrit par la Constitution, incarnant l’Unité nationale pour que notre Parlement examine à la session de mars 2025 prochain, ou à l’occasion d’une session extraordinaire, le Code Électoral », dit-elle in extenso. Par la suite, elle indique qu’au regard des mutations sociopolitiques et culturelles, il aurait fallu revoir la Constitution du Cameroun, pour un véritable sursaut du sentiment national ; pour une élection du président de la République à deux tours; pour un retour à la limitation du mandat présidentiel à 5 ans renouvelable une seule fois ; le nombre des députés à savoir 180 ne reflète plus la démographie en 2025 ; la majorité électorale à 18 ans, car au Cameroun les jeunes sont pénalement responsables à cet âge : pourquoi attendre 20 ans pour voter ?
« Nous avons du pain sur la planche parce que les signes aujourd’hui hélas sont au rouge », conclut-elle sur le sujet. Le troisième appel est de sauver la République menacée. Cet appel est lancé, confie-t-elle, aux compatriotes républicains, démocrates, citoyens patriotes pour « le Cameroun par nous tous et pour nous tous, pour le partage sur la base éthique de la richesse nationale en respect de la contribution de chacun et de tous, en respect du sentiment national, au détriment du tribalisme et replis identitaires. Leader de l’UDC appelle par ailleurs ses concitoyens à repenser et à réformer les institutions traditionnelles dans l’Afrique et le Cameroun modernes et républicains.
Maurice Kamto, déjà dans les starting-blocks
Dans sa sortie du 31 décembre, le leader du MRC a tenu à faire savoir qu’il est déjà sur la ligne de départ, qu’il n’attend plus que le signal pour se lancer. Ma candidature remplie toutes les conditions fixées par la Constitution et le Code électoral, et chacun devra en prendre acte, parce que telle est la loi. « Ma candidature remplie toutes les conditions fixées par la Constitution et le Code électoral, et chacun devra en prendre acte, parce que telle est la loi », annonce-t-il pour commencer. Il indique par la suite que l’élection présidentielle va opposer deux conceptions du Cameroun, lui qui a déjà annoncé sa candidature. Il y a d’une part, « une conception passéiste et tribaliste d’un pays figé dans l’inertie, fondée sur l’arbitraire et l’exercice de la terreur contre les citoyens, gangrénée par la corruption, héritière du pouvoir colonial et de ses pratiques, et au service d’une nébuleuse néocoloniale, effrayée par la modernité autant que par la diaspora camerounaise, dépourvue d’empathie et de compassion vis-à-vis des populations les vulnérables ou sinistrées, (…)les populations espéraient, en vain, la présence d’un président indifférent et irrémédiablement absent ».
De l’autre côté, il y a une conception d’un Cameroun moderne, humaniste, compassionnel et solidaire, à l’écoute du pays profond, y compris de sa diaspora et de ceux qui en sont venus à une révolte violente, profondément attaché à l’État de droit et la justice, ouverte à l’indispensable réforme de l’État pour mieux répondre aux aspirations de toutes les composantes de la nation, et portée par l’attention à la nécessité de s’enraciner dans nos cultures, de maîtriser les savoirs scientifiques et technologiques, de réaliser un progrès partagé, et attaché à la défense de la souveraineté de notre pays et de notre intérêt national, à la construction d’une Afrique unie, digne, respectée parce que puissante et maîtresse de son destin. « Une bonne élection, c’est d’abord une élection crédible, qui n’est possible que si les organismes en charge de l’organiser ou de l'arbitre sont eux-mêmes crédibles », assure le candidat du MRC et de l’APC, avant d’ajouter que Elecam a un rôle essentiel à jouer pour garantir des élections transparentes, justes, libres et apaisées au Cameroun.
Cabral Libii, le ras-le bol d’un candidat
Le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale décrit avec des mots durs, l’échec des 42 ans du régime actuel. Il déclare que le Cameroun de Paul Biya est une calamité. « Le rêve et l’espoir de 1982 se sont transformés, 43 ans après, en énorme cauchemar et déception. Il faut donc stopper tout de suite la tragédie », assène-t-il. Il poursuit en indiquant qu’on assiste au « chaos lent, au spectacle désolant des membres du même gouvernement, des militants du même parti politique qui s’opposent et s’affrontent à cause de leurs échecs qui ont plongé notre pays dans une situation de délabrement avancé ». Il en profite pour étaler des faits scandaleux que le régime d’après lui n’arrive plus à masquer. Il cite l’exemple de la construction des stades où selon lui, plus de 300 milliards ont été volés. Il y a le scandale dans la lutte contre le Covid avec plus de 1 000 milliards détournés ; le scandale dans la construction et l’entretien des routes avec toujours selon lui, plus de 3 000 milliards volés ; le scandale dans la vente de notre pétrole avec près de 800 milliards volatilisés ; le scandale dans l’aménagement urbain, il vaut mieux ne pas donner de chiffre, ça pourrait être honteux pour la dame qui en a la charge, assure-t-il ; le scandale au sommet de l’État où de forts soupçons de trafic en tout genre impliquent des proches collaborateurs et la famille même du chef de l’État, assène-t-il pour terminer sur la question des scandales.
« Le Cameroun que nous appelons notre beau pays ressemble désormais aux nombreuses poubelles qui jonchent les rues de nos villes. Tout est pourri et sent tellement mauvais que même les auteurs et acteurs de cette situation se tirent dessus : ministres, maires, directeurs généraux d’entreprises publiques, députés, chefs de délégations permanentes, présidents de sections et sous-sections, militants révoltés, chefs traditionnels et élites membres du parti au pouvoir, le chao s’est installé chez eux. Et ils veulent nous entraîner dans leur chute », prévient Cabral. « Notre pays est une calamité à cause d’une poignée d’individus qui bénéficient du décret du président Paul Biya et qui lui demandent 43 ans après comme président de la République, 63 ans après de service et 92 ans d’âge de se représenter alors qu’il n’arrive même plus véritablement à diriger le pays », frappe le patron du PCRN et d’ajouter qu’il sait que l’objectif à travers cet appel est de continuer de piller les caisses de l’État parce qu’ils disent eux-mêmes que le président est trop vieux, affaibli et totalement dépendant. Ils veulent continuer à faire des jeunes des esclaves et mendiants, et faire recoloniser notre pays. Pour finir, il indique que ces gens ont tellement volé qu’il n’y a plus de routes. Les accidents mortels se multiplient. Pas d’eau, pas d’électricité. La poubelle nous envahit. La maladie nous terrasse faute de moyens pour nous soigner. La famine progresse. Les enseignants sont clochardisés ; les écoles délabrées ; l’éducation des enfants hypothéquée ; la retraite des parents compromise. Le chômage, la misère et la pauvreté nous frappent. Bref, nous sommes au bord de l'abîme (…) ».
Les versets sataniques du clergé
Jamais l’éventualité de la candidature d’un candidat au Cameroun n’aura tant soulevé des vagues. Et ces vagues-là, hautes et fortes, viennent du sanctuaire de l'Église, du lieu saint et considéré des milieux politiques. Dire que la sortie groupée et véhémente de certains prélats de l’Église catholique qui est au Cameroun, fait mal, est un euphémisme. Au moment où la Conférence épiscopale nationale est réunie à Buea, l’opinion publique est tenue en haleine ce 7 janvier 2024 par le contenu qui sortira aux termes de leurs travaux. Les hommes de Dieu ont retrouvé la langue depuis le 31 décembre 2024, pour dire très haut ce qu’ils pensent et surtout contre la candidature du numéro un camerounais. Dans le trou d’air de cette sortie, l’opinion semble prendre du poil de la bête politique en pleine rupture de la situation habituelle depuis des décades. Il s’agit manifestement d’une affaire à suivre.