Actualités of Thursday, 3 March 2016

Source: Jeune Afrique

Cameroun : Francs-maçons et francs-patrons

Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration

Bien que nombre de chefs d’État francophones s’y côtoient, les Loges africaines apparaissent toujours comme un lieu de pouvoir occulte et semblent impuissantes à désamorcer les conflits qui déchirent le continent. Zoom sur le Cameroun, qui a accueilli l’édition 2016 des Rehfram.

« Le grand maître ! » annonce une voix avec autorité. La trentaine de personnes rassemblées se lève dans la pièce sans fenêtres et dont les murs sont peints de symboles maçonniques. La grande porte du temple de la Loge numéro 1 s’ouvre. Entrent alors plusieurs hommes arborant des cordons bleu azur, le collège des grands officiers, suivis d’un autre de taille moyenne, la soixantaine rondouillarde. C’est le patron de la Grande Loge unie du Cameroun (Gluc), affiliée au Grand Orient de France.

Jusqu’à sa retraite, en 2012, Jérémie Sollè, médecin biologiste, était le directeur général de l’hôpital Laquintinie, le plus important de Douala. Ce 1er février, à Douala, il est le principal officiant des Rehfram, qui se tiennent chaque année dans une grande ville africaine différente. Lors de cette édition, les maçons du continent ont été exhortés à agir davantage et à se prononcer sur les grands problèmes de l’Afrique, « ce continent secoué par des crises ». Particulièrement visés, les maçons camerounais – si peu entreprenants -, les Gabonais et les Congolais.

Quel impact sur la société ?

Certes, en mars 2013, Pierre Moukoko Mbonjo, alors ministre des Relations extérieures et grand dignitaire maçon, a œuvré à l’accueil à Yaoundé de François Bozizé, ex-président centrafricain chassé par les milices de la Séléka. Mais le cas du frère Bozizé a suscité de vifs échanges sous les colonnes, certains lui reprochant d’avoir délibérément refusé d’appliquer les termes de l’accord de sortie de crise signé à Libreville le 11 janvier 2013. La diplomatie des maçons « a parfois joué un rôle, permis d’atténuer la violence des conflits, mais je doute que les Loges parviennent vraiment à avoir un impact sur les conflits du continent », tempère Gérard Wolber.

Cet avocat français de 68 ans vit à Douala depuis trente-sept ans. Ex-député grand maître (numéro deux) de la Gluc, il a cessé de fréquenter les temples parce que les valeurs fondamentales maçonnes n’y étaient, selon lui, plus strictement observées. « Je m’interroge même sur le réel impact des frères sur la société. Les maçons aiment se doter de pouvoirs et d’une réputation qu’ils ne méritent pas forcément… »

La Gluc et la Grande Loge nationale du Cameroun ne comptent « que » 1 000 adhérents – dont 800 à Douala

On ne peut pas dire que le Cameroun soit une terre de ferveur maçonne. La Gluc et la Grande Loge nationale du Cameroun ne comptent « que » 1 000 adhérents – dont 800 à Douala -, répartis dans douze Loges. Alors qu’au Gabon, la majorité des francs-maçons sont des hauts fonctionnaires ou des hommes politiques, la plupart des frères camerounais sont issus de professions libérales et du monde des affaires. Même si la patente – le pouvoir de constituer une Loge ou une obédience – a été longtemps détenue par l’ex-chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Paul Yakana, disparu en 2007. Son nom a d’ailleurs été donné au temple de la Loge numéro 11 de Yaoundé.

Biya, « frère de lumière » ?

Le chef de l’État, Paul Biya, serait « frère de lumière » selon de nombreuses sources, qui sont toutefois incapables de confirmer s’il s’est un jour rendu dans un temple. Dans le gouvernement, quelques triponctués ont bien été identifiés. Grégoire Owona, le ministre du Travail, est passé sous le bandeau, même s’il n’a plus mis les pieds à une cérémonie depuis une bonne décennie. Nommé en octobre 2015 ministre des Enseignements secondaires, Jean Ernest Ngallé Bibehe est aussi un frère… mais est issu du secteur privé.

Autre particularité camerounaise : la maçonnerie recrute peu et est constituée à 50 % de Doualas et à 40 % de Bassas. La présence des Bamilékés et des ressortissants du Grand Nord, qu’ils soient musulmans ou animistes, est donc anecdotique.