Cameroun : La drogue gagne l’école du village :: CAMEROONDéviances. Substances dures et douces, feuilles, sachets et poudres sont à la portée des enfants, jadis réputés plus en sécurité par rapport à leurs camarades de la ville. Le 2 décembre 2015, quinze élèves du lycée bilingue de Santchou, dans la Menoua, ont écopé d’exclusions temporaires de six à dix jours, au cours d’une session du conseil de discipline. Le maximum prévu par la nouvelle nomenclature des sanctions édictées récemment par le ministère des Enseignements secondaires.
Tous âgés entre 12 et 19 ans et issus des classes de 4ème, Form 4, 2nde et 1ère, ils avaient été traduits au conseil pour pratique des jeux de hasard. Seulement, au cours de l’instruction, les surveillants généraux se sont rendus compte que cette activité délictueuse, qui se déroule aux heures de cours dans les plantations environnantes, était doublée d’autres pratiques plus dangereuses et même pernicieuses.
Francis Sama, le jeune parent qui a surpris certains d’entre eux dans les caféiers et les a conduits au lycée, témoigne qu’il a trouvé autour des sites où ils jouaient aux cartes, au dé et à la « tisse », des sachets de whisky, du tabac séché, des cigarettes et des mégots. Des odeurs fortes s’exhalaient des lieux. Dans les poches, certains portaient des lames de rasoir ou des allumettes. Ils n’ont pas hésité à user de la violence pour se tirer d’affaire.
Les camarades de pari de son fils lui ont brisé un pouce. Dans ce lycée sans barrière qui accueille chaque jour plus de 2000 élèves, on a dû solliciter des patrouilles de la gendarmerie pour démanteler des sites de jeu. Installés dans des maisons en construction ou abandonnées, dans des vides découverts au milieu des plantations de café, des gaillards se sont fait coudre des tenues de l’établissement ou des collèges privés situés aux alentours, alors qu’ils ne sont élèves nulle part. Lorsque le commandant de brigade en a attrapé, il s’est rendu compte que certains portaient des rastas et des locks, alors que tous les élèves, y compris les filles sont coiffés à ras.
Au mois de juin dernier, l’on a découvert dans une maison abandonnée à l’entrée du lycée, des tiges de cannabis. Le parent qui les a détruits travaillait à côté et explique avoir été frappé par une odeur singulière, à côté des habitations. Il s’est approché de la maison, où des branches vertes avaient poussé au point de déborder la hauteur des murs inachevés.
A 10m de cette maison en construction depuis plusieurs années, se trouve un espace réservé à la consommation des beignets. La tenancière a juré ne rien savoir. Pourtant, des responsables du lycée attestent que certains élèves qui s’y rendaient au prétexte de manger revenaient dans un état débridé. Ils s’y infiltraient pour fumer des branches séchées sur place et emportaient parfois de petites quantités pour
la consommation domestique.
Difficile d’imaginer qu’ils l’ont fait pendant des mois sans que personne, y compris le planteur des herbes, ne s’en rende compte.
Addiction
A l’âge qu’ils ont, certains enfants sont déjà des accrocs du jeu et de la drogue. Des réseaux se sont constitués. Séraphin E., un parent, est formel. « Ces gars ont la magie pour attirer les enfants. Quand ils passent devant ma maison, quelque soit ce que je dis à mon fils, il fait des efforts pour les retrouver ». Il promet de consulter un bon marabout pour exorciser son enfant, ce d’autant que ce dernier semble regretter ce qui lui arrive. « Quand l’un d’eux m’appelle, je n’arrive pas à me retenir. Quand ils traversent devant notre porte, je les suis seulement », témoigne le garçon de 14 ans. Que se passe-t-il après ?
Le garçon a refusé de le dire. Mais il joue, dit-il, sans jamais gagner, depuis quatre années. Pour des mises à 50 ou 100F le tour, il lui arrive de laisser 1000F dans les paris par jour. De l’argent qu’il gagne en travaillant dans les plantations ou qu’il soutire à ses parents. Quand il revient à domicile, il se gausse des reproches de ses parents. Non loin de là, au lycée bilingue de Fombap, un cadre plus rural, le proviseur reconnaît avoir lancé une opération de lutte contre le tabagisme et la drogue.
Des enfants apparentés à ceux dont il a été question plus haut préfèrent les champs de café à l’entour pour fumer plutôt que les salles de classe. « Je serai le leader des joueurs de jambo de cette ville dans cinq ans », a projeté en notre présence un élève de Form 1, l’équivalent de la 6ème en section anglophone, à ses camarades du collège privé anglophone Montessori qu’il initiait à la cigarette.
Dans des villages plus reculés, le phénomène est également ressenti. La circulation de la drogue serait facile, en raison de la proximité des lieux de production. Les jeunes rapatriés de la ville y sontils pour quelque chose ?
Au cours du second trimestre de l’année scolaire 2013-2014, la ville de Bafoussam avait été agitée par des « scandales moraux » au sein de quelques établissements scolaires parmi les plus réputés : le lycée bilingue et le lycée classique, le lycée technique de Banengo et un collège privé bien en vue, le Complexe polyvalent bilingue Tama. Plus de 60 élèves avaient été exclus pour consommation de cannabis et autres stupéfiants.
Douze élèves du lycée classique de Bafoussam avaient été surpris en pleines partouzes, sous l’effet de la drogue et de l’alcool. Et leur exploitation avait permis de retrouver les ramifications du phénomène. A la même époque, une jeune élève du lycée de Ndiangdam avait frappé l’attention.
Le 30 janvier 2014, cette élève de 5ème avait été exclue à l’issue d’un conseil de discipline mémorable. « Elle venait à l’école tous les jours saoûle», rappelle sous anonymat un responsable de l’établissement. « Un jour, elle est tombée dans un coma éthylique et a créé une panique générale au lycée ». L’enquête démontrera que cette fillette, 13 ans, était abonnée d’une marque de whisky en sachet, qu’elle consommait à profusion chaque matin avant de prendre la route de l’école. Plus intéressant, « elle avait réussi à former une bande d’élèves âgés de 10 à 12 ans.
Cette bande s’adonnait aux actes de pornographie, parfois homosexuels dans les maisons abandonnées ou en construction », ajoute l’informateur pour qui « il fallait extirper ce type d’élève pour sauver des milliers d’autres ». Le cas avait conduit à une action judiciaire.Surtout qu’un élève de 2nde, sous le contrôle de la drogue, avait par la suite assassiné son camarade de classe.
Conscientisation
La crainte des élèves qui se droguent est telle que désormais à Bafoussam, peu d’établissements privés acceptent de reprendre des apprenants chassés des lycées pour ce motif. Des principaux nous ont confié disposer de listes noires de potentiels élèves indésirables.
En février 2014, le commissaire du 2ème arrondissement de la ville de Dschang, Nnane Sone Moses, avait frappé les consciences par les causeries éducatives initiées dans le cadre de sa conception de « la police de proximité ».
Entre ses visites aux opérateurs économiques, personnalités politiques et religieuses, il avait trouvé le temps pour rencontrer les chefs traditionnels et les responsables des établissements scolaires du secteur que couvre son commissariat. « Nous avons été motivés par la recrudescence de la criminalité dans la ville de Dschang en général et singulièrement dans le secteur de notre commissariat qui tire la part du lion de par sa densité et ses ilôts criminogènes.
Existence des mini-cités, du marché, de la gare routière, d’ "une rue de la joie ‘’, etc. » avait expliqué le flic-en-chef, pour introduire ses propos sur la délinquance juvénile. Pour lui, « la délinquance juvénile doit être distinguée de celle des adultes dans la mesure où le jeune délinquant est une personnalité en formation et en cours de socialisation, alors que le délinquant adulte possède une personnalité déjà affirmée ».
On avait surtout retenu que chez les mineurs, « l'aspect éducatif est extrêmement important », parce que les mineurs délinquants manquent parfois de repères pour distinguer le bien et le mal. « Ils sont influençables et vulnérables. Ils doivent être protégés, contre d'autres personnes influençables ou contre eux mêmes ». A côté du vol à la maison, du « pick pocket », de l'insolence ou du manque de respect envers les adultes, les archives du commissariat évoquent les jeux de hasard comme les dés [identifiables entre le lycée technique de Dschang et la résidence de l’ancien recteur à Foréké],le jeu des cartes dans les salles de classe, le vol et la revente des manuels scolaires, le viol et l’agression des jeunes camer.be filles à la sortie des classes [entre le lycée bilingue et l'ancien collège La Fontaine], la multiplication des débits de boisson à proximité des établissements scolaires, mais surtout la consommation des drogues et cigarettes et même la détention de celles-ci dans les salles de classe. Le port des armes blanches telles que la lame de rasoir, les couteaux, ciseaux, tessons de bouteilles, etc, favorisent la violence chez les éléments interpellés par les policiers.
Avant qu’on ne démantèle un gang de collégiens rôdé dans l’enlèvement des enfants, son collaborateur avait établi une correlation entre la consommation des drogues et ces « rois de la route » qui roulent à tombeau ouvert sur des motos sans permis de conduire, la fréquentation des salles de jeux et la criminalité organisée. « Les enfants, dont la tranche d'âge va généralement de 12 à 20 ans, sont dans les réseaux de drogue, où ils sont régulièrement victimes d'actes de pédophilie. Bon nombre de cas de rapts d'enfants sont commis dans le but d'assouvir des pulsions sexuelles ou mystiques...
Nos enfants sont trop jeunes pour être pénalement responsables mais ils sont utilisés dans les trafics de drogue, les cambriolages ou la chaîne de transmission de maladies sexuellement transmissibles, par leurs aînés », accusait le chef de la police locale avant de solliciter la collaboration de tous dans l’éradication de ces fléaux. « Colombiens »
Somme toute, la consommation des stupéfiants qui circulent à travers des réseaux complexes dans les quartiers de nos villes et les villages n’épargne pas les pensionnaires des lycées, écoles et collèges. Pour y faire face, le gouvernement a ratifié plusieurs conventions. Peine presque perdue.
La circulaire n°19/07Minesec/Sg/Drh/Sdssapps du ministre des Enseignements secondaires portant création des clubs antitabac en milieu scolaire fait des établissements scolaires des «espaces non fumeurs ». Mais dans une enquête réalisée en 2014 par des étudiants en sociologie, il apparaît que le tabagisme et l’alccolisme sont des fléaux nationaux.
Les scolaires consomment particulièrement du cannabis. Une drogue très dangereuse, dit-on, parce que son aptitude principale est de s’attaquer au système nerveux et d’inniber les capacités intellectuelles.
En fait, le chanvre indien se vend comme des petits pains. Avec 50 ou 100F, on obtient « un filon ».
Selon diverses sources policières, le chanvre indien ou cannabis est la drogue la plus proposée à proximité de ces établissements, en raison de sa culture locale et de la facilité de manipulation. Des élèves avouent avoir été abordés à la sortie des classes, par des dealers eux-mêmes élèves, pour aller « tirer des joints » ou « boire des comprimés ». Le tramadol, connu sous l’appelation populaire de Tramol, une drogue agissant comme somnifère, est souvent introduit dans les sachets de vin qu’on boit.
Derrière les toilettes, dans des maisons abandonnées ou les kiosques de beignet, ils apprennent à tirer sur les « mèches » qui leur sont proposés, à tour de rôle. Ceux qui en ressentent les effets négatifs fuient la bande, les autres s’engagent et au fil du temps, certains passent des commandes pour le groupe. La culture filmique fait la différence. On baragouine des phrases incompréhensibles, cite le nom d’un célèbre musicien qui se drogue, des personnages fantasques, etc. Le reste se gère en fonction de l’addiction et du pouvoir d’achat.
Dans les années 90, les élèves appelaient leurs camarades habitués des milieux où on consommait de la drogue par l’affectueux nom de « voyageur ». Les « colombiens », comme il en existait dans bien de classes urbaines, étaient redoutables. Pas seulement pour leurs camarades qui pouvaient subir les variations régulières de leurs comportements, mais aussi par les enseignants, qu’ils indisposaient par leurs propos débridés. Dans leur état, l’insolence et le désordre prennent le pas sur le bon sens. Mais il s’agissait, disait-on, d’un phénomène marginal.
Depuis lors, l’insécurité est montée d’un cran. Les enseignants et autres encadreurs sont régulièrement menacés par des élèves sous l’emprise de la drogue, qui boycottent les cours et veulent paradoxalement
réussir.
Depuis plus d’une décennie, expliquent des cadres du ministère de la Santé publique, le Cameroun est passé du statut de pays de transit à celui de production, de destination et de consommation de drogues.Le pays enregistre environ 66 000 décès chaque année du fait du tabagisme contre 6 000 000 sur le plan mondial. Plus significatif, 15% de jeunes de moins de 15 ans sont fumeurs avec une prévalence plus élevée en milieu scolaire.
En effet, une enquête prouve que « 44 % d’élèves ont expérimenté le tabac, dont 5% à l’âge de 7 ans ».