S’il y a un trait de caractère de plus en plus visible dans le comportement des Camerounais au quotidien, c’est bien ce désir fou de se servir à défaut de se faire servir avant tout le monde, en violant au besoin les règles établies.
S’il y a un endroit le mieux indiqué pour lire à ciel ouvert la conduite d’un peuple, le lieu par excellence est la route. Cet espace public est le théâtre d’un usage partagé selon les règlements et les exigences du Code Rousseau. A bien y regarder, très peu d’usagers respectent scrupuleusement les règles convenues, tous étant empressés de se donner la priorité, de passer avant les autres. En attente du taxi par exemple, il est courant de voir les usagers quitter le trottoir pour se déverser sur la chaussée, les uns et les autres piqués par la fièvre de trouver au plus vite un taxi comme si une concurrence existait entre les passagers. En ce qui concerne le respect des feux tricolores, des panneaux de signalisation ou de priorités, tout est mis sens dessus-dessous, au nom de la forte volonté des uns et des autres d’user du droit de priorité personnel et égoïste, exclusivement sur les autres usagers. La conduite, de ce fait sur nos routes, surtout dans les métropoles, est une véritable gageure. C’est à l’heure des embouteillages qu’on apprécie dans toute sa superbe, la propension des Camerounais à fouler aux pieds les règles qui encadrent l’usage partagé de la route. La conséquence immédiate est la formation des bouchons montres, la circulation entravée par les empressements de toutes sortes.
Devant ce tableau inextricable, il n’est pas rare de voir des simples citoyens faire la police routière. En dehors de la route, dans les services publics, la situation n’est guère différente. Alors que tout le monde se met par exemple en rang pour passer à la caisse, à la banque ou ailleurs, il ne va pas tarder qu’au bout de quelques instants, comme par enchantement, il se forme devant la même caisse et dans le même service deux ou trois autres rangs, les uns et les autres supportant difficilement la discipline de se mettre en rang. Le carnage qui est arrivé au stade d’Olembe au cours de la Can Total Energies aux mois de janvier et de février de cette année, devrait nous rappeler à défaut de notre allergie de respecter la loi, notre propension à la violer. Il est même arrivé que dans les hôpitaux, on observe cette appétence de violer les règles pour fluidifier le service. Avec un tel esprit qui anime les Camerounais au quotidien, comment s’étonner dès lors qu’une frange importante de ceux qui occupent des postes de responsabilité se complaisent dans les détournements, les concussions et autres ?
Avis de catastrophe ?
La controverse suscitée par le contrat minier entre l’Etat du Cameroun et Sinosteel n’est pas encore tombée que les contrats pétroliers avec Glencore animent déjà toutes les chaumières. Il y a lieu d’avouer que nous avons tant et si bien fait dans cette dérive, que les enfants ont pris la relève à l’école. La violence ambiante constatée dans les établissements scolaires ces derniers temps, ne serait que le fruit de l’empressement national à se servir d’abord, prioritairement et généralement contre l’intérêt de tous. Si un élève vient à l’école avec un poignard, une dague, et s’en sert contre son professeur ou contre son camarade de classe, c’est bien entendu premièrement parce qu’il a compris comment la société fonctionne. Il compte déjà sur quelqu’un autour dans sa famille, qui a des gros bras pour tordre la loi, sans que nul ne trouve à redire. Depuis qu’un élève a poignardé à mort un enseignant de mathématiques à Nkolbisson à Yaoundé, qu’un autre a poignardé à mort son camarade de classe à Douala, qu’un autre a failli emporter la vie de son principal toujours à Yaoundé à l’aide d’un couteau, quelles mesures spéciales et draconiennes ont été prises pour mettre un terme à la saignée ?
Ne sommes-nous pas retournés à l’état de nature où la loi appartient aux plus forts ? Si dans notre société d’aujourd’hui, tous les jeunes veulent aller à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) en passant par des réseaux mafieux le plus souvent ; si tout le monde veut être premier sans travailler consé- quemment ; si tout le monde veut être riche tout en étant oisif ; si tout le monde veut atteindre ses objectifs par tous les moyens et à tous les prix, que nous reste-t-il dès lors de notre volonté commune de construire un Etat solide et prospère ? Que le Cameroun le veuille ou pas, chaque jour, avec l’addition de ces fautes et de ces signaux qui passent comme inaperçus, nous sommes tous en train de nourrir un anaconda dans la poubelle de nos errements. Et c’est dès lors le lieu de dire, sans céder aucunement au catastrophisme, que le pire est à venir si rien n’est fait aujourd’hui.