Devant les actionnaires du groupe Canal+, qu’il dirige, Vincent Bolloré a accusé l’émission Complément d’enquête, de France 2, d’avoir fabriqué de faux témoignages d’employés d’une plantation de palmiers dont il est actionnaire, au Cameroun. Les journalistes de France 2 y avaient notamment filmé des employés affirmant avoir 14 et 16 ans. France 2 réfute catégoriquement, et envisage de publier d’autres témoignages de mineurs filmés sur place.
Des 70 minutes d’enquête de France 2, Vincent Bolloré a retenu quatre-vingt secondes. Le 3 juin, lors de l’assemblée des actionnaires du groupe Bolloré, l’industriel s’est lancé dans une digression inattendue : il a pris le temps de répondre personnellement à un numéro de Complément d’enquêteque France 2 lui avait été consacré début avril.
Le documentaire, réalisé par Tristan Waleckx et Mathieu Rénier, revenait sur ses méthodes de management singulières : l’activation de réseaux politiques pour remporter des appels d’offre, les licenciements et intimidations pour mettre au pas les têtes qui dépassent chez Canal+, mais également la grande discrétion qu’il observe concernant ses activités sur le continent africain.
“Je ne sais pas si vous avez vu Complément d’enquête. (…) Ils ont mis six mois, sur le service public [à réaliser l’enquête]. Le moment le plus important, celui qui fait pleurer [dans] les chaumières, [c’est quand] on voit un type sur un tracteur : il a un gant troué, et il dit «Vous voyez, ça, Monsieur Bolloré il veut pas me donner le gant». (…) Le commentateur dit «Ils font travailler des enfants», ou un truc comme ça“. Or, selon l’industriel, les témoignages de deux employés de la plantation, qui disent à la caméra de France 2 avoir respectivement 14 et 16 ans, sont des témoignages mensongers obtenus par les journalistes de France 2 moyennant quelques billets. “Le jeune homme qui avait soi-disant 14 ans en a 20. Et il a été payé pour dire qu’il avait 14 ans !” tempête Bolloré :
Dans une plantation de la Socapalm, au Cameroun, un employé indique avoir 16 ans. Un second, prénommé Caporal, est présenté par l’un de ses collègues comme ayant 14 ans. Interrogé sur l’origine de son matériel de protection, il indique : “C’est moi qui [l’]ai acheté” (version un peu moins “exotique” que celle rapportée par l’industriel : “Vous voyez, ça, Monsieur Bolloré il veut pas me donner le gant“).
France 2 a-t-elle payé de faux témoignages pour faire croire que Bolloré fait indirectement (il n’est qu’actionnaire de la Socapalm, à travers une holding luxembourgeoise) travailler des enfants ? “Évidemment, nous n’avons payé absolument personne, indique à @si Tristan Waleckx, l’un des auteurs du documentaire. Nous avons recoupé l’information concernant les enfants. Nous avons des témoignages de nombreux autres enfants, et nous avons également filmé l’embauche, le matin, où nous avons pu constater que personne ne vérifie l’âge des employés qui se présentent.” Bref, les équipes deComplément d’enquête sont “parfaitement sereines“, et pourraient répondre à l’industriel en diffusant une partie de ces images lors du prochain numéro de l’émission.
Comment expliquer alors l’existence, selon Bolloré, d’un constat d’huissier affirmant que l’employé filmé avait vingt ans ? Pour un syndicaliste paysan interrogé par Le Canard enchaîné (dans son édition de ce 8 juin), ce serait, au contraire… les équipes de Bolloré qui auraient produit un faux témoignage, en “obligeant” un enfant à se déclarer majeur. “Les 10 et 18 mai, un huissier local envoyé par les associés de Bolloré, accompagné de deux cameramans et d’un cadre de la Socapalm, ont refait le parcours des reporteurs français et interrogé de nouveau les témoins”, rapporte le Canard, avant de citer le syndicaliste : “Le premier, de 14 ans, ils l’ont habillé, ils lui ont mis des gants et ils l’ont obligé à dire qu’il avait 20 ans. Le second, il devait dire qu’il avait 18 ans, mais, cette fois, la famille était avertie, et elle a refusé“.