Lors des dernières élections sénatoriales, la liste du Social Democratic Front (SDF) dans la région de l’Adamaoua a été rejetée, pour « nombre insuffisant des déclarations de candidatures, absence de justificatifs de versement de cautionnement pour tous les candidats, absence du bulletin de casier judiciaire pour tous les candidats, défaut de certificat de domicile pour tous les candidats, exceptés les suppléants n°5 et 7, défaut d’attestation de non-redevance pour tous les candidats suppléants, à l’exception du n°7, absence de certificat de nationalité et d’extrait d’acte de naissance pour le candidat suppléant n°3 ».
Au-delà de la crise interne au parti dans cette région particulièrement, qui avait vu la mise à l’écart d’un certain nombre de personnalités de premier rang tels les anciens sénateurs Aboubakar Siroma et Haoua Madeleine, ces motifs trahissent aisément la difficulté qu’a eue le parti de Ni John Fru Ndi à constituer une liste de sept candidats titulaires et sept suppléants dans la région de l’Adamaoua. Ce dans un contexte de lutte pour le contrôle du parti dont Ni John Fru Ndi s’apprêtait à laisser le gouvernail.
Le SDF n’aura donc pas de sénateurs dans l’Adamaoua, encore moins des députés pour la législature en cours. Jusqu’ici, l’Adamaoua est pourtant resté la seule région du Septentrion où le Parti de la balance a déjà pu obtenir des élus au Parlement. Et même, en 2013, le succès du SDF sur l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) de Bello Bouba Maïgari, est le fruit d’un jeu jamais élucidé. Un dribble du Comité central contre ses propres joueurs. D’autant plus que le parti ne disposait pas d’électeur, à l’opposé de son concurrent qui pouvait gager d’un coude-à-coude avec le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir.
Mais contre toute attente, le parti au pouvoir dont la liste avait été rejetée, accorda sa préférence au SDF et donna des consignes pour un vote de ses conseillers municipaux en faveur de l’opposition. Ignorant ainsi son allié gouvernemental, l’UNDP.
Mais malgré cette fondation pour le moins gracieuse, le SDF ne parviendra pas en cinq années passées au Sénat pour le compte de l’Adamaoua, à s’enraciner solidement et durablement dans la région Château d’eau du Cameroun. Dix ans après, le parti a retrouvé sa position d’antan. Sans aucune assise dans la région, et même dans tout le Grand-Nord. L’héritier politique de John Fru Ndi qu’est Joshua Osih, se montre intéressé par la partie septentrionale du pays que son mentor a abandonné aux autres formations politiques.
En renouvelant les organes dirigeants du parti à la base, le SDF a fait des clins d’œil au Nord du pays, et particulièrement à l’Extrême-Nord. Et lors de l’installation de Mahamat Boukar comme nouveau président régional du parti pour l’Extrême-Nord en mars 2023, le premier vice-président du SDF avait indiqué que, « il n'y a pas de régions plus importantes que d'autres, mais l'Extrême-Nord a toujours été au centre de nos préoccupations ». Mieux, « nous ambitionnons d’être fortement représentatifs dans l'Extrême-Nord où nous avons de vaillants militants sur qui nous pouvons compter », confiait-il.
Sauf que le SDF se fait rare dans ce bastion du parti au pouvoir. Pour autant, il semble que le candidat du SDF à la présidentielle 2018 tient à phagocyter une place dans la région « fille ainée » du Renouveau. Après la campagne électorale de 2018, Joshua Osih est revenu à Maroua et janvier 2022, en tant que président de la commission régionale de renouvellement des structures du parti.
Avant de retourner en mars 2023 pour installer le bureau élu. Rien à dire pour ce qui est de la région du Nord où le FSNC d’Issa Tchiroma est le seul parti à avoir réussi à contester le leadership du RDPC et de l’UNDP. Jusqu’ici, en 33 ans de leadership teinté d’un charisme dépassant les frontières de son seul parti, Ni John Fru Ndi n’a jamais pu s’installer dans le Nord du pays.
L’homme du 26 mai 1990 n’a même pas vraiment osé un partage du gâteau du fief de l’ancien président Ahmadou Ahidjo. Laissant prospérer une logique jamais élucidée, mais qui participe d’un découpage sociologique du territoire en fonction des origines du leader.
C’est que, en dehors du RDPC, parti au pouvoir qui use de grands moyens pour s’imposer dans tous les coins et recoins du territoire, chaque parti s’est taillé un fief qui se confond avec le « village » de son fondateur ou premier dirigeant, avec une possible extension dans des localités voisines. Ainsi, si l’UPC est restée cloitrée en pays Bassa, dans les départements de la Sanaga maritime et du Nyong-et-Kelle, l’UNPD et le FSNC sont maîtres en seconds du septentrion, et notamment du Nord et de l’Extrême-Nord, avec quelques petits bastions dans l’Est du pays.
Le SDF s’est contenté du Nord-Ouest, et dans une certaine mesure du Sud-Ouest, de l’Ouest et du Littoral. Mais la crise séparatiste qui sévit dans les deux régions anglo-saxonnes du pays a grandement fragilisé le SDF au point où l’ancien parti leader de l’opposition, se contente désormais d’un seul sénateur (nommé par le président de la République), et à peine cinq députés, contre 43 en 1997. La reconquête de l’électorat s’annonce rude, tant les observateurs s’accordent à prescrire au SDF de sortir de son cocon de fief naturel où « l'émergence de nouveaux acteurs sur le terrain politique, notamment le MRC, est venu largement démobiliser la base du SDF » au cas où la crise séparatiste se terminait.
Sauf qu’au moment où le parti qui vient de perdre son leader naturel, est déchiré par une guerre de succession, il faudra batailler dur pour grappiller quelques portions de pouvoir ailleurs. Le septentrion constitue près du tiers du corps électoral.