Actualités of Wednesday, 27 July 2022

Source: Kalara

Cameroun : Des cadres du Minfi cités dans un scandale de missions fictives

Ministère  des Finances Ministère des Finances

L’ancien chef de service des dépenses communes a décrit devant le TCS le rôle crucial que le proche collaborateur du chef de l’Etat, Felix Antoine Samba, Edou Alo’o, et les SG : Urbain Noël Ebang Mve, Alain Didier Edoa auraient joué dans la survenance d’un gros détournement.


Le directeur général du Budget (DGB), Cyrille Edou Alo’o et son prédécesseur immédiat, Antoine Félix Samba, le ministre Paul Elung Che, ont-ils couvert sinon entretenu un réseau de faux ordres de missions au ministère des Finances entre 2017 et 2019 ? C’est en tout cas ce que leur ancien proche collaborateur, Vincent de Paul Bertrand Awono Eloundou, laisse entendre devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Ancien chef service des dépenses communes (SDC) au Minfi, il est mis en jugement pour s’expliquer dans deux affaires de détournement au sujet de supposées irrégularités enregistrées ou orchestrées durant son séjour au Minfi.

Le 15 juillet dernier, M. Awono Eloundou s’est en effet défendu dans l’une des deux procédures, notamment le scandale des faux ordres de missions à la cellule du contentieux de la division des affaires juridiques (DAJ) du Minfi. Il avait été découvert, selon l’accusation, que le personnel de ce service se servait indûment dans la caisse de l’Etat au moyen de missions dites fictives.

Interrogé par son avocate, Me Josiane Kouamou, l’accusé a clamé son innocence en pointant le rôle qu’aurait joué sa haute hiérarchie dans la survenance du scandale. Il a planté le décor en décrivant de manière exhaustive les multiples missions dévolues au SDC. On retient de manière globale que c’est dans ce service que sont traités tous les dossiers liées aux dépenses de l’Etat : achat de véhicules ou d’immeubles, aide publique à la presse, subventions de l’Etat, frais de souveraineté des ministres, virements de crédits, règlement de la dette, paiement des frais de missions, entre autres. De plus, les dossiers traités dans ledit service provenaient tant de la présidence de la République, du Parlement, du pouvoir judiciaire, que toutes les administrations, y compris des ambassades et consulats du Cameroun.

Directives

Les dossiers évoqués, précise l’accusé, sont acheminés auprès du DG du Budget par les administrations. Toutefois, il peut arriver que le chef d’une administration l’introduise directement soit au niveau du ministre des Finances ou son délégué, soit au niveau du secrétaire général (SG) du Minfi. Dans tous les cas, déclare l’accusé, ces dossiers, quelle que soit leur origine, atterrissaient, sans exception, dans son service au moyen d’un bordereau confectionné par le DG du Budget lui-même. Bordereau sur lequel le DGB mentionnait systématiquement la conduite à tenir à travers les initiales : «SDC/ok» ou «SDC/accord pour traitement». C’est de cette façon que même les dossiers des ordres des missions à problèmes sont arrivés dans son service.

«Tous les dossiers transmis dans votre service étaient-ils traités impérativement ?», interroge l’avocate. M. Awono Eloundou répond par la négative en expliquant qu’il arrivait parfois que les dossiers reçus du DG du Budget ne fassent pas l’objet d’un examen. «Cela dépendait, détaille-t-il, des orientations ou les suites réservées ou liées aux mentions annotées sur le support du dossier : SDC/classé, SDC/me voir, SDC/accord pour nombre de jours inférieurs au nombre de jours sollicités par l’administration.» Dans ces cas spécifiques, renseigne l’accusé, il lui était demandé d’envoyer une réponse («soit transmis») à l’administration d’où émane le dossier.

Me Kouamou va rappeler à son client que lorsque le scandale éclate, une mission de contrôle conduite par l’inspecteur général des affaires administratives du Minfi avait été déployée sur le terrain. Ladite mission soutient dans son rapport que c’est «M. Awono Eloundou [qui] a procédé aux engagements des ordres de missions signées par Mme Ngono Solange sans lettre de mission et de tout autre accord écrit venant de [sa] hiérarchie, précisément le DGB». Mme Ngono Solange, enseignante d’université, fait partie des accusés. Elle assurait les fonctions de chef de la cellule du contentieux de la DAJ du Minfi au moment des faits.

En réaction, M. Awono va crier à l’acharnement en faisant observer que tous les bordereaux de transmissions des dossiers querellées parvenus à son service non seulement «étaient revêtus des annotations» du DG Budget déjà signalés, mais aussi celles du ministre délégué aux Finances de l’époque, M. Paul Elung Che (aujourd’hui SG adjoint à la présidence de la République), des SG successifs du Minfi au moment des faits «pour engagement, suite de la procédure, prise en charge». Il s’agit ici de Urbain Noël Ebang Mve et de Alain Didier Edoa.

Décompte

Concernant la composition des dossiers en cause, il indique que ces ordres de mission étaient accompagnés des lettres de missions dont les informations étaient renseignées «au recto» par le bénéficiaire lui-même, et «au verso par l’initiateur de la mission», mais tous les cosignaient. Ces documents étaient accompagnés, dit-il, d’un bordereau récapitulatif des «missionnaires» assortis des observations de la hiérarchie. A ces pièces sont jointes les photocopies des pièces d’identité et du bulletin de solde du «missionnaire». Il a appuyé son argumentaire en présentant au tribunal quelques exemplaires d’ordres de missions litigieux comportant pas mal de noms de ses coaccusés, la plupart en service à la DAJ.

Plus loin, M. Awono Eloundou précise qu’au «verso [de l’ordre de mission] il était arrêté le décompte liquidé calculé au montant chiffré net à 100% par les services compétents du Minfi notamment la sous-direction des affaires communes et la direction des ressources humaines ainsi que le bureau du budget et du matériel» de la DGB. L’accusé n’a cessé de répéter que ni l’initiative de la mission, ni le calcul du montant de celle-ci, ni le paiement ne s’opéraient à son niveau.

Lorsque l’avocate a demandé à son client s’il avait la possibilité ou la compétence d’apprécier la provenance ou la finalité des dépenses, M. Awono a répondu par la négative, relevant qu’il ne disposait pas d’un fichier des chefs d’administration. Il a fait sienne une déclaration faite lors des enquêtes par l’ancien DG du Budget M. Samba: «Il ne me revenait pas d’aller le vérifier puisque cela reviendrait à vérifier la qualité de tous les responsables de la République de qui nous recevons tous les ordres de missions». L’interrogatoire de M. Awono par son conseil se poursuit ce 20 juillet.